Le Front populaire avait triomphé en Espagne en 1936, mais le nouveau président du Conseil, Santiago Casares Quiroga, n’a pas cru en la possibilité d’un coup militaire, et ce jusqu’au bout. Il démissionna le 18 juillet 1936, remplacé très brièvement par Martínez Barrio qui essaya de négocier avec les putschistes.
C’est alors José Giral qui devient président du Conseil et arme les masses pour résister au coup d’État. Et il envoie un message à Léon Blum :
« Sommes surpris par dangereux coup de main militaire. Vous demandons de vous entendre avec nous pour fourniture d’armes, d’avions. Fraternellement. »
Initialement, Léon Blum est d’accord, ainsi que le ministre de la Défense Édouard Daladier et le ministre de l’air Pierre Cot. Ils décident que l’entreprise reste secrète, mais immédiatement la nouvelle de la visite de deux généraux espagnols à la base aérienne du Bourget s’évente dans la presse.
La question s’empare de tout le pays, la droite étant acharnée contre un soutien qui rendrait la frontière espagnole instable, refusant de soutenir le Front populaire espagnol de toutes façons.
Léon Blum se rend alors, naïvement, à Londres, en espérant le soutien britannique, mais le Premier ministre conservateur Stanley Baldwin refuse tout soutien. Et, dès son retour à Paris, les radicaux avec Édouard Herriot s’opposent à l’initiative de soutien à l’Espagne, ce qui est également la position du « président républicain » modéré Albert Lebrun.
Ce dernier expose le problème ainsi, en plein Conseil des ministres :
« Ce que vous voulez faire, ce que vous avez commencé à faire peut avoir des répercussions infinies. Cela risque de signifier ou bien la guerre extérieure ou bien la révolution intérieure. »
Léon Blum pense alors à quitter le gouvernement, cependant il cède. Il a alors une idée : proposer une non-intervention générale des différents pays. Cela lui permet de sauver l’honneur en apparence, d’aider au moins indirectement le Front populaire espagnol, de maintenir l’affirmation d’une ligne « pacifiste » sur le plan international.
Il se justifie de la manière suivante, lors d’un meeting de la Fédération socialiste de la Seine du Parti socialiste-SFIO, début septembre 1936. Au moment où il parle, la ville d’Irun vient précisément de tomber dans les mains des franquistes en raison du manque de munitions, alors que celles-ci sont en attente à quelques centaines de mètres, dans des wagons bloqués par les douanes françaises.
« Vous avez entendu l’autre soir, au Vélodrome d’Hiver, les délégués du Front Populaire espagnol ; je les avais vus le matin même. Croyez-vous que je les aie entendus avec moins d’émotion que vous ?
Quand je lisais comme vous dans les dépêches le récit de la prise d’Irun et de l’agonie des derniers miliciens, croyez-vous par hasard que mon cœur n’était pas moins déchiré que le vôtre ?
Et, est-ce que vous croyez, d’autre part, que j’aie été subitement destitué de toute intelligence, de toute faculté de réflexion et de prévision, de tout don de peser dans leurs rapports et dans leurs conséquences les événements auxquels j’assiste ? Vous ne croyez rien de tout cela, n’est-ce pas ?
Alors, si j’ai agi comme j’ai agi, si j’agis encore comme j’estime qu’il est nécessaire d’agir, il faut qu’il y ait des raisons à cela, il faut bien qu’il y ait tout de même à cette conduite des motifs peut-être valables, je le crois, en tout cas, intelligibles (…).
Ne vous étonnez pas si nous en sommes venus à cette idée : la solution, ce qui permettrait peut-être à la fois d’assurer le salut de l’Espagne et le salut de la paix, c’est la conclusion d’une convention internationale par laquelle toutes les puissances s’engageraient, non pas à la neutralité — il ne s’agit pas de ce mot qui n’a rien à faire en l’espèce — mais à l’abstention, en ce qui concerne les livraisons d’armes, et à l’interdiction de l’envoi en Espagne de matériel de guerre.
Nous sommes arrivés à cette idée par le chemin que je vous trace, chemin sur lequel nous avons connu, je vous l’assure, nous aussi, quelques stations assez cruelles. Je ne dis pas que nous n’ayons pas commis d’erreurs, je ne veux pas nous laver de toute faute possible. Qui n’en commet pas ? (…)
Je suis un Français — car je suis Français — fier de son pays, fier de son histoire, nourri autant que quiconque, malgré ma race, de sa tradition. Je ne consentirai à rien qui altère la dignité de la France républicaine, de la France du Front Populaire. Je ne négligerai rien pour assurer la sécurité de sa défense.
Mais, quand nous parlons de dignité nationale, de fierté nationale, d’honneur national, oublierons-nous, les uns et les autres, que, par une propagande incessante depuis quinze ans, nous avons appris à ce peuple qu’un des éléments constitutifs nécessaires de l’honneur national était la volonté pacifique.
Est-ce que nous lui laisserons oublier que la garantie peut-être la plus solide de la sécurité matérielle, il la trouvera dans les engagements internationaux, dans l’organisation internationale de l’assistance et du désarmement ?
Est-ce que nous avons oublié cela ? Je crois que vous ne l’avez pas oublié.
En tout cas, moi, je vous le répète, j’ai vécu trop près d’un homme et j’ai reçu trop profondément en moi son enseignement, j’ai gardé trop présent et trop vivant devant mes yeux le souvenir et le spectacle de certaines heures… j’ai tout cela en moi trop profondément pour l’oublier jamais, et y manquer jamais. »
La proposition de non-intervention fut officiellement acceptée par 27 pays (l’URSS socialiste ; les pays démocratiques : France, Belgique, Danemark, Irlande, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède, Tchécoslovaquie ; les dictatures : Albanie, Allemagne, Autriche, Bulgarie, Estonie, Finlande, Grèce, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Portugal, Roumanie, Turquie, Yougoslavie).
Un comité, dont un moteur initial fut le président français Albert Lebrun, devait procéder aux vérifications, avec le Britannique Ivor Windsor-Cliv comme président. Les zones maritimes à la frontière franco-espagnoles étaient surveillées avec vigueur par le Royaume-Uni et l’Italie ; la France observait des zones à l’autre bout de l’Espagne.
En pratique, et ce dès le départ l’Allemagne, l’Italie et le Portugal ne se privèrent pas de soutenir militairement le coup d’État, et en conséquence l’URSS socialiste affirma très rapidement qu’elle envisageait les choses désormais différemment, fournissant une aide massive à la République espagnole.
Léon Blum décida alors d’une « non-intervention relâchée », tolérant de fait le trafic d’armes à la frontière franco-espagnole, et des achats de matériel français officiellement pour le Mexique, en pratique pour l’armée républicaine.
Quant à une intervention militaire française, il n’en fut jamais question. C’eût été provoquer la déchirure révolutionnaire dans le pays, et Léon Blum n’en voulait absolument pas.
L’épisode espagnol marque la première grande rupture au sein du Front populaire. Sa base ne comprend pas l’absence de soutien, et le Parti Communiste Français mène de son côté une campagne énorme en faveur de l’Espagne.
Les premiers engagés dans les Brigades Internationales quittent d’ailleurs Paris à la mi-octobre 1936, après avoir été recruté par l’intermédiaire des communistes.
On notera également que le Front populaire a également échoué à empêcher à une participation française aux jeux olympiques d’été à Berlin, capitale de l’Allemagne nazie. Les jeux alternatifs à Barcelone, mis en place par les communistes et leurs alliés, et dénommés « Olympiades populaires », furent immédiatement interrompus par le coup d’État fasciste, amenant nombre d’athlètes à prendre les armes en défense de la République.
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