Il est courant dans l’historiographie bourgeoise de présenter le sixième congrès comme produisant une ligne sectaire, « classe contre classe », et le septième comme renversant totalement la mise en perspective. Le sixième congrès aurait considéré que la social-démocratie était « social-fasciste » et le septième aurait à l’inverse prôné une alliance avec elle.
Cette lecture est naturellement entièrement fausse, bien entendu. Il n’y a aucune différence d’analyse de la social-démocratie entre les deux congrès ; dans les deux cas, il s’agit de conquérir la base ouvrière de la social-démocratie, tout en réfutant la direction de celle-ci.
Ce qu’il y a, à l’arrière-plan, c’est une différence de période.
Au moment du sixième congrès, en 1928, la social-démocratie a le dessus dans les pays capitalistes ; elle profite de la stabilisation relative du capitalisme pour exclure les communistes autant que possible, à tous les niveaux.
Les communistes sont alors hors-jeu ; même quand ils parviennent comme en Allemagne, à avoir une base se masse – 300 000 membres, un million d’organisés dans les structures du front, six millions de voix aux élections – ils sont marginalisés socialement vivant comme dans une bulle.
Le Parti français est également exemplaire d’un repli sur soi sectaire et, même, sur des fondements syndicalistes révolutionnaires plus qu’autre chose.
En 1935, au moment du septième congrès, la crise générale du capitalisme s’est par contre déjà réaffirmée de manière systématique et le sol s’est retiré de sous les pieds de la social-démocratie ; la misère se généralisant, la marche à la guerre et le fascisme ruinent totalement ses prétentions sociales-pacifistes.
Au lieu d’un « capitalisme organisé », on a eu une crise certes contenue relativement, mais au moyen d’une rationalisation capitaliste agressive de 1921 à 1932, sur le dos des masses. Et celles-ci ont finalement commencé à se mettre en branle.
Il y a eu une opposition prolétarienne grandissante ; l’Angleterre a connu une grève générale en 1926 puis toute une vague la prolongeant (plus de 300 000 ouvriers en grève en 1930, 490 000 en 1931, 379 000 en 1932).
Les ouvriers de Vienne se sont soulevés en 1927, la république espagnole a été proclamée en 1931 après le renversement de la monarchie, alors que les grèves se multipliaient qui plus est (710 en 1931, 830 en 1932, 1499 en 1933) ; plus de 300 000 ouvriers polonais firent grève en 1932 (et 450 000 en 1933), plus de 180 000 en Grèce en 1934, etc.
La crise de 1929 a fait, dans ce cadre, passé le nombre de chômeurs dans les 34 pays industrialisés de 6,5 millions à plus de 29 millions ; en Allemagne le total des salaires des ouvriers, employés et fonctionnaires était passé de 44,5 milliards de marks en 1929 à 26 milliards en 1932, aux États-Unis le total des salaires des ouvriers était passé de 17,2 milliards de dollars en 1929 à 6,8 milliards de dollars en 1932.
La social-démocratie avait prétendu après 1918 que le capitalisme était désormais organisé, que la mondialisation de l’économie impliquait la paix, qu’elle était capable de peser dans le bon sens, que le niveau de vie s’élèverait.
En 1935, tout cela apparaissait comme vain tellement les socialistes avaient prouvé leur erreur.
Lorsque la monarchie espagnole s’était effondrée en 1931, les socialistes n’avaient pas voulu engager une révolution ininterrompue au socialisme et avaient laissé en place les forces armées réactionnaires. C’était une bombe à retardement, alors qu’en 1934 la révolte des mineurs dans les Asturies avaient amené un passage à la lutte armée.
Lorsque, en janvier 1932, les socialistes allemands furent chassés du gouvernement de Prusse et remplacés par un commissaire impérial, ils rejetèrent les propositions communistes, tout comme ils les rejetèrent au moment où Hitler fut nommé chancelier en janvier 1933.
Lorsque l’austro-fascisme fit son coup d’État en 1934, les dirigeants socialistes refusèrent d’ouvrir leurs caches d’armes pour armer les travailleurs et l’écrasement fut ainsi complet, alors que Vienne formait un bastion prolétarien acquis aux socialistes par ailleurs établis sur une ligne très à gauche et littéralement pro-URSS.
Les avertissements communistes s’étaient avérés justes et la base ouvrière ne pouvait que le reconnaître. Dans ce contexte, l’initiative antifasciste française à la suite du 6 février 1934 se posait comme exemple à suivre.
Cependant, cela impliquait de ne pas se rater et de bien calibrer le processus où les communistes feraient la conquête de l’hégémonie dans le mouvement ouvrier. C’est pourquoi le septième congrès établit le principe du Front populaire.
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