Le procès des médecins nazis par un tribunal militaire américain à Nuremberg en 1947 avait dénoncé la « vivisection humaine », formulant les principes d’une expérimentation humaine présentée comme éclairée, mais justifiant de fait l’expérimentation animale à tous les niveaux.
Cette expérimentation animale existait dès le 19e siècle, mais elle ne possédait pas une systématisation qui n’apparaîtra qu’avec le 24 heures sur 24 du capitalisme. En effet, chaque marchandise va alors être testée, l’animal devenant lui-même l’expérience.
Tout est testé, depuis la barre chocolatée Mars jusqu’aux dentifrices, depuis l’encre de l’imprimante jusqu’aux ceintures de sécurité. Tout est testé non seulement une fois la marchandise réalisée, mais également souvent dans la genèse de la marchandise elle-même.
Et comme il y a de plus en plus de marchandises, il y a de plus en plus d’animaux pour subir les tests.
Il faut bien saisir qu’il ne s’agit pas d’un « choix » ni même d’une logique scientifique ici à l’œuvre. On est dans une démarche tout à fait pragmatique. Les possibilités techniques toujours plus grandes permises par le développement des forces productives amène la tendance à ne plus raisonner, mais à essayer pour trouver.
Plus on a de données, plus on « sait » et donc plus on « sait » mieux que les autres. C’est donc une porte ouverte à la fuite en avant dans l’expérimentation afin de « trouver »… quelque chose qu’on ne cherche pas initialement.
Ce processus est de nature concrète ; il n’est pas une abstraction, mais connaît des étapes bien marquées. Il faut bien distinguer la période d’avant la systématisation du capitalisme de celle d’après.
Le tournant se déroule lorsque le développement puissant du capitalisme dans ses pays bastions avait donné naissance à toute une petite industrie artisanale de l’élevage, très profitable, tournée notamment vers la mode, les scientifiques, etc. et portée par des couches populaires parmi les moins éduquées.
Il y eut alors conjugaison de cette industrie artisanale et la systématisation des expériences. Une date marquante fut 1942, avec la fondation en Grande-Bretagne d’une Conference on the Supply of Experimental Animals (CESA) mise en place par vingt sociétés scientifiques (comme la Société Royale de Médecine, la Société Royale de Médecine tropicale, etc.), afin de « produire » de manière « standardisée » des cochons d’Inde à destination de l’expérimentation.
Il faut noter que le directeur du comité de la CESA pour renforcer l’expérimentation animale fut le chimiste Alfred Louis Bacharach, devenu surtout nutritionniste. C’était un pianiste émérite et un fervent socialiste, membre de l’Independant Labour Party, travaillant avec le Workin Men’s College du nord de Londres. Il travailla pourtant 36 années pour Glaxo Laboratories et s’inséra totalement dans la vision « expérimentale ».
De fait, les chiffres sont ici tout à fait édifiants. Il y a en Grande-Bretagne 70 367 expérimentations animales en 1920, 954 691 en 1939 et on dépasse le chiffre de 1,5 million dès 1947. La systématisation du mode de production capitaliste a été la systématisation de l’expérimentation animale.
On doit considérer qu’à partir des années 1950 et du code de Nuremberg, l’expérimentation animale est une norme. Le discours de refus de l’expérimentation humaine par le tribunal militaire américain ne fut que la validation idéologique de la démarche triomphant dans les pays capitalistes les plus avancés, allant au 24 heures sur 24 du capitalisme.
On dépasse ainsi en Grande-Bretagne largement les cinq millions d’animaux employés dans les années 1970.
Le chiffre tombe à 3 millions au milieu des années 1980, notamment en raison de l’immense vague anti-vivisection portée par l’ALF et la BUAV, mais remonte alors que le nombre de marchandises disponibles s’agrandit encore et que les animaux transgéniques sont mis sur le marché à la fin des années 1990. Le chiffre est désormais d’un peu moins de 4 millions d’animaux utilisés chaque année.
On retrouve la même approche dans tous les pays, avec des tendances et des contre-tendances. Il y a davantage ou moins d’animaux selon les opportunités et il n’y a nulle régression du chiffre. Ainsi, le nombre d’animaux employés en France est passé de 1,77 à 1,92 million entre 2014 et 2016, le nombre de primates non-humains passant de 1103 à 3508.
À l’échelle mondiale, le chiffre tourne autour de 200 millions d’animaux. Environ 11 % de ces animaux (mais 16,7 % en France en 2016) est concerné par les procédures les plus brutales.
Cela n’empêche pas cette pratique relevant de la torture et du meurtre de chercher à se recouvrir d’un vernis pseudo humaniste littéralement fantasmagorique, tellement les « chercheurs » sont dans le rejet de la dignité du réel.
Voici ce que peut raconter, très « sérieusement », un directeur de recherche de l’INRA, Louis-Marie Houdebine, spécialiste des animaux transgéniques (la trangenèse animale et ses risques, Courrier de l’INRA n°23) :
« On oublie trop que avant d’être impliqué dans une expérience ou d’être consommé, l’animal à une vie relativement belle, dans beaucoup de cas, contrairement à une idée reçue. Captif, l’animal n’a en effet ni besoin de chercher sa nourriture, ni de se protéger contre les conditions climatiques et les prédateurs ; il est de plus souvent vacciné contre des maladies mortelles.
Les animaux de laboratoire comme les animaux d’élevage sont souvent bien traités, ne serait-ce que pour qu’ils puissent remplir convenablement la fonction qu’on attend d’eux. Les animaux, transgéniques ou non, sont du matériel expérimental souvent très coûteux et d’un maniement relativement délicat. Pour ces raisons, les expérimentateurs et les industriels préféreraient la plupart du temps ne pas y avoir recours. »
Plus loin dans l’article, on lit un argumentaire d’apprenti-sorcier particulièrement fascinant pour son affirmation du principe cartésien de « l’Homme comme maître et possesseur de la nature » :
« Certains ne peuvent s’empêcher de voir dans les animaux transgéniques des monstres de science-fiction. Il serait bien surprenant qu’il en soit ainsi quand on considère qu’au plus quelques gènes sont ajoutés ou inactivés par la transgenèse.
Ceci est évidemment bien peu en comparaison des 100 000 gènes que doit contenir le génome d’un mammifère. Il n’est pas inconcevable que la transgenèse conduise un jour à l’obtention d’une nouvelle espèce animale. Qu’est-ce en regard de ce que fait l’évolution depuis le début de la vie sur terre et souvent sans tendresse particulière pour les espèces préexistantes. »
Cette prétention à contrôler l’évolution, de la rediriger, correspond à la prétention de « l’esprit » à contrôler la « matière ».