Le congrès de Tours et l’affrontement quant à la question de l’adhésion à l’Internationale Communiste

Le 18e congrès de la SFIO s’est tenu du 25 au 30 décembre 1920 à Tours ; il est le prolongement direct du congrès précédent, qui s’est tenu à Strasbourg, sur le plan des idées, et bien entendu en ce qui concerne le principe fédéral. On a des délégués d’une fédération votant dans un sens, d’autres dans un autre sens ; la tradition est celle, socialiste, du Parti comme lieu de convergence.

Cependant, la base s’est cependant élargie, d’environ 30 %. Il y a un engouement et une attraction toujours plus grande pour la révolution russe, alors que l’Internationale Communiste, très faible à sa fondation, gagne en ampleur et en organisation : la tenue de son second congrès, en juillet 1920, bouleverse littéralement l’impression qu’on a d’elle.

C’en est fini de l’hypothèse, dominante à Strasbourg, du mouvement ouvrier français comme îlot préservé des tempêtes sur la carte du socialisme international. La question se pose simplement : se mettre à l’heure de Moscou, ou pas. Le second congrès de l’Internationale Communiste a une aura telle que l’issue semble d’ailleurs inéluctable et les opposants à l’adhésion à la nouvelle Internationale savent dès le milieu de l’année que tout est plié pour eux.

Cela va leur laisser d’autant plus le temps de mettre en place un stratagème ingénieux pour torpiller le congrès de Tours. Cela va être facilité par le dédoublement des deux tendances en présence.

Le congrès de Tours de la SFIO en 1920

On a ainsi comme tendance principale celle de Marcel Cachin et de Ludovic-Oscar Frossard, qui est pour l’adhésion immédiate à l’Internationale Communiste, et celle de Jean Longuet et Paul Faure, qui s’y oppose.

Cependant, la première tendance se voit dédoublée par celle de Georges Leroy et Maurice Heine, deux syndicalistes révolutionnaires ayant participé à l’aventure du « Parti Communiste » – « Fédération Communiste des Soviets ». Ils considèrent qu’il faut affirmer bien davantage la rupture avec la droite et le centre du Parti ; dans les faits, il s’agit en fait surtout d’une tentative de prendre le contrôle de la direction en se présentant comme les seuls ayant été vraiment en rupture depuis le départ.

La seconde tendance est, elle, dédoublée par celle de Léon Blum et Dominique Paoli. Tout comme la motion Leroy – Heine se veut la motion Cachin – Frossard en plus poussée, la motion Blum – Paoli se veut la motion Longuet – Paul Faure en plus dure, en plus anti-bolchevik.

L’ambiance est ici paradoxale : d’un côté il y a l’habituelle fraternité socialiste dépassant les tendances, dans une perspective de cohabitation et d’acceptation des autres tendances même si on les récuse, etc. De l’autre, les contradictions sont trop fortes et imposent les antagonismes.

Paul Vaillant-Couturier résume la situation de la manière suivante. Lui-même avait participé à toute la guerre mondiale de manière très volontaire (cinq citations à l’ordre de l’armée, médaille militaire, Croix de guerre 1914-1918), mais en était sorti socialiste convaincu et il deviendra une grande figure des communistes.

Paul Vaillant-Couturier en 1921

Il fut d’ailleurs extrêmement populaire ; à son décès en 1937 à 45 ans, des centaines de milliers de personnes accompagnent le cercueil à travers Paris, avant le Père-Lachaise (il fut le premier communiste enterré là-bas, ce qui ouvrit une tradition par la suite).

« Il ne s’agit plus de donner à une motion le nom d’un homme, mais d’en regarder l’esprit, de voir quelle est la grande crise qui nous divise.

Il y a ici des hommes qui ne peuvent plus collaborer dans le même parti. Il faut le dire.

Quelque douleur que nous ayons à l’avouer, il y a ici des hommes qui ne peuvent plus travailler ensemble. Ils se retrouveront peut-être sur certains terrains pour des actions communes.

Je serais désolé de penser que je ne me rencontrerai pas parfois avec mes camarades Sembat, Bracke, Boncour, pour mener certaines batailles.

J’espère, lorsque les batailles de cette nature viendront, que, contrairement à l’expérience de l’histoire, les social-patriotes ne seront pas du côté de la bourgeoisie pour nous faire la guerre.

Je compte sur eux pour qu’ils évitent ce geste, contrairement à l’expérience de l’histoire. Mais je ne me fais pas d’illusions, je sais que certains d’entre eux vont être entraînés, attirés par le flot bourgeois, malgré eux.

Je sais que cela doit arriver fatalement ; je sais que la bourgeoisie, à l’issue de ce Congrès, tournant des yeux attendris vers vous, va vous couvrir de fleurs. (Applaudissements.)

Je sais que cela se produira fatalement. Mais j’espère que vous aurez la force d’âme de résister au chant de toutes ces sirènes… (Mouvements divers.)

Je ne désespère pas de voir certains d’entre vous, éclairés par les faits, revenir vers nous, car un homme peut toujours s’être trompé, car un homme peut toujours avoir eu des illusions sur ce qui était son devoir. »

Ce qui est flagrant, tout au long du congrès de Tours, c’est que personne ne voulait la scission, tout le monde affirme vouloir l’éviter.

En même temps, il y avait deux camps exprimant deux orientations opposées : en pratique, le Parti socialiste SFIO se retrouvait piégé par l’Histoire, réfutait ce piège, mais devait en sortir coûte que coûte pour subsister dans un sens ou dans un autre.

=>Retour au dossier sur le congrès de Tours du Parti socialiste SFIO en 1920 et la fondation de la Section Française de l’Internationale Communiste