L’opération Corse se déroula le 24 mai 1958, soit le lendemain d’une réelle cimentation de l’alliance entre l’armée et les réseaux gaullistes. La veille, des Comités de salut public avaient été fondés à Ajaccio et Bastia.
Dans ces deux villes, le 24, les 800 « paras » du premier bataillon du onzième choc occupèrent les principaux bâtiments administratifs, Calvi et Corte suivant rapidement. Seule la mairie de Bastia résista pendant quelques temps à l’occupation (avec le premier adjoint PCF au maire de Bastia chantant symboliquement la Marseillaise), aux côtés de la mairie et de la sous-préfecture de Sartène.
Le chef des « paras » était le Corse Ignace Mantei, alors que le député corse Pascal Arrighi joua ici un rôle moteur pour les appuyer, permettant un appui populaire à l’initiative qui surprit beaucoup alors.
Dès le 21 mai, il lançait sur Radio-Alger l’appel suivant :
« Il y a quinze ans, la Corse, premier département français libéré, se plaçait sous l’autorité du général de Gaulle. Les Corses se doivent de continuer cette tradition et d’être à la pointe du combat. Constituez, partout, des comités de salut public. »
Le chef du gouvernement légal, Pierre Pflimlin, affirma ainsi à la radio RTF que si « l’insubordination des Algériens était compréhensible », inversement « la rébellion des Corses est inexcusable ». La Corse connut dans la foulée un blocus maritime et aérien.
Mais c’est qu’à côté de Pascal Arrighi, on trouvait Henri Maillot, simple conseiller municipal d’Ajaccio, mais surtout cousin de de Gaulle et figure de la libération de la Corse pendant la seconde guerre mondiale.
C’est lui qui, au nom du Comité de salut public d’Ajaccio et accompagné de l’ancien député Antoine Serafini, affirma le 26 mai 1958, à l’occasion d’un dépôt d’une gerbe aux Monuments aux Morts, que :
«Nous voulons que la France grandisse au lieu de diminuer, et nous aussi, Corses, avons peur d’être un jour abandonnés. C’est pourquoi, nous avons été les premiers à nous rallier à un mouvement national. »
La prise du pouvoir en Corse s’appuya ainsi indéniablement sur une dimension gaulliste ; c’est d’ailleurs de Gaulle qui poussa à cette initiative, de peur de voir le coup d’État s’enliser. François Mitterrand, dans Le coup d’État permanent publié en 1964, raconte de la manière suivante cet épisode :
« Le ministre Pflimlin branle mais ne part pas. L’Assemblée nationale fléchit mais cherche à échapper à l’étreinte. Ici on envisage la formation d’un cabinet Naegelen, Mollet ou Lacoste.
Là on met au point une réforme constitutionnelle. Bref, on biaise.
Mais si l’on tergiverse à Paris on tergiverse aussi à Alger. Les dirigeants de Paris craignent de n’être pas obéis. Les militaires d’Alger craignent le conseil de guerre.
Le général de Gaulle qui a déjà relancé la rébellion par son intervention du 15 mai comprend qu’il faut créer l’irréparable, trancher le nœud gordien.
Ah! la pure légitimité qui se flattait vingt ans plus tôt d’avoir pour compagnons l’honneur et la patrie! La voici maintenant qui recrute ses spadassins. La rébellion ne suffit pas? La sécession complétera l’escorte.
Un commando arrache la Corse au territoire métropolitain. Ce sont des gaullistes qui atterrissent à Ajaccio. Ce sont des gaullistes qui les reçoivent et leur prêtent main-forte. Ce sont des gaullistes qui d’Alger arrivent à la rescousse. »
Naturellement, l’histoire bourgeoise n’a jamais fait l’effort d’analyser « l’Opération Corse », ses tenants et aboutissants. Il aurait alors fallu en effet alors montrer comment les réseaux gaullistes étaient mêlés aux milieux mafieux, notamment corses, dès 1945, une chose très connue par ailleurs pour la période suivant 1958, avec notamment le « Service d’Action Civique » où l’on retrouve une figure comme le Corse Charles Pasqua.
Une figure d’importance fut ici également l’activiste d’extrême-droite Jean Baptiste Biaggi, maurassien héros de la Résistance ayant fondé le Réseau Orion faisant évader des Français vers l’Espagne.
On avait également l’anticommuniste Jean-Jacques Susini, qui jouera par la suite un rôle majeur avec l’OAS ; c’était un habitant de l’Algérie française, le quart des deux millions d’Européens étant d’ailleurs d’origine corse.
Dès le lendemain du coup d’État militaire du 13 mai 1958 en Algérie, on eut également un appel du général Massu, chef du Comité de salut public d’Alger, spécifiquement destiné aux familles des « paras », qui fut diffusé à Ajaccio par un groupe de jeunes activistes regroupés autour de Ambroise Fieschi et Marien Spinosi.
Jules Moch, ministre de l’Intérieur, envoya un télégramme aux préfets où la situation était présentée ainsi :
« Une poignée de factieux vient d’annuler en Corse un siècle d’efforts démocratiques. Il s’agit d’une sédition criminelle menée par une poignée de militaires et de civils dont le geste rappelle les pronunciamientos sud-américains. »
Sa tentative d’envoyer des CRS pour écraser la révolte fut bloquée dès l’arrivée des troupes par avion en Corse, par l’armée. La Corse était passée dans les mains des gaullistes, en liaison avec l’Algérie française aux mains de l’alliance armée – de Gaulle.
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