Le FLN n’avait, ainsi, aucun projet de révolution agraire, aucune ambition de révolution démocratique : son seul objectif était anti-colonial, le « peuple algérien » étant un bloc sans classes.
Gilbert Meynier est un historien très connu de l’Algérie, d’esprit anti-colonial ; voici comment, dans son Histoire intérieure du FLN qui fait 800 pages, il présente la nature du programme du Front de Libération Nationale.
« Dans les textes du F.L.N., l’objectif à atteindre est la libération de la domination coloniale de la société algérienne, unanimement mobilisée à cette fin.
Le programme, si l’on peut parler de programme à propos de textes épars dont quelques uns seulement ont une cohérence démonstrative, est un « contre-programme » dont les chapitres sont autant d’articles portant destruction du système colonial.
La plate-forme de la Soummam met sur pied un Etat et non un changement social.
Sous une teinture marxisante redevable à la personnalité de l’un des principaux rédacteurs, [l’ex-député PCF, exclu pour nationalisme, Amar] Ouzegane, et destinée durablement à recouvrir des marchandises diverses, elle ne mentionne la société algérienne que sur le mode fonctionnel de différentes couches dites la composer : il n’y a ni exploiteurs ni exploités, il y a des paysans, des travailleurs, des intellectuels… sans parler des jeunes et des femmes : la moitié de la population est mise sur le même plan que diverses catégories socio-professionnelles.
Le peuple est déclaré uni dans un le combat libérateur. Mais, pour l’après, c’est le grand silence. »
Cela explique la stratégie du FLN, qui ne fut jamais une guerre populaire, mais une ligne de terrorisme cherchant l’appui du peuple.
A aucun moment, il n’y aura de mobilisation générale des masses sur le plan militaire : le FLN visera toujours la formation d’une élite militaire pratiquant le terrorisme et cherchant l’appui de la population au moyen des valeurs féodales.
Le FLN suivait, sur le plan des mœurs, une tendance fondamentaliste rigoriste, acceptant la polygamie, la répudiation, s’opposant à la définition française de « divorce » et voyant en les initiatives françaises sur ce plan une « nouvelle atteinte à l’islamisme ». L’adultère était punie de peine de mort, alors que les hommes avaient une large marge de manœuvre, allant jusqu’au viol.
La propagande du FLN désigne d’ailleurs les soldats français comme des « soldats-femmes », des « soldats parfumés » ; les femmes sont mises à l’écart, malgré tous les discours de la gauche anti-communiste française ou de Frantz Fanon : celles présentes dans le maquis sont à 42 % infirmières, 44 % cuisinières ou blanchisseuses.
Le FLN pratiquait un bureaucratie terroriste, exigeant des femmes qu’elle ne se fasse pas photographier, obligeant les hommes à ne pas porter de béret, à ne pas aller au cinéma, à ne pas se plaindre à la justice, à ne pas appeler de médecin, à ne pas payer les impôts, à ne pas envoyer les enfants à l’école.
Le non respect des consignes aboutit aisément à la mutilation, au meurtre : des hommes ont le nez coupé pour avoir fumé alors que le tabac était considéré comme étranger à l’Islam, d’autres sont tués. Des homosexuels sont assassinés.
Dans la Wilaya numéro 4, la simple lecture de documents communistes est passible de la peine de mort.
A ces milliers d’exécutions s’ajoutent les purges dans le FLN et dans sa branche armée l’Armée de Libération Nationale, faisant des milliers et des milliers de victimes. Des centaines de personnes sont massacrées dans la nuit du 13 au 14 avril 1956 dans ce qui sera qualifié « la nuit rouge de la Soummam » dans la région de Basse-Kabylie.
En 1957, 374 habitants du village de Melouza sont massacrés sous prétexte d’être proches du Mouvement national algérien concurrent ; le FLN accusera l’État français d’avoir commis cette action. Le Mouvement national algérien, la dernière tentative d’organisation de Messali Hadj, verra pratiquement 10 000 de ses partisans massacrés par le FLN.
La direction du FLN en arrive même à se questionner si l’effet le plus choquant, au sens du plus efficace dans la guerre psychologique, est l’égorgement ou la pendaison.
Il fut aisé pour l’État français de jouer sur cet aspect. Après l’échec de l’opération française « Oiseau bleu » – un contre-maquis passant avec armes et bagage dans le FLN qui avait infiltré le recrutement – la « bleuite » fut mise en place.
Il s’agissait d’une opération d’intoxication, visant à faire croire au FLN qu’il avait été infiltré au moyen des indépendantistes présents à Alger : dans la foulée, le FLN d’une des wilayas mena une vaste campagne de torture dirigée par un ancien collaborateur de la Gestapo, Ahcène Mahiouz, accompagnée de milliers d’exécutions.
A un moment, la torture fut systématiquement menée par l’armée française, mais c’était également le cas par le FLN : pointes en bois enfoncées sous les ongles, entailles au couteau remplies de sel alors que la personne était ensuite placée au soleil, supplice de l’hélicoptère (suspension au-dessus d’un brasier avec le dos brisé par de très lourds poids), etc.
Toutes ces atrocités furent passées sous silence par la gauche anti-communiste, ou bien excusées en suivant l’approche de Frantz Fanon ; l’historien Gilbert Meynier parle ainsi pudiquement de « violence anthropologique » pour ce qui relève de la barbarie dans l’esprit féodal.
Cela explique le choix de la date de la Toussaint, de la fête des morts dans le catholicisme, pour le démarrage de l’action armée, avec 70 attentats le premier novembre 1954, quelques civils étant tués dans l’opération.
Et cela explique l’engrenage sanglant choisi par le FLN par la suite, avec du côté français la réponse militaire généralisée, basculant dans la torture.
L’armée française a, en effet, été dès le départ, au centre du maintien de l’ordre en Algérie française : dès le 26 novembre 1954, elle pratique des ratissages dans les Aurès, puis pendant les quinze premiers jours de novembres dans la région de la grande Kabylie, ainsi que dans l’Ouenza, à la frontière tunisienne.
Suivirent alors les grandes « opérations » : l’opération « Aloes » en grande Kabylie, l’opération « Véronique » dans les Aurès, l’opération « Violette » également dans les Aurès.
A partir de février 1955, le contingent atteignit 80 000 hommes, et en avril, l’état d’urgence fut proclamé, avec instauration de la censure préalable en Algérie.
Le contingent passa à 100 000 hommes en mai, alors qu’en arrière-plan la torture était devenue une méthode essentielle de l’armée française, avec également des exécutions sommaires. Dès décembre, le contingent consistait en 190 000 hommes.
Cette montée en puissance est à comparer à ce qui se passait en Tunisie et au Maroc, dont l’indépendance est reconnue au mois de mars 1956. La présence d’un million de Français modifiait entièrement la donne de la question coloniale.
Le processus ne pouvait, ainsi, que faire boule de neige : en mars 1956, le contingent était de 250 000 hommes, suivi en avril du quadrillage militaire d’Alger, qui comptait pratiquement 600 000 habitants.
Lorsque le FLN développa alors le terrorisme ouvert, visant de manière explicite des civils, l’engrenage fut immédiat, immédiatement appuyé par les forces coloniales les plus agressives.
Le processus est difficile à cerner dans les faits, mais très facile à comprendre en ce qui concerne la question de ligne générale.
Le FLN n’avait aucune conception idéologique ; il représentait la petite-bourgeoisie intellectuelle se plaçant dans l’orbite du féodalisme et tentant de lancer un mouvement de masses et de profiter du climat général mondial de décolonisation, afin que la France quitte l’Algérie de manière unilatérale, en « laissant les clefs ».
Sa seule orientation, c’était par conséquent la fuite en avant, d’où la grande tolérance et finalement le soutien envers la logique des massacres, y compris de civils, jusqu’aux enfants, comme lors des terribles massacres d’août 1955 dans le Constantinois.
Ce massacre fut, d’ailleurs, le vrai point de départ de la guerre d’Algérie. L’opération consista en une attaque de 36 lieux où vivait la population européenne, 123 personnes se faisant indistinctement massacrées.
Les Français présents en Algérie se sentaient quant à eux uniquement reliés à la métropole, de manière symbolique du moins ; concrètement, ils vivaient de manière entièrement séparée culturellement et idéologiquement des masses colonisées, tout en étant très éloignés dans l’esprit des mentalités dans la métropole.
Des secteurs entiers, y compris populaires, étaient donc sensibles à la logique d’un contre-terrorisme de type loyaliste, dans une démarche ouverte de rupture avec la vie politique dans la métropole.
Il y a ici une clef essentielle, au niveau des mentalités, de ce qui se passera par la suite.
Le mouvement phare historique de ce processus sera initialement l’Organisation de la résistance de l’Algérie française (ORAF), qui mena de nombreux attentats, dont celui de la rue de Thèbes dans la Casbah d’Alger, le 10 août 1956, faisantt 16 morts et 57 blessés.
Cependant, l’ORAF ne doit pas être compris comme une organisation d’auto-défense : elle s’insère dans le départ dans des réseaux militaires et politiques. C’est pourquoi l’ORAF participa à ce qui va aboutir à la « bataille d’Alger », en janvier 1957.
A la suite des attentats contre des civils menés par le FLN, notamment le 30 septembre 1956 contre le Milk Bar et de la Cafétéria (4 morts et 52 blessé au total), le général Massu reçu les pleins pouvoirs et « nettoya » Alger au moyen de 8000 parachutistes, à quoi répondent des centaines d’attentats du FLN (pour l’anecdote, significative par ailleurs, le Milk Bar existe encore à Alger, la rue s’appelant désormais Larbi Ben M’hidi, du nom du responsable du FLN ayant lancé l’opération d’attentat contre ce bar).
Le film de Gillo Pontecorvo « La Bataille d’Alger » retrace cet épisode terrible où la torture fut généralisée, dépassant totalement la lutte contre les attentats, avec la prépondérance généralisée de la direction militaire.
La militarisation s’accompagna de la progression numérique du contingent en Algérie, qui atteignit 450 000 hommes avec, qui plus est, 210 000 algériens musulmans engagés dans l’Armée française.