Le gamonalisme au Pérou

Le gamonalisme est un terme qui n’existe pas en français ; c’est une retranscription du mot espagnol, qui désigne la domination « gamonale », c’est-à-dire celle des grands propriétaires terriens (avec les haciendas) qui sont en même temps des notables.

Le terme est employé spécifiquement pour les Andes, le Pérou, l’Équateur, la Bolivie.

José Carlos Mariátegui a l’intelligence de comprendre que même si de manière formelle la loi prétend des choses, il y a la réalité humaine.

José Carlos Mariátegui

Les êtres qui portent un mode de production sont réels. Ils agissent et interagissent selon comment ils ont été façonnés par l’Histoire.

Il constate ainsi que, malgré les apparences, le féodalisme est bien resté en place au Pérou.

Et il souligne bien que la situation des Indiens est relative à ce féodalisme. Il n’est pas un auteur « post-colonial » qui se fonde sur les identités.

« Le « gamonalisme » invalide inévitablement toute loi ou ordonnance de protection indigène.

Le propriétaire foncier, le latifundiste, est un seigneur féodal.

Face à leur autorité, soutenue par l’environnement et les coutumes, la loi écrite est impuissante.

Le travail gratuit est interdit par la loi, et pourtant le travail gratuit, et même le travail forcé, subsistent dans les latifundia.

Le juge, le sous-préfet, le commissaire, l’instituteur, le percepteur, tous sont asservis aux grands domaines. La loi ne peut prévaloir contre les gamonales.

Tout fonctionnaire qui persisterait à l’appliquer serait abandonné et sacrifié par le pouvoir central, auprès duquel les influences du gamonalisme sont toujours omnipotentes, agissant directement ou par l’intermédiaire du Parlement, par les deux moyens avec la même efficacité (…).

Le chef local d’aujourd’hui, comme l’encomendero d’hier, n’a guère à craindre de la théorie administrative. Il sait que la pratique est différente.

Le caractère individualiste de la législation républicaine a incontestablement favorisé l’absorption des biens indigènes par de grands domaines.

La situation des Indiens, à cet égard, a été abordée de manière plus réaliste par la législation espagnole.

Mais la réforme juridique n’a pas plus de valeur pratique que la réforme administrative, face à un féodalisme dont la structure économique demeure intacte.

L’appropriation de la plupart des biens communaux et individuels indigènes est déjà accomplie.

L’expérience de tous les pays issus du système féodal nous montre, en outre, que le droit libéral n’a pu fonctionner nulle part sans la dissolution du fief.

L’hypothèse selon laquelle le problème indigène est un problème ethnique est alimentée par les idées impérialistes les plus dépassées.

Le concept de races inférieures a servi l’Occident blanc dans son œuvre d’expansion et de conquête.

Espérer l’émancipation indigène d’un croisement actif de la race aborigène avec des immigrants blancs relève d’une naïveté antisociologique, concevable seulement dans l’esprit rudimentaire d’un importateur de moutons mérinos.

Les peuples asiatiques, auxquels les Indiens ne sont en rien inférieurs, ont admirablement assimilé la culture occidentale, dans ses aspects les plus dynamiques et créatifs, sans transfusions de sang européen.

La dégénérescence de l’Indien péruvien est une invention bon marché des juristes féodaux.

La tendance à considérer le problème indigène comme un problème moral incarne une conception libérale et humanitaire du XIXe siècle, inspirée par les Lumières, qui, dans l’ordre politique occidental, anime et motive les « Ligues des Droits de l’Homme ».

Les conférences et sociétés antiesclavagistes en Europe, qui ont dénoncé, plus ou moins sans succès, les crimes des colonisateurs, sont nées de cette tendance, qui a toujours fait un usage excessif de ses appels au sens moral de la civilisation. »

José Carlos Mariátegui reconnaît le caractère central de la question indienne et il dénonce les « libéraux » et les « conservateurs » qui ont toujours refusé de l’affronter, ou bien seulement en mettant en avant une philosophie humanitaire.

Mais cette question, il le souligne tout le temps, n’est pas de nature ethnique. José Carlos Mariátegui se fonde toujours sur le principe du mode de production.

Toute question relevant de l’oppression forme un aspect démocratique, et cet aspect démocratique s’insère lui-même dans la tendance historique menant au socialisme.

José Carlos Mariátegui est toujours formel sur ce point.

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José Carlos Mariátegui et le matériau humain