L’ALF britannique: une charge révolutionnaire

En 1983, l’ALF mena notamment une quarantaine d’actions et provoqua des centaines de milliers d’euros aux laboratoires Mimms dans le Hertfordshire, plus d’un million d’euros de dégâts au Park Davis Laboratorium de Cambridge. Elle libéra 15 chiens de l’université de Cambridge, dont on s’aperçut qu’ils avaient été issus de vols dans les rues. 5 600 animaux furent libérés cette année-là.

L’ALF britannique commença également à véritablement essaimer sur le plan international, avec notamment cinq raids menés par les défenseurs autonomes des animaux en Allemagne, ou encore les 1,4 million d’euros causé dans une attaque contre un laboratoire à Utrecht aux Pays-Bas. Une militante alla également aux Etats-Unis pour former des activistes et la première action fut la libération de 24 chats à la Howard University de Washington, dont certains étaient déjà estropiés.

Dans ce cadre émergea une autre organisation – générée par l’ALF, mais quittant ses fondamentaux par volonté d’aller davantage de l’avant sur le plan offensif : l’Animals Rights Militia (ARM – Milice des Droits des Animaux).

Le 30 novembre 1982, l’Animal Rights Militia envoya cinq lettres piégées :

– une à Margaret Thatcher, premier ministre ;

– une au ministre responsable de la législation sur les animaux ;

– une à chaque dirigeant des trois principaux partis d’opposition.

En février 1983, l’ARM envoya cinq nouvelles lettres piégées à des figures politiques, puis contre la haute commission canadienne (en raison des phoques), au ministre britannique de l’agriculture, à un chirurgien et à un responsable d’élevage de fourrures.

Il n’y eut que dans un seul cas une personne blessée de brûlures, dans le cas de la lettre au premier ministre.

En juillet 1984, un groupe de l’ALF envoya aux médias plusieurs bouteilles de shampoing de la marque Sunsilk contaminé avec des produits pour blanchir, obligeant l’entreprise à enlever ses produits des rayons, provoquant une perte financière conséquente.

Une action similaire d’envergure nationale fut menée par la suite : 50 barres chocolatées mars, pour lesquelles des singes connaissaient la vivisection pour connaître l’impact sur leurs dents, furent faussement empoisonnées dans les magasins, un petit papier l’expliquant ; en réalité, seules trois barres l’étaient réellement et furent envoyées aux médias. Il en coûta plusieurs millions d’euros à l’entreprise pour enlever ses produits des rayons.

Ce choix – qui relève d’une forme particulièrement discutable, tout comme les lettres piégées de l’ARM – reflète la profonde professionnalisation des cadres de l’ALF, qui utilisaient désormais du matériel professionnel, tels que des scies électriques, des diamants pour briser les fenêtres sans bruit, etc.

C’est ce niveau technique qui fournissait la base pour des actions comme la libération de 150 animaux des laboratoires Brocades à Braintree, mais qui permettait également une généralisation du concept.

L’ALF réussissait se développer de manière exponentielle, avec d’un côté des actions simples telles que des lettres et appels téléphoniques de menace, des slogans sur les murs, des dégradations, etc., de l’autre des opérations de libération d’animaux dans les fermes et les laboratoires, et au milieu des destructions de vitres de commerces, des incendie de véhicules, etc.

En un sens, cela posait la question du pragmatisme : fallait-il mener des actions simplement du moment qu’elles étaient techniquement réalisables ? La question n’apparaissait pas alors de manière claire, de par les immenses succès de l’ALF. En 1985, 6 000 animaux avaient été libérés, 400 actions avaient été menées, causant environ 15 millions d’euros de dégâts. L’ALF se développait toujours davantage et possédait un tel élan que la victoire apparaissait comme possible si l’engagement était prolongé et élargissant ses modalités.

C’était là une lecture mécanique, l’ALF ne saisissant pas son rapport à la lutte de classes, s’imaginant un combat moral non politique traversant la société britannique. La question des avancées et des reculs, de choix tactiques et stratégiques, ne fut pas correctement saisie et il en résulta deux importants contre-coups, dont les conséquences allaient être immenses.

Le premier choc, allant à contre-courant des avancées, tout en étant leur inévitable prix, était la vague d’exclusion réalisée par la BUAV, l’Union Britannique pour l’Abolition de la Vivisection, fondée en 1898.

Dès la première vague des actions de l’ALF, la BUAV qui était une organisation d’envergure nationale, avec une légitimité historique, avait pris un positionnement favorable et prêté ses locaux aux ALF Supporters Groups à partir de 1981.

La revue bimensuelle de la BUAV, The Liberator, rapportait également favorablement les actions de l’ALF.

Cependant, la partie la plus conservatrice de la BUAV voyait bien qu’à terme, l’organisation convergerait toujours plus ouvertement avec l’ALF. Or, la démarche restait ancrée dans une perspective institutionnelle et la montée en puissance de l’ALF possédait une telle charge révolutionnaire que cela impliquait un tournant pratiquement social-révolutionnaire.

La radicalité de l’ALF avec sa négation de toute participation institutionnelle, le développement d’actions toujours plus violentes, provoqua une situation de crise, que l’ALF ne fut pas en mesure de gérer, aboutissant à l’éviction de ses cadres et sympathisants de la BUAV.

La perte de l’activité de la BUAV en écho à ses propres actions fut un rude coup à la diffusion de l’ALF comme proposition stratégique. C’était un isolement, qui permit à l’État de former une contre-offensive idéologique et culturelle, aboutissant à la mise en place d’une répression ouverte, auparavant très difficile par rapport à l’opinion publique.

Le 5 décembre 1984, Scotland Yard avait déjà mis en place un groupe dédié à la lutte contre les activistes de la libération animale. En janvier 1986, il fut en mesure de former en 1986 un Animal Rights National Index, avec des fonctionnaires se spécialisant en ce domaine, avec désormais la généralisation de l’infiltration, des écoutes, des micros, etc.

Chaque commissariat a alors un fonctionnaire spécialisé dans la question de la répression de la libération animale.

La période 1984-1986 posait ainsi le premier défi à l’ALF, qui avait posé sa proposition stratégique, mais qui devait désormais savoir comment la faire avancer, dans un processus révolutionnaire qui la dépassait cependant totalement de par l’inexpérience politique de ses cadres.

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