La tendance représentée par Jean Longuet et Paul Faure est celle des « reconstructeurs ». Ceux-ci assument, du moins en paroles et en théorie, la dictature du prolétariat, la nécessité de la prise du pouvoir comme nécessité ; ils soutiennent la révolution russe.
Ils sont d’accord pour dire que la seconde Internationale a failli, mais ils ne sont pas d’accord pour dire que l’Internationale Communiste la remplace. Ils pensent que l’expérience russe est particulière, que ses leçons ne peuvent pas être généralisées. On a à l’arrière-plan une remise en cause du principe de vague révolutionnaire mondiale, mis en avant par l’Internationale Communiste avec le concept de crise générale du capitalisme.
Jean Longuet explique ainsi au congrès de Tours que :
« Le Congrès [de fondation] de la IIIe Internationale s’est produit à un moment où nos camarades russes étaient particulièrement exaltés par leurs victoires sur la Pologne ; ils étaient persuadés que rien ne résistait plus à l’armée rouge.
Et c’est dans cette exaltation, c’est dans ce moment tragique particulier qu’ils ont conçu une Internationale qui n’est pas une Internationale du prolétariat de tous les pays, mais une Internationale spécifiquement russe, avec des conceptions russes, une discipline russe et qui n’est pas adaptable aux autres pays. (Très bien à droite.) (…).
Nos camarades russes – je suis tout à fait d’accord là-dessus avec Frossard – dans leur impatience légitime causée par les souffrances terribles qu’ils endurent au service de la révolution universelle, – pour quoi je les salue bien bas, en tant que lutteur de la révolution (applaudissements) – nos camarades russes attendent les gestes de la révolution immédiate.
Ils ne tiennent aucun compte des circonstances de temps et de lieu, ils les ignorent, vivant dans l’hypnose de leur révolution… (Exclamations.)
Nous ne sommes illuminés. Si nous étions en révolution, nous nous étonnerions comme eux que les autres pays ne fassent pas, eux aussi, la révolution. Ils sont excusables de leur erreur.
Ceux qui ne sont pas excusables, ce sont ceux qui l’affirment, alors qu’ils savent qui c’est faux. »
Les Russes voudraient ainsi aller trop vite et s’y prendraient mal. Les reconstructeurs les soutiennent, mais refusent leur modèle ; ils veulent pour cette raison une reconstruction avec tous les mouvements socialistes restant, sans distinction. C’est le sens du nom de leur motion : « Comité pour la Reconstruction de l’Internationale ».
C’est, en quelque sorte, la ligne de la social-démocratie autrichienne, qui a Vienne comme bastion.
Jean-Baptiste Lebas, une figure de la SFIO de Roubaix et du Nord en général, s’exprima ainsi au congrès, reflétant tout à fait cette approche :
« Nous irons à [l’Internationale de] Vienne [où les sociaux-démocrates, très puissants, rejetaient la seconde Internationale tout en refusant la troisième], non pour créer une IVe Internationale (…), nous poursuivrons donc notre route et nous irons à Moscou. (Mouvements divers.)
Mais nous irons à Moscou, non pas pour dire humblement : « Tout ce que vous nous avez imposé est accepté ; nous ne nous sommes même pas donné la peine de l’examiner ; il a suffi que vous parliez pour que nous allions à vous », mais, suivant le magnifique langage de [l’Italien Giacinto] Serrati, nous irons en hommes libres, pour discuter d’égal à égal, en socialistes. (Applaudissements. – Mouvements divers.)
Nous dirons à Moscou… (Tumulte) « il est impossible que vous mainteniez vos conditions qui ont pour conséquence fatale – l’expérience est là, les faits sont probants – la division des forces socialistes.
Il faut que le prolétariat de l’Europe occidentale, pour ne parler que de lui, reste uni, soit de taille à faire front à la réaction internationale. Vos 21 conditions brisent cette force révolutionnaire et portent, du même coup, la mort dans la révolution russe.
Si, malgré tout, Moscou reste inébranlable dans son inconscience (Applaudissements. Protestations et mouvements divers.) et si par malheur pour le socialisme français, pour le bonheur de la bourgeoisie de notre pays, l’unité de notre parti est brisée… (Interruptions : « Il est décoré par la bourgeoisie ! »)… en ce qui nous concerne nous continuerons notre propagande de toujours, et aux cris de : « Prolétaires de tous les pays, combattez-vous », nous répondrons par le vieux cri plus vrai aujourd’hui que jamais : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » (Applaudissements.) »