L’affrontement entre Georgi Malenkov et Nikita Khrouchtchev

À la mort de Staline, il y a deux principales figures : Georgi Malenkov, président du conseil des ministres de l’URSS et Nikita Khrouchtchev, secrétaire du Comité Central du PCUS. La liquidation de Lavrenti Beria et la décapitation de l’appareil de sécurité d’État de l’URSS se fondent sur leur alliance, comme la résolution du Comité Central du PCUS l’expose parfaitement.

Leurs lignes différaient cependant de manière assez prononcée.

Nikita Khrouchtchev et Georgi Malenkov

Nikita Khrouchtchev fit ainsi la promotion de l’agriculture dans les « terres vierges », se situant en Asie centrale dans la région de la Volga. Le projet fut un échec, mais lui accorda du prestige, de par son accentuation sur la question de l’agriculture, un vrai problème en URSS.

Nikita Khrouchtchev fit ici office de stabilisateur, de celui qui veut continuer l’élan de la grande industrie tout en corrigeant le tir pour l’agriculture.

Georgi Malenkov, quant à lui, mit l’accent sur la consommation de biens courants. Il apparaissait ici comme un modificateur, cherchant à changer d’axe l’économie et à l’accentuer sur une perspective non pas de construction, mais de consommation élargie.

Ici, Georgi Malenkov agissait en fait conformément au XIXe congrès, qui affirmait qu’on était passé à l’étape de l’édification du communisme et qu’il fallait élever le niveau des biens de consommation.

La base idéologique du XIXe congrès était cependant erronée. Cela fait qu’il se situait en décalage historique avec l’émergence d’une vaste bureaucratie incrustée dans le Parti et œuvrant à déformer, non pas à transformer la situation. Naturellement cette transformation impliquait un saut qualitatif (en le social-impérialisme soviétique), toutefois la nouvelle bourgeoisie n’en avait pas conscience ; elle émergeait comme tendance historique accompagnée d’une considération subjective conforme à la lecture de ses propres exigences, à travers le révisionnisme.

Cela est d’autant plus vrai que Georgi Malenkov était porté par la bureaucratie incrustée dans le gouvernement, pas dans le PCUS.

Timbre vietnamien de 1954 avec Georgi Malenkov, Ho Chi Minh, Mao Zedong

Lorsqu’il annonce les mesures gouvernementales au Soviet suprême, le 8 août 1953, il les présente même comme relevant « du gouvernement et du Comité Central », ce qui était une entorse fondamentale au protocole soviétique dans l’ordre des termes employés, puisque le Parti a la primauté sur le gouvernement. L’usage voulait donc qu’on dise : « du Comité Central et du gouvernement ».

Georgi Malenkov répéta la formule même cinq fois dans son discours. En voici un extrait :

« À présent, nous disposons de toutes les données nécessaires pour accroître la production de biens de consommation. Le volume atteint jusqu’ici ne saurait nous satisfaire.

Pour assurer le relèvement constant du niveau de vie de la population, il nous faut développer davantage notre industrie légère. Le gouvernement et le parti estiment qu’il est indispensable d’augmenter également les investissements dans les industries alimentaires et dans l’agriculture afin que la production d’articles de consommation courante soit substantiellement accrue (…).

Nous devons amener l’industrie de construction de machines et autres entreprises de l’industrie lourde à produire des articles de consommation courante.

Notre tâche urgente est maintenant à augmenter considérablement, au cours des deux ou trois années à venir, l’approvisionnement de la population en produits des industries légère et alimentaire. »

Ainsi, comme la ligne de Georgi Malenkov impliquait une restructuration partielle de l’économie sous la supervision de la clique bureaucratique gouvernementale qui elle-seule allait être préservée, au profit d’une modification en profondeur de l’appareil aux dépens du Parti, il fut mis de côté par la clique dirigeante du PCUS.

Il démissionna en février 1955 à la suite d’une violente attaque de Dimitri Shepilov. Celui-ci écrit dans la Pravda (dont il était rédacteur en chef) du 24 janvier 1955 :

« Si la théorie de ceux qui préconisent un développement de l’industrie légère au détriment de celui de l’industrie lourde était appliquée, elle aboutirait à désarmer le peuple soviétique (…).

Ce n’est pas parce que l’U.R.S.S. atteint les sommets de l’industrialisation, ni sous prétexte qu’en U.R.S.S. la production a pour seul but de satisfaire aux besoins de la consommation, que l’économie soviétique doit se séparer du communisme en en déplaçant le centre de gravité sur l’industrie légère. »

Georgi Malenkov fut remplacé par un proche de Nikita Khrouchtchev, Nicolaï Boulganine.

Ce succès de Nikita Khrouchtchev poussa Vyatislav Molotov à rentrer dans la bataille : il tint alors au Soviet Suprême un discours particulièrement critique sur la politique étrangère menée. Le conflit fut inévitable, surtout alors que Nikita Khrouchtchev et Nicolaï Boulganine partirent à Belgrad en mai et en juin 1955, afin de rétablir les relations avec la Yougoslavie titiste.

Vyatislav Molotov resta sur ce point fidèle à la ligne de l’époque de Staline, suivant lequel la Yougoslavie était un État fasciste : cela lui valut un blâme de la part du Comité Central lors de sa session de juillet 1955.

Vyatislav Molotov avait également affirmé dans un discours, le 8 février 1955, que :

« À côté de l’Union Soviétique, où les fondations d’une société socialiste ont déjà été construites, il y a également les démocraties populaires, qui n’ont fait que le premier pas, même si hautement important, en direction du socialisme. »

Cela impliquait que le socialisme n’avait pas été construit en URSS, seulement ses fondations. Il dut se résoudre à écrire une lettre d’autocritique à ce sujet dans la revue Kommunist, à la fin de l’été 1955, ce qui montre l’approfondissement de sa mise à l’écart entre les deux dates.

Sa position était alors carbonisée et en juin 1956, alors que Tito allait en visite à Moscou, il fut au préalable remplacé par Dimitri Shepilov à la tête du ministère des affaires étrangères, afin de bien souligner le nouveau rapport à la Yougoslavie.

Parallèlement, Lazare Kaganovitch était également rentré dans la bataille. Il fut nommé président d’un nouveau Comité d’État sur le travail et les salaires en mai 1955, mais les discours qu’il tint, notamment celui du 7 novembre 1955, soulignaient l’importance de la théorie marxiste-léniniste.

Cela lui valut d’être éjecté de son poste en juin 1956 et nommé en septembre ministre de l’industrie des matériaux de construction. Entre-temps avait eu lieu le XXe congrès.

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