Les événements de l’année 1949 sont à la fois rapides, nombreux et extrêmement complexes, tout en étant relativement trompeurs. En effet, si d’un côté la DSE est défaite, le KKE considère que ce n’est un épisode particulièrement douloureux d’une vaste séquence dont il va sortir victorieux.
La situation est à considérer comme suit : les forces du progrès doivent chercher à éviter les campagnes d’encerclement et d’anéantissement des forces de la réaction. Jusque-là, la DSE avait montré ses capacités tout à fait excellentes à ce niveau.
De par les particularités de la guerre civile grecque, l’aspect négatif était que les forces réactionnaires avaient procédé à l’évacuation de 700 000 personnes, afin d’assécher le potentiel de recrutement et d’approvisionnement de la DSE.
La DSE reposaient par conséquent sur ce qui formait l’aspect positif de la situation : le fait que la Grèce avait des frontières avec trois pays étant des démocraties populaires. L’Albanie, la Yougoslavie, la Bulgarie permettaient aux troupes de la DSE de passer leurs frontières pour contourner l’ennemi, s’occupaient des blessés, fournissaient du matériel militaire et de la nourriture.
Un autre moyen de la DSE était également la récupération sur l’ennemi ; lorsque la DSE prit Karpenissi en janvier 1949, elle récupéra 27 lance-grenades et 4000 grenades, 12 mitraillettes lourdes, 6 canons anti-chars, 700 fusils et un million de munitions, 6 émetteurs-récepteurs, de très nombreuses caisses de grenades et 600 000 kilos de rations alimentaires.
A cela s’ajouta le recrutement de 1300 personnes.
La situation était ainsi délicate, la DSE ne pouvant que difficilement recruter, mais les forces réactionnaires ne parvenaient pas à détruire la DSE. Cette situation, comme le notait Níkos Zachariádis, était intenable à terme pour le régime, qui révélait de plus en plus sa position de laquais anglo-américain exerçant un régime terroriste sur les masses, avec le gouvernement démocratique de la Grèce libre proposant une alternative stratégique.
La catastrophe se produisit, cependant, avec la trahison yougoslave. Non seulement la Yougoslavie de Tito comptait s’approprier la Macédoine, mais elle cherchait ouvertement à transformer la Bulgarie entière en république yougoslave, tout comme par ailleurs l’Albanie avec encore davantage de pression.
Les activités de la Yougoslavie s’alliant avec les forces anglo-américaines, notamment dans l’espionnage, avaient été dénoncés par le Kominform et la Yougoslavie tomba le masque en soutenant les forces militaires du régime réactionnaire grec, leur permettant de franchir les frontières yougoslaves, désormais fermées à la DSE.
Níkos Zachariádis constate ainsi dans son article La clique de Tito poignarde dans le dos la Grèce démocratique populaire, publié en août 1949 dans Pour une Paix durable pour la Démocratie Populaire, l’organe du Kominform :
« Le régime monarcho-fasciste s’est trouvé dans une situation critique.
Dans leurs rapports, les généraux Papagos, Vendiris, Tsakalotos et autres ont reconnu franchement que le moral de l’armée avait fléchi. Des centaines de soldats et d’officiers ont été passés par les armes. Le roi Paul fut lui-même obligé de parler d’une crise morale dans l’armée.
La situation économique de la clique d’Athènes n’était pas meilleure et la crise politique sapait de plus en plus profondément les bases du monarcho-fascisme.
A l’étranger comme à l’intérieur du pays, des gens que l’on était loin de considérer comme nos amis, ont commencé à comprendre que la seule issue pour les réactionnaires était de résoudre pacifiquement les problèmes et de conclure un accord.
La trahison de la clique Tito est venue juste au moment où la crise du monarcho-fascisme atteignait son point culminant.
Elle a créé de nouvelles et sérieuses difficultés à notre mouvement démocratique populaire : en effet elle a renforcé les impérialistes anglo-américains dans leur décision de garder la Grèce à tout prix, justement pour tirer le plus grand Profit de la clique Tito et élargir leur place d’armes dans les Balkans.
En même temps, le passage de la clique Tito dans le camp de l’impérialisme a relevé le moral déprimé du monarcho-fascisme. »
A cela s’ajoutait un autre problème, très important : historiquement, les femmes constituaient plus de 30% des effectifs militaires de la DSE, ainsi que 70% du personnel médical et de soutien.
Mais un autre aspect était une proportion à peu près aussi importante de personnes d’origine slavo-macédoniennes, qui avaient à subir la contre-propagande yougoslave, les tentatives de déstabilisation, d’infiltration, etc.
Le KKE résumait ainsi, sur ce plan, dans La clique de Tito et le Parti Communiste de Grèce :
« Au temps de la double (allemande-italienne) et pour la Macédoine la triple (allemande-italienne-bulgare) occupation, les chauvinistes de Tito ont joué le jeu des occupants étrangers et de l’Intelligence Service, qui avaient comme but d’empêcher l’union des mouvements de résistance nationale, de disloquer l’unité de lutte du peuple grec et slavo-macédonien.
Leur campagne calomniatrice était en premier lieu dirigée contre le Parti Communiste de Grèce — tout comme la campagne des occupants et de l’Intelligence Service – et avait comme but (en exploitant les fautes et les faiblesses du Parti Communiste de Grèce) de voiler le fait irréfutable que le Parti Communiste de Grèce a toujours été un ennemi du nationalisme belliqueux dans les Balkans et a lutté contre les plans de subordination, et de partage de la Macédoine qu’avaient les monarchies balkaniques et les cliques capitalistes. »
Non seulement la Yougoslavie cessait le soutien pratique prévu par la DSE, mais elle bloquait la possibilité d’échapper aux campagnes d’encerclement, et elle empêchait en même temps de profiter de l’Albanie et de la Bulgarie, se situant respectivement à l’est et à l’ouest de ces pays, tout en séparant arbitrairement les forces de la DSE.
Cela ne pouvait que provoquer une désorganisation très profonde de la DSE.
Les forces réactionnaires surent en profiter. Devant l’impossibilité d’écraser la DSE, mais en ayant en tête la question yougoslave, il fut décidé de grimper le nombre d’hommes en armes à 263 000 combattants et de procéder à une campagne générale d’anéantissement, l’opération fusée.
Cette décision était faite au plus haut niveau de l’État grec, c’est-à-dire les impérialismes américain et britannique, de manière pratiquement officielle, puisque la direction militaire de l’État monarcho-fasciste grec revenait officiellement à un conseil de guerre auquel appartenait les principaux membres du gouvernement, le chef des armées, l’ambassadeur américain ainsi que le chef de la mission militaire britannique.
L’opération fusée visait à réussir cette fois la campagne d’encerclement et d’anéantissement, en sachant que les marges de manœuvre de la DSE étaient cette fois plus qu’amoindries. Elle visait à bloquer l’accès consiste en un plan de trois mois visant à nettoyer zone par zone, par ratissage, dans le centre du pays.
Elle fut ensuite prolongée par l’opération torche, visant simultanément les monts Gramos et Vitsi et appuyé par 42 avions Helldiver, à quoi s’ajouta la menace d’une invasion générale grecque, ainsi que yougoslave, de l’Albanie, qui appela alors l’URSS à la rescousse en catastrophe, son dirigeant Enver Hoxha critiquant de manière très offensive Níkos Zachariádis et le KKE.
Devant cette situation explosive, les principales forces de la DSE sont obligées de se replier en août 1949 en Albanie, qui procède au désarmement des troupes, dont les membres partent dans d’autres pays des démocraties populaires d’Europe de l’est.
Cette situation traumatisera l’Albanie d’Enver Hoxha, qui réduira à partir de là toujours plus sa ligne à une dénonciation permanente du titisme, avec la crainte d’une annexion en arrière-plan.
De son côté, le VIe plénum du VIIe congrès KKE tenu en Albanie annonça en octobre 1949 la cessation de la lutte armée, le VIIe plénum se tenant en mai 1950 en Bulgarie.
Toutefois, en décembre 1950, Níkos Zachariádis considère encore que si le chemin est sinueux, la victoire est au bout, malgré la défaite de la DSE. Il conclut de la manière suivante son article « Le peuple de Grèce achèvera la victoire », publié dans l’organe du Kominform, Pour une paix durable, pour une démocratie populaire :
« En écrasant l’opportunisme défaitiste et en purgeant ses rangs de tous les éléments capitulateurs et des agents ennemis, le Parti Communiste de Grèce, loyal au marxisme-léninisme, portera haut la bannière de la lutte contre les pillards américains et britanniques et conduira notre peuple à la victoire finale, quels que soient les difficultés et obstacles qui restent à surmonter. »