Les joueurs de l’époque de l’animisme cosmique ne considèrent pas que le résultat est aléatoire ; pour eux, il correspond à quelque chose, à sa place dans l’univers. Gagner au jeu, c’est la preuve que l’énergie fournie par l’univers est là ; perdre indique le contraire.
Les jeux pratiqués sont le miroir de la réalité, avec donc la liaison à « l’au-delà », qui n’est pas un « Ciel » monothéiste mais un univers « magmatique », « nuageux », insondable et pourtant aliment en énergie vitale le monde, le monde n’en étant qu’une expression.
Il y a donc une contradiction entre la stabilité de l’univers et l’instabilité de la vie individuelle. Et le but imaginaire de cette vie individuelle, qui commence à être personnelle même puisqu’on est sorti de la communauté matriarcale, est de participer de manière suffisamment forte avec l’au-delà, de fusionner avec.
Il y a donc un palier à franchir. La vision cyclique est le fétiche de ce palier. C’est tout à fait logique si l’on pense que :
– les dieux eux-mêmes connaissent des tribulations, des aléas, des aventures et des mésaventures ;
– tout le monde des êtres vivants est dépendant de l’énergie de l’univers.
Tout ce qui existe doit en fait franchir le palier. Le monothéisme n’est rien d’autre que la synthèse de cette obsession du palier à franchir, puisque tous les monothéismes naissent comme promesse d’un passage réussi dans l’au-delà.
L’animisme cosmique ne fait pas du tout une telle promesse : il la vit, de manière ininterrompue.
Contrairement à ce qu’on pourrait penser en effet, la société de l’animisme cosmique est ultra-codifiée. Le moindre acte du quotidien est légalement déterminé et ne pas obéir aux règles implique une punition sévère.
C’est que, forcément, tous les actes du quotidien sont en étroit rapport avec l’univers, avec l’énergie de l’univers, avec l’équilibre de l’univers. Gaspiller de l’énergie, c’est bousculer l’ordre des choses et c’est un comportement anti-social, anti-cosmique, inacceptable.
L’archéologie a permis de retrouver de nombreux codes mésopotamiens, comme celui, sumérien, du roi Urukagina, il y a 2400 ans, ou encore celui, babylonien, de Hammourabi, de 1600 avant notre ère, où ce roi est représenté avec Shamah, le dieu solaire. La loi est en effet toujours justifiée par sa correspondance avec les principes de l’univers et elle porte sur tous les détails de la vie, tant pour la famille que le commerce, les crimes, les délits, etc.
Voici le contenu d’une tablette juridique hittites datant de 1650-1100 avant notre ère : homicide, coups et blessures, enlèvement, esclaves fugitifs, contamination de vaisselle (?), famille, meurtre justifié, service féodal et tenures, mort accidentelle, perte de propriété, service féodal et tenures, litiges sur les animaux domestiques, brigandage, incendies volontaires.
C’est évidemment une tablette parmi d’autres, car tous les aspects sont juridiquement codifiés, rien ne doit échapper à la loi car rien ne peut lui échapper, la loi correspond à l’ordre cosmique.
On ne peut pas comprendre cette obsession juridique, jusqu’au moindre détail, de l’humanité plus de mille ou deux mille ans avant notre ère, sans voir qu’elle témoigne de l’animisme cosmique.
Et, donc, cette obsession du droit correspond à une exigence de l’ordre cosmique. Mais les êtres humains sont en perpétuelle agitation, bien loin du « calme » de l’ordre cosmique. D’où le fait qu’il faille tendre vers la réalisation des actes les meilleurs, pour franchir le palier vers l’ordre cosmique.
Et devant la contradiction entre l’agitation humaine et le calme cosmique, l’humanité a tenté de répondre dialectiquement par une évolution cyclique : au fur et à mesure, on y arrive !
C’est très exactement le sens de la réincarnation. On connaît l’expression « cycle des réincarnations » : elle est bien plus juste, bien plus en rapport avec sa nature substantiellement cyclique.
Initialement, le védisme n’aborde pas vraiment la question de la réincarnation. On est ici dans un patriarcat élémentaire, guerrier-primitif, celui des populations aryennes pratiquant des conquêtes au moyen de leurs chariots de guerre.
Dans le document fondamental, le Rig-Véda (en fait le rg-véda avec un r rétroflexe), composé entre 1500 et 900 ans avant notre ère, il n’y a pas de réincarnation ou du moins n’est-ce pas clair et totalement secondaire. Il est surtout parlé de voie du nord, celle des dieux, et de voie du sud, celle des pères.
Après le décès, ceux qui ont eu une vie ascétique, de prêtres, prennent la voie du nord, ils rejoignent l’univers, Brahman. Ceux qui ont simplement agi correctement, dans le respect des rites, comme un bon père de famille, prennent la voie du sud.
Par contre, lorsque le brahmanisme remplace le védisme, on a affaire à un animisme cosmique. Par conséquent, ceux qui prennent la voie du sud, après avoir profité de leurs bonnes actions, reviennent sur Terre sous la forme de la pluie.
Leur âme est alors hébergée dans une plante, puis une fois celle-ci mangée soit dans un animal, soit dans un être humain. L’hindouisme s’est ensuite débarrassé des plantes, passant sous silence ou niant qu’on puisse se réincarner en elles, contribuant à se débarrasser du panthéisme.
Ce qu’il est ici fondamental de voir, surtout, c’est que la réincarnation est cyclique dans sa liaison au droit. C’est la fameuse question du karma. Bien se comporter, c’est avoir du mérite (dharma), que de faire en sorte que l’acte (karma) commis soit en conformité avec l’ordre cosmique.
Si l’on agit en parfaite connivence, on sort du cycle des réincarnations pour « fusionner » avec l’énergie universelle. Dans le cas contraire, on est amené à renaître, pour affronter une vie plus ou moins remplie d’adversités selon les actes bons et mauvais de sa vie précédente.
Cette conception cyclique a été systématisée au niveau de l’univers « matériel » lui-même, qui connaît la naissance, la subsistance, la destruction, puis tout recommence, à l’infini.
Exactement comme le soleil. C’est lui la clef de la conception cyclique du monde. C’est le symbole de la naissance et de la mort, avec le jour et la nuit.
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