L’Algérie française, colonisation de peuplement

L’Algérie est, initialement, une province de l’empire ottoman, formant à partir de 1515 la régence d’Alger. La côte, connue comme côte des Barbaresques, est une base historique de la piraterie qui sévira terriblement jusqu’au début du 19e siècle.

L’empire ottoman en 1829.

La montée en puissance de la France par le développement du capitalisme ne pouvait qu’aboutir à l’expansion dans cette zone caractérisée par le despotisme asiatique – la simple reproduction de la vie sociale dans des villages isolés sous la dépendance de cléricaux et de forces liées à la puissance centrale.

Seul l’émir Abd el-Kader tenta de s’opposer à la pénétration française, au moyen de la « guerre sainte » centralisée depuis une « capitale mobile » consistant en une « smala » de 30 000 personnes en mouvement.

Avec sa reddition, la France conclut la principale phase soumission militaire de l’ensemble de l’Algérie, commencée en 1830 par Alger.

A la suite du débarquement à Sidi Ferruch, un plaque fut installée, où l’on pouvait lire :

« Ici le 14 juin 1830,

par l’ordre du roi Charles X,

sous le commandement du général de Bourmont,

l’armée française vint arborer ses drapeaux,

rendre la liberté aux mers,

donner l’Algérie à la France. »

Les trois départements français d’Algérie – Alger, Constantine, Oran – furent fondés dès 1848, alors qu’un processus de colonisation s’organisait, au moyen d’une population européenne encouragée par la France à s’installer.

Carte de l’Algérie française de la moitié du XIXe siècle,
avec les trois provinces d’Alger, Oran et Constantine.

Il y a, dès 1847, 109 400 Européens colonisant l’Algérie, dont un peu moins d’une moitié de Français. Il y en a 189 000 en 1861 et 430 000 en 1886, 553 000 en 1901 et 881 000 en 1931 (pour un peu plus de six millions d’Algériens)

C’était, initialement, une colonisation agraire. Furent donnés aux Européens 343 387 hectares durant la période 1851-1861, 391 000 hectares durant la période 1871-1880, 176 000 hectares durant la période 1881-1890, 120 000 hectares durant la période 1891-1900.

A cela s’ajouta les achats de terre, participant à l’émiettement de territoires relevant auparavant de la propriété communautaire, bouleversée par la colonisation.

En 1954, 2 726 000 hectares appartenaient aux Européens, soit plus du tiers des terres agricoles.

Cependant, ce processus avait été rapidement marqué par la naissance de grands propriétaires. Les exploitations coloniales étaient 26 153 en 1930, elles n’étaient déjà plus que 22 037 en 1954 et surtout, 6385 exploitants se partageaient 87 % des terres de colonisation, 70 % des revenus.

Almanach du Petit Colon Algérien,
par Alphonse Birck, 1893.

Il est donc tout à fait erroné de considérer que la population européenne en Algérie relevait de la politique coloniale agricole ; elle était déjà mise à l’écart de ce processus et, de fait, elle n’avait nullement intérêt, objectivement, à la défense des terres agricoles européennes.

Elle était déjà, en pratique, urbanisée et, pour la renforcer, le décret Crémieux de 1870 naturalisa les personnes juives, alors que la loi du 26 juin 1889 naturalisa automatiquement les fils d’étrangers, sauf en cas de refus explicite.

Cela fit que la communauté européenne formait, en 1954, un bloc homogène, 79 % des gens étant par ailleurs nés en Algérie, 80 % vivant dans les villes (en 1872 la proportion était de 60%).

Le seul aspect relativisant cette homogénéité est l’antisémitisme virulent à l’encontre de la minorité juive forte de 140 000 personnes, qui néanmoins s’affaiblit toujours davantage.

La population algérienne musulmane était, quant à elle, étrangère à cette vie urbaine, même si 19% d’entre elle habitait en 1954 dans les villes, un processus très récent puisque 20 années auparavant, le chiffre n’était que de 11 %.

A cela s’ajoute également les 300 000 hommes partis travailler pour quelques années dans la métropole.

La population algérienne musulmane vivait avant la colonisation dans les conditions du despotisme asiatique : les villages étaient autosuffisants et menaient une sorte de vie collective encadrée par des éléments féodaux, alors que le pouvoir central prélevait une taxe.

La colonisation développa la propriété moderne, bouleversant alors ce cadre où l’économie ne faisait que se reproduire, sans progression.

La conséquence fut la formation de différentes couches sociales dans les campagnes. En 1930, 1,1 % des propriétaires possédaient 21 % des terres, les 70 % les plus pauvres n’en possédant que 23 %.

La ville d’Alger, en 1910.

Mais ce bouleversement matériel n’a pas concerné la superstructure. La population algérienne musulmane a refusé de participer aux institutions françaises, car elle entendait maintenir le droit religieux.

Le statut « coranique » disparaissant en cas de naturalisation, la population algérienne a considéré le statut de l’indigénat comme une sorte de mondre mal dans la mesure où il maintenait le droit islamique.

Pour cette raison également, seulement 14,6 % des enfants – principalement des garçons- allaient à l’école élémentaire (le chiffre était de 6 % en 1929).

Pourtant, la modification de la base matérielle provoquait une exploitation provoquée par la pénétration du capitalisme : le choc était en conséquence inévitable. Restait à savoir s’il allait s’exprimer dans une révolution démocratique, comme en Chine avec Mao Zedong, ou dans le fondamentalisme, comme cela sera justement le cas.

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