L’absence de lutte de lignes et le question de la IIIe Internationale au congrès socialiste de Strasbourg de 1920

Au congrès de Strasbourg, c’est paradoxalement Ernest Poisson, de l’aile droite, qui révéla tout le fond du problème, alors que les partisans de la IIIe Internationale ne comptaient pas pour autant mener une lutte de lignes dans la SFIO. La gauche de la SFIO était contre la droite, mais elle la tolérait, l’acceptait même, et Ernest Poisson dénonça logiquement ce paradoxe :

« Mais il y a, permettez-moi de vous le dire, une première raison, et la meilleure de toutes.

Vous voulez adhérer à la IIIe Internationale ? Mais vous n’ignorez pas que nous ne serons pas tous reçus ; vous n’ignorez pas qu’à la porte on vous priera de bien vouloir d’abord laisser quelques-uns des vôtres.

Ce n’est donc pas avec tout le Parti socialiste français que vous allez adhérer. Je ne parle pas seulement de mon vieil ami Longuet à qui on veut faire passer une visite de santé morale avant de l’admettre ; je veux parler de ceux qui, comme moi, comme nous, ceux que vous dites à la droite du Parti et qui sont d’avance expulsés.

On n’en veut pas ; des mandements sont donnés, des excommunications sont lancées. Je ne sais pas au nom de quelle démocratie, même ouvrière, mais je sais tout au moins que le Grand Maître de la IIIe Internationale, à lui tout seul, a décrété déjà les exclusions.

Et alors puisque nous ne sommes pas admis, nous sommes peut-être un peu difficiles, mais nous ne sommes pas des gens qui voulons tout de même aussi facilement – permettez-moi cette expression – recevoir des coups de pied quelque part !

Non, non, nous ne voulons pas aller à la IIIe Internationale où du reste on ne veut pas nous recevoir, et alors je vous pose une question à vous, camarades partisans de la IIIe Internationale : si vous adhérez, vous savez que nous n’en serons pas. Nous sommes donc des traîtres ; nous ne sommes plus des socialistes.

Alors avant d’aller à la IIIe Internationale, puisque vous savez que nous ne pouvons pas y aller, ayez d’abord le courage de nous mettre à la porte du Parti socialiste français ! (Applaudissements.)

Quand vous nous aurez mis à la porte, vous aurez le droit d’y aller, sinon vous allez demander à une des fractions du socialisme russe, ou plus exactement à celui qui parle en son nom à l’heure actuelle, vous allez lui demander la force de nous mettre à la porte alors que vous ne l’osez pas.

Commencez d’abord par l’expulsion et vous irez ensuite à la IIIe Internationale. (Applaudissements à droite.) »

Jean Longuet dira pareillement :

« Mon cher [Raymond] Lefebvre, si vous avez des exclusions à proposer, venez les apporter ici ! S’il y a des membres du Parti dont vous demandez que le Parti se sépare, il ne faut pas, sous la forme indirecte d’un voyage à Moscou, poser le problème ; il faut venir dire franchement : je propose telles et telles exclusions. »

De fait, c’était la IIIe Internationale qui représentait la ligne rouge, mais à l’extérieur du Parti socialiste SFIO.

Henriette Roland Holst s’exprima au congrès de Strasbourg, en tant que déléguée étrangère, non seulement au nom du Parti Communiste de Hollande, mais au nom du Comité Exécutif de la IIIe Internationale, par un mandat du secrétariat de l’Europe occidentale et du bureau auxiliaire d’Amsterdam.

Le message fut très clair :

« L’Internationale Communiste, assise solidement sur l’indestructible terrain du monde nouveau, réunissant l’avant-garde révolutionnaire de tous les pays, attend de vous, prolétaires de France, des décisions fermes et des actes hardis (…).

Prenez garde, camarades français, si, de loin, nous ne pouvons pas apercevoir comme vous, qui êtes dans la lutte, les détails de la vie sociale et politique française, par contre nous la voyons dans son ensemble et nous considérons comme notre devoir impérieux de vous mettre en garde contre votre bourgeoisie qui ne vous laissera pas un long intervalle de temps pour discuter paisiblement.

Elle profite du répit que vous lui fournissez par vos hésitations ou plus exactement par l’hésitation de votre représentation politique pour organiser la vie économique non pas pour remédier au désordre général mais pour organiser ses forces et pour vous écraser coûte que coûte (…).

Nous attendons de vous, camarades français, que vous poursuiviez par votre marche en avant, que vous ne vous laissiez pas endormir par des phrases et des déclamations qui dissimulent les anciennes pratiques, mais que vous luttiez pour créer un Parti solide, un Parti de combat en éliminant le poids mort du social-patriotisme et du réformisme. »

Voici également le télégramme envoyé le 17 janvier 1920 par la IIIe Internationale :

« Au congrès du Parti socialiste français à Strasbourg

Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste adresse aux travailleurs français en lutte contre le social-patriotisme et contre toutes les conceptions équivoques et les déformations bourgeoises des principes du communisme, son salut fraternel.

Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste espère que sous la pression des masses ouvrières françaises, le congrès de Strasbourg se décidera enfin à rompre avec la IIe Internationale, avec l’organisation jaune dont Noske, Galliffet [= le militaire ayant écrasé la Commune de Paris en 1871] d’outre-Rhin, est en Allemagne le représentant le plus en vue et qui est de même représenté en France par les agents de la bourgeoisie.

Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste appelle tous les communistes français à s’unir en une seule organisation et à déclarer une guerre ouverte à tous ceux qui ont trahi le prolétariat.

Vive le prolétariat révolutionnaire français !

Vive l’épuration des forces ouvrières dont les jaunes de la IIe Internationale doivent être chassés !

Vive la révolution prolétarienne !

Le président du Comité Exécutif de l’Internationale Communiste : Zinoviev »

Ce principe de l’épuration exigée par l’Internationale Communiste était en fait incompatible avec toute la tradition socialiste française, qui reposait sur l’unité des tendances divergentes et de fédérations autonomes, ayant toujours réfuté toute centralisation organique du Parti.

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au lendemain de la première guerre mondiale