Au 16e siècle, le Japon a un paysage social et politique qu’il est facile de comprendre. Il y a d’un côté des paysans, de l’autre côté des seigneurs de la guerre, les Daimyo, contrôlant des zones plus ou moins grandes, chacun étant en concurrence avec l’autre afin de prendre le dessus.
Toute la fin du 15e siècle et l’ensemble du 16e siècle connurent ainsi des affrontements sans fin, la période étant historiquement appelée par la suite Sengoku, soit « ère des provinces en guerre ».
Il y a bien alors un Tennō, un empereur, dont la famille est régnante depuis plus d’un millénaire, mais son rôle est tout à fait secondaire par rapport aux incessants affrontements des factions guerrières, alors que parfois un chef militaire prenait le dessus dans l’empire, jouant le rôle de Shogun, c’est-à-dire de gouverneur militaire.
Le pouvoir finit alors, après des décennies d’affrontements des principales factions s’étant formées, par revenir à deux figures unissant l’une après l’autre une vaste partie du pays : Oda Nobunaga (1534-1582), puis Toyotomi Hideyoshi (1537-1598). On notera qu’en japonais, le prénom est en seconde position.
Tokugawa Ieyasu (1543-1616) prendra leur relais, inaugurant la prédominance du clan des Tokugawa, inaugurant la période dite du shogunat et installant sur la base de petits villages une nouvelle capitale, Edo, qui prendra par la suite à l’ère moderne le nom de Tokyo.
Il sera succédé par Tokugawa Hidetada (1605-1623), Tokugawa Iemitsu (1623–1651), Tokugawa Ietsuna (1651–1680), etc., jusqu’en 1867 où le clan est renversé par l’empereur, alors que le capitalisme a commencé à s’élancer et a pris une tournure militariste.
La longue période de la prédominance des Tokugawa est en effet marquée par deux phénomènes contradictoires façonnant toute l’identité nationale du Japon.
D’un côté en effet, le clan des Tokugawa impose un régime particulièrement structuré et organisé. Le pays est entièrement fermé sur lui-même, les échanges avec les Européens passant seulement par un comptoir de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales sur l’île artificielle de Dejima. Ces échanges relèvent d’ailleurs du monopole de l’Etat central, comme les mines.
Le christianisme est interdit et le régime place au premier plan le confucianisme, prônant une société patriarcale entièrement statique, avec un empereur accompagné d’une Cour, les deux étant purement symboliques, le bouddhisme dans sa version japonaise et le shintoïsme (comme culte de l’empereur) devenant de simples religions d’arrière-plan.
La société est concrètement divisée en quatre classes totalement figées : les guerriers (appelés samouraïs), les paysans, les artisans, et enfin les commerçants.
Les Daimyo, au nombre de 250, font office des gestionnaires régionaux ; une année sur deux ils sont dans la capitale Edo, et lorsqu’ils n’y sont pas leurs familles doivent y rester, en quelque sorte comme otages.
Chaque Daimyo ne peut d’ailleurs posséder qu’un seul château fortifié. Basiquement, ce château était entouré d’un fossé, puis des résidences des samouraïs, puis d’un cercle de temples et de mausolées, puis enfin d’un cercle de résidences d’artisans et de marchands avant un nouveau fossé.
Il existe cependant de grandes différences entre ces Daimyo. Le clan Tokugawa disposait d’un territoire produisant chaque année quatre millions de kokus de riz (un koku équivalant à cinq boisseaux), avec au moins 17 000.
Les vingt clans les plus importants derrière disposaient d’entre 100 000 et un million de kokus, avec chacun au moins 10 000 guerriers. Les soixante clans les plus faibles disposaient seulement de 10 00 kokus, avec un peu moins de 380 guerriers.
Et en cas de mérite ou de contrariétés (sauf dans les cas de liquidation avec toute sa famille), chaque Daimyo se voyait remettre un autre territoire ; durant toute la période Tokugawa, ce fut le cas de 14 grands clans, 195 clans intermédiaires, 238 petits clans, ce qui implique le déplacement de deux millions de personnes (550 000 guerriers et leurs familles et serviteurs).
Cette question des guerriers est essentielle alors. Ceux-ci, désormais sans réelles activités et n’exploitant plus directement les paysans, se doivent de servir entièrement leurs Daimyo, qui restent en place comme gouverneurs militaires et qui les rémunèrent.
Ce n’est pas tout : les guerriers doivent suivre une règle stricte, de type patriarcal complet, qui sera appelé le bushido, avec notamment le suicide rituel à la mort de leur maître. Les guerriers sont ainsi d’un côté une élite placée au-dessus des paysans, des artisans et des marchands, mais leur situation sociale varie énormément, leurs positions étant extrêmement hiérarchisées.
En un sens, la situation des paysans est pratiquement plus aisée : ceux-ci ne sont pas soumis au militarisme patriarcal et possèdent même leurs terres ; ils peuvent faire ce qu’ils veulent du moment qu’ils paient les taxes, directement en riz, et qu’ils ne possèdent aucune arme. Cela est relatif naturellement, car tout dépend juridiquement et militairement du Daimyo.
C’est un régime féodal de type encadré, comme à la fin du moyen-âge européen, à ceci près que la structure militaire massive reste prédominante, ce qui rapproche ici de la civilisation islamique, avec ses villes-forteresses fondées sur un esprit de garnison. On a le militarisme de la civilisation islamique mais non urbain, c’est l’agriculture qui est au centre, comme en Europe.
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