Si les ultras de l’armée avaient été écrasés aisément en raison de leur ligne entièrement idéaliste, il restait la population française en Algérie, un million de personnes vivant alors dans la hantise de ce qui allait lui arriver.
Étant donné qu’il était évident qu’elle risquait de se faire sacrifier – ce sera l’alternative connue sous l’expression « la valise ou le cercueil » – une minorité décida d’aller à l’affrontement avec l’État.
C’était ici la convergence des ultras non liés directement à l’armée, c’est-à-dire d’un côté des partisans les plus farouches du nationalisme, des thèses d’extrême-droite, de l’autre des éléments populaires exprimant un attachement sentimental à l’Algérie considéré comme leur véritable pays.
Ceci explique le succès immense de l’Organisation armée secrète en Algérie française, fondée dans la foulée de la semaine des barricades à Alger et dirigée par le général Raoul Salan, Jean-Jacques Susini et Pierre Lagaillarde.
Elle était considérée comme le dernier rempart à la fois de l’Algérie française, mais également de la sécurité face au FLN qui, de son côté, continuait les attentats contre les civils.
L’OAS, évidemment, était incapable d’être réellement centralisée et de posséder une ligner idéologique cohérente. Elle multiplia les attentats et les meurtres, tant contre des représentants de l’État que contre la gauche en général, emportée par une logique ultra-nationaliste toujours plus sanglante.
Le décalage était alors complet avec l’interprétation qui était faite de l’OAS en Algérie d’un côté, dans la métropole de l’autre.
Voici l’exemple d’un tract syndical de février 1962 (CGT, CFTC, UNEF, SGEN, FEN, SNI) :
« TOUS EN MASSE, ce soir à 18 30, place de la Bastille »
Les assassins de l’OAS ont redoublé d’activité. Plusieurs fois dans la journée de mercredi, l’OAS a attenté à la vie de personnalités politiques, syndicales, universitaires, de la presse et des lettres.
Des blessés sont à déplorer ; l’écrivain Pozner est dans un état grave. Une fillette de 4 ans est très grièvement atteinte. Il faut en finir avec ces agissements des tueurs Fascistes. Il faut imposer leur mise hors d’état de nuire.
Les complicités et l’impunité dont ils bénéficient de la part du pouvoir, malgré les discours et déclarations officielles, encouragent les actes criminels de l’OAS.
Une fois de plus, la preuve est faite que les antifascistes ne peuvent compter que sur leurs forces, sur leur union, sur leur action. Les organisations soussignées appellent les travailleurs et tous les antifascistes de la région parisienne à proclamer leur indignation, leur volonté de faire échec au fascisme et d’imposer la paix en Algérie. »
Cette manifestation fut réprimée de manière sanglante, huit personnes mourant étouffées à la station de métro Charonne alors qu’elle cherchait à fuir la police, amenant un million de personnes à cesser le travail en région parisienne le 13 février pour marcher de la place de la République au cimetière du Père-Lachaise.
Cependant, il ne faudrait pas penser que l’OAS serait seulement critiquée par la gauche. Le régime lui-même a poursuivi implacablement l’OAS, y compris au moyen de barbouzes, de structures clandestines comme « Le Talion » pratiquant les attentats, la torture, les meurtres, parfois en liaison directe avec le FLN, comme dans la torture et le meurtre de Camille Petitjean.
L’armée dut également faire le siège du quartier populaire algérois de Bab El Oued, en mars 1962, afin de déloger l’OAS, n’hésitant pas à tirer sur un rassemblement non-armé pro-OAS lors du massacre de la rue d’Isly, faisant au moins 67 morts et 200 blessés, alors que 15 000 civils sont arrêtés par la suite.
En mai 1962, on peut considérer que l’OAS faisait un attentat tous les quart d’heure à Alger, alors qu’à un moment la ville d’Oran fut même sous son contrôle.
C’était une combinaison hors-normes d’une révolte populaire et d’une démarche ultra-nationaliste illuminée, qui allait marquer entièrement l’extrême-droite française, dont la stratégie devint alors, à partir de là, l’attente d’une nouvelle rencontre de ce type.
Les aspects démocratiques, déjà galvaudés par l’esprit colonial, affaiblis par l’existence en tant que telle d’une classe ouvrière locale (la population non française servant de main d’œuvre avec de toutes manières une production industrielle venant surtout de la métropole), disparurent entièrement avec la direction d’extrême-droite et l’OAS ne pouvait bien entendu qu’échouer.
Aussi, à l’indépendance algérienne, plus de 800 000 personnes de nationalité française rejoignirent la métropole, alors que quelques heures avant la proclamation de l’indépendance, au moins 700 européens furent torturés et massacrés, sans que l’armée française n’agisse.