La tentative de rapprochement avec le Parti socialiste-SFIO en 1939

Le Parti Communiste Français essaya une dernière fois de faire vivre ses relations avec le Parti socialiste, qui étaient au point mort depuis l’échec du gouvernement de Léon Blum en 1937.

Le 4 mars 1939, une lettre fut envoyée au Conseil national du Parti socialiste qui va s’ouvre alors ; elle témoigne envers les socialistes de la même incompréhension du « barrage à droite » qui s’est déroulée chez les radicaux.

« Chers camarades,

C’est en pleine conscience de la gravité des dangers dont les masses laborieuses de France sont menacées que le Parti communiste s’adresse à vous.

Nous sommes à même, les uns et les autres, de voir combien la classe ouvrière et l’ensemble des populations travailleuses sont préoccupées de savoir où risque de conduire la politique du gouvernement.

Les décrets-lois, dont on avait dit qu’ils allaient remettre la France au travail, ont, au contraire, pour conséquence d’accroître le nombre des chômeurs, de faire peser de nouvelles charges sur les petites gens, de porter gravement atteinte aux lois sociales du Front populaire, de plonger notre pays dans un marasme économique redoutable, à la fois pour les ouvriers et pour les classes moyennes.

Les cagoulards sont libérés les uns après les autres. Des malfaiteurs publics, accusés d’avoir prépare l’assassinat de Français, bénéficient du régime politique en attendant leur mise en liberté, cependant que d’honnêtes travailleurs sont frappés de lourdes peines pour avoir usé, le 30 novembre dernier, du droit de grève inscrit dans la loi.

Une telle politique donne au grand patronat toutes possibilités pour poursuivre sa besogne de régression sociale.

Elle donne au fascisme toutes facilités pour développer son action dirigée a la fois contre les communistes, contre les socialistes, contre les démocrates de toutes tendances, contre les croyants de diverses confessions, contre tous ceux que les émules de .Hitler et de Mussolini veulent diviser pour pouvoir les battre les uns après les autres et faire triompher sur tous leur politique de violence, et d’esclavage.

Par ailleurs, la reconnaissance de Franco, l’occupation acceptée du territoire espagnol par les troupes italiennes et allemandes, soulignent assez la volonté du gouvernement français de nuire au gouvernement de la République espagnole qui proclame a la face du monde sa ferme intention d’opposer une résistance farouche aux envahisseurs de l’Espagne.

Les travailleurs communistes et socialistes s’interrogent sur les conséquences redoutables d’une telle politique de misère et de régression sociale, d’encouragement du fascisme et de trahison des intérêts de la paix. Ils se demandent comment la faire cesser.

Nous avons, nous, communistes, la conviction que la situation actuelle, peut très rapidement changer.

Un redressement semblable à celui qui s’opéra en 1934 et 1935 peut se reproduire si, comme à cette époque, nos deux partis, pratiquant effectivement l’unité d’action, donnent confiance aux masses populaires et créent les conditions d’un vaste regroupement des forces de démocratie et de paix.

Nos deux partis devraient engager dans tout le pays une grande campagne :

1) Pour l’aide, à l’Espagne républicaine à qui les soldats et les armes doivent être rendus contre les conséquences que le gouvernement veut tirer de la reconnaissance de Franco, telles que l’octroi de l’or et du matériel républicain au général rebelle ;

2) Contre les décrets-lois de misère ; pour l’application d’une politique économique et financière conforme aux intérêts du peuple, s’inspirant du programme du Front populaire et des dispositions du projet financier du deuxième cabinet Blum, voté par la Chambre ;

3) Contre ta tolérance dont bénéficient les cagoulards pour l’application de la loi aux ligues factieuses reconstituées, menaçant les libertés républicaines et l’indépendance du pays, et pour l’amnistie aux fonctionnaires et ouvriers suspendus, licenciés, condamnés et emprisonnés pour avoir défendu leur pain et celui de leurs enfants.

L’action commune de nos deux partis stimulerait de nouveau l’union et l’action du peuple de France tout entier.

De même que la signature du Pacte d’unité d’action entre nos deux partis eut bientôt pour résultat la formation du Front populaire, de même l’unité d’action pratiquée par nous dans les circonstances présentes réduirait à néant les manœuvres des diseurs, provoquerait un immense rassemblement des masses populaires et ferait passer sur la France laborieuse un grand souffle d’espoir.

Voilà pourquoi nous pensons que le Comité national d’entente de nos deux partis, dont nous regrettons qu’il n’ait pas siégé depuis plus de 4 mois, malgré nos propositions, devrait enfin se réunir très prochainement afin d’envisager l’action à entreprendre.

Comptant sur une réponse favorable, recevez chers camarades, notre fraternel salut communiste.

Pour le Comité central du Parti communiste français
Le secrétaire général Maurice THOREZ. »

Le Conseil national du Parti socialiste repoussa la demande du Parti Communiste Français, à l’occasion d’un psychodrame, où Justin Arnol proposa initialement un amendement.

Ce député socialiste, qui avait voté auparavant pour les accords de Munich, votera par la suite en 1940 pour les pleins pouvoir au maréchal Pétain, et mourut absolument désespéré en 1943 de ses erreurs fondamentales d’orientation. Cet exemple individuel souligne l’intensité dramatique du moment, avec une pression psychologique immense propre à cette époque.

Justin Arnol était dès le départ pour l’unité, mais par le haut seulement ; en mars 1938, il tendait logiquement sur la droite, dans l’ambiance du moment. Son amendement demande qu’on isole le Parti Communiste Français, qu’il fallait considérer au mieux comme une force d’appoint.

« En ce qui concerne l’unité d’action, dont le principe n’est pas remis en question, le Conseil national considère qu’elle pourrait être un utile moyen de défense si la République était mise en péril comme elle le fut en 1934.

Mais, dans la situation intérieure et internationale assez trouble pour qu’aucune confusion n’y soit ajoutée, le Conseil national estime que le Parti Socialiste doit rester lui-même et apporter le plus de clarté possible dans sa politique et dans son action.

Il ne voit aucun avantage à la pratique de réunions publiques communes avec n’importe quel Parti.

Il recommande aux Fédérations de consacrer tous leurs efforts au recrutement et à l’éducation des militants et à la propagande spécifique du Parti. »

S’oppose alors à lui Jean Zyromski, le dirigeant de l’aile gauche du Parti, qui est pour qu’on se tourne au contraire vers le Parti Communiste Français. Son amendement contredit formellement celui de Justin Arnol et l’aile gauche du Parti qu’il représente, avec comme bastion la région parisienne, fait de réels efforts pour se lier avec les communistes sur le terrain.

Jean Zyromski a l’intelligence de présenter les choses sous l’angle de l’unité ; néanmoins, il n’a pas compris la nouvelle séquence et se contente de formuler cela comme une relance du Front populaire, qu’il s’agit simplement de « rénover ».

« Le Conseil National proclame qu’il appartient au Parti socialiste de rassembler toutes les forces populaires contre toutes les formes de l’injustice et de l’oppression autour d’un programme à la fois audacieux et pratique, dirigé contré les privilèges capitalistes.

Acceptant les lignes générales du « Plan du travail » de la C.G.T., il manifesté sa volonté de voir se grouper dans un Front populaire rénové toutes les organisations démocratiques et prolétariennes décidées à lutter sans défaillance pour la liberté, la justice et la paix. »

Si le vote avait eu lieu, cela provoquerait une contradiction majeure dans le Parti socialiste, aussi Marx Dormoy intervint-il pour tenter d’opposer la question préalable ; il s’agit d’un vote pour dire qu’il ne s’agit pas de faire de vote.

4 135 délégués contre 2 792 décidèrent toutefois que le vote devait avoir lieu. Et la catastrophe se produit alors : l’amendement de Justin Arnol fut appuyé par 3 300 délégués, celui de Jean Zyromski par 1 387 délégués seulement.

Preuve de la dimension extrêmement profonde de la question, les abstentions furent de 2 642 (avec 289 absents).

Symboliquement, la rupture socialiste avec le Parti Communiste Français était consommée. Il était évident qu’il n’y aurait plus aucun progrès ici et que les socialistes allaient toujours plus s’aligner sur la droitisation du régime.

Début mars 1939, le Parti Communiste Français aurait dû comprendre l’importance d’une telle situation. D’autant plus que sur le plan international, les choses se précipitent.

=>Retour au dossier Le Parti Communiste Français
isolé et interdit (1938-1939)