Le golfe de Naples et le pays de Cocagne

De manière surprenante si on le met en relation avec les autres œuvres,Bruegel peint une bataille navale fictive dans un golfe de Naples très librement interprété. Le thème n’est pas religieux, on est dans le pittoresque et il y a même le volcan en éruption.

Pourquoi alors cette peinture ? L’arrière-plan de la Bataille navale dans le golfe de Naples est la visite de l’Italien avec le cartographe Abraham Ortelius.

Ce dernier, né et mort à Anvers, est l’auteur du premier atlas, publié en 1570 : le Theatrum Orbis Terrarum (Théâtre du Globe Terrestre), un ouvrage dont le succès fut retentissant.

Abraham Ortelius était bien entendu un proche du Flamand Gérard Mercator.

On remarquera comment Bruegel réussit de manière brillante à exprimer le mouvement, en particulier avec les vagues. Et on comprend bien qu’on n’a nullement ici affaire à un Bruegel « paysan ».

La différence avec Le Pays de Cocagne est d’autant plus soutenue. Cette peinture est également petite (environ 50 sur 70, comme pour la représentation de la bataille navale).

L’expression « Pays de Cocagne » désigne un pays imaginaire, où on peut satisfaire tous ses désirs en toute paresse. Elle apparaît au 13e siècle, dans l’itinérance d’ecclésiastiques défroqués ou des étudiants vagabonds, avec des chants et des poèmes notamment rassemblés en Allemagne dans l’œuvre appelée Carmina Burana.

On n’est pas non plus ici dans une référence religieuse, mais la référence critique est très claire, puisque les personnages représentés ne sont pas du tout des modèles à suivre. Ils sont passifs, leur démarche est grossière.

On notera les références flamandes : des galettes « poussent sur le toit » à gauche (ce qui veut dire « vive dans l’abondance »), et le cochon a un couteau sur la panse (« le cochon est saigné par la panse » voulant dire que par un coup marquant, la voie est libre).

Le rapport aux animaux morts est très étrange, correspondant à l’expression de la contradiction avec les animaux. Il y a un couteau dans l’œuf, mais des pattes en sortent également, ce qui souligne l’affrontement entre la destruction d’un œuf portant la vie à la base.

Il y a également de nombreux animaux morts, censés montrer la richesse alimentaire à une époque difficile, mais donnant une dimension sordide.

On notera l’homme attendant qu’une goutte lui tombe dans la bouche depuis la cruche, expression de paresse, en contradiction avec l’ouvrage et le papier à côté de lui : c’est un étudiant.

Auprès de lui, on a un chevalier (avec son page) et un paysan, tous deux avec leur arme ou leur outil à côté. Il y a également un quatrième homme, tout à droite, qui va les rejoindre : il a traversé tout une bouillie pour arriver, comme le dit le mythe, enfin au pays de cocagne.

On notera que la barrière au fond est faite de… saucisses, et que le cactus est fait… de pain.

Le fait d’avoir un cactus est d’ailleurs d’importance : la peinture date de 1567 et la chute de l’empire aztèque date de 1521. En quelque décennies, le cactus est déjà présent sur « le vieux continent ».

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