Dès la mort de Staline, les révisionnistes procèdent à une réorganisation fondamentale des services secrets. Il meurt le 5 mars 1953 et le jour même on a la fusion du ministère de la Sécurité de l’État avec le ministère des Affaires internes, puis la mise en place le 13 mars 1954 du fameux KGB (Komitet gossoudarstvennoï bezopasnosti, Comité pour la sécurité de l’État).
C’est une structure militaire, dont les tâches concernent tous les aspects de sécurité : renseignement extérieur, contre-espionnage, activités de renseignement opérationnel, protection des frontières, protection des dirigeants, organisation et garantie des communications gouvernementales, ainsi que répression des criminels, des nationalistes, des dissidents et des activités antisoviétiques en général.
Le KGB devait également fournir aux dirigeants un panorama général de la situation intérieure et extérieure, dans tous les domaines : politiques, économiques, militaires, culturels, etc.
Dans ce cadre, le KGB était présent partout. S’appuyant sur 14 comités dans les Républiques soviétiques, il était actif dans les villes et les régions, les districts civils et militaires, les unités de l’armée, les transports, les institutions universitaires et de recherche, les entreprises, etc.
En pratique, cela signifie que le KGB assume des fonctions qui relèvent normalement du ministère de l’Intérieur. C’est un superorganisme relevant d’une perspective de capitalisme monopoliste d’État.
Il n’a pas de comptes à rendre, à part la direction du Parti ; il agit en dehors de la juridiction, à qui il remet éventuellement ensuite les accusés.
Le règlement de 1959 établit bien ce panorama :
« 9. Pour accomplir les tâches qui leur sont assignées, le Comité de sécurité de l’État et ses organes locaux ont le droit de :
a) mener des travaux de renseignement et opérationnels afin d’identifier et de réprimer les activités hostiles dirigées contre l’Union soviétique, pour lesquels disposer des agents nécessaires, créer des refuges et des refuges pour travailler avec des agents ;
b) procéder à des perquisitions, détentions et arrestations de personnes exposées ou soupçonnées d’activités criminelles conformément à la procédure établie par la loi ;
c) mener des enquêtes sur les cas de crimes d’État avec le transfert ultérieur des affaires à la juridiction ;
d) prendre des mesures spéciales visant à identifier et à réprimer les activités criminelles des agents de renseignement étrangers et des éléments antisoviétiques ;
e) en cas de besoin, en accord avec les chefs de police, impliquer des agents de police pour assurer l’accomplissement des tâches des organes de sécurité de l’État ;
f) tenir des registres opérationnels des criminels d’État et des personnes faisant l’objet d’une enquête parce qu’elles sont soupçonnées d’appartenir à des agences de renseignement étrangères, de participer à des organisations antisoviétiques et d’autres activités hostiles ;
g) vérifier l’état du travail des services de cryptage et des bureaux secrets dans les ministères et départements, ainsi que dans les entreprises et institutions qui leur sont subordonnées ;
h) effectuer des contrôles spéciaux sur les personnes dont le service est lié à la préservation des secrets d’État et militaires, ainsi que sur celles voyageant à l’étranger et celles entrant en URSS à l’étranger ;
i) mener, sous la supervision du parquet, des enquêtes sur les cas de délits commis par des officiers, sous-officiers, employés et ouvriers du KGB, si les délits commis sont liés aux activités opérationnelles des agences de sécurité, avec les suites transfert des affaires à la juridiction ;
j) publier de la littérature, des supports pédagogiques et visuels sur des questions relevant de la compétence du Comité »
On a ici une grande différence avec le cadre socialiste précédent, qui insistait particulièrement sur la notion de droit. Le social-impérialisme soviétique fait sauter le droit et le KGB est là pour aménager les choses, avec cynisme et malfaisance.
Dans le cadre socialiste, la répression était liée aux contradictions dans le cadre de la lutte des classes, elle obéissait à la ligne décidée à tel ou tel moment par le Parti.
Le KGB agit lui dans un cadre où l’opposition ne peut pas exister, car la société est censée être socialiste et le Parti celui du peuple tout entier, comme l’affirme la constitution soviétique de 1977. Cela fait que le KGB agit de manière non officielle par principe, pour masquer des oppositions qui ne sont pas censées exister.
On est ici en plein terrorisme d’État, avec une dimension immense dans toute la société.
Le paradoxe est que, initialement, Nikita Khrouchtchev procède à un double affaiblissement de la structure. D’abord, il y a une réduction de moitié de son personnel. Cela ne va pas durer : le KGB va rapidement gonfler massivement ses effectifs, qui seront autour de 500 000 personnes.
Ensuite, le KGB n’est pas un organe central, mais un « département », relevant du Conseil des ministres.
Cela va toutefois être modifié en juillet 1978, le KGB ayant désormais le niveau d’un « comité d’État », en tant que « Comité de sécurité de l’État de l’URSS ».
On a ici l’apogée du KGB : son président depuis 1967, Iouri Andropov, a été élu membre du Bureau Politique en 1973 et il va devenir secrétaire général du Parti Communiste d’Union Soviétique en 1982, ainsi que président du Præsidium du Soviet suprême de l’URSS en 1983.
Qu’est-ce qui a changé ? C’est qu’il a fallu, dans le contexte de systématisation de la nomenklatura comme classe dirigeante, mettre en place une forme toujours plus terroriste.
Le KGB procède dans le pays par menaces, pressions psychologiques, tabassages, arrestations hors cadre juridique. Il infiltre, il sabote, il manipule, il utilise la rumeur, la désinformation, la provocation.
Il met à mal dans le domaine professionnel et personnel ; il déporte hors des grandes agglomérations.
Il agit de manière préventive, comme le souligne en octobre 1983 ce message de Victor Chebrikov , dirigeant du KGB de 1983 à 1988 :
« Dans le contexte d’une forte augmentation des tensions internationales et des activités clandestines et subversives de l’ennemi, le travail préventif des services de sécurité de l’État revêt une importance encore plus grande, car il constitue l’une des méthodes efficaces pour protéger notre État et notre société contre les empiétements des forces hostiles au socialisme.
À cet égard, le Collège du Comité de sécurité de l’État de l’URSS a jugé bon de s’adresser à la direction et aux agents du KGB dans une lettre intitulée ‘‘Mesures visant à améliorer le travail de prévention effectué par le service de sécurité de l’État’’. »
Le KGB n’attend pas que des initiatives se prennent, il agit le plus en amont possible, et il cherche à briser totalement, dès le départ.
Il enferme s’il le faut dans des prisons psychiatriques, où le prisonnier se voit placé dans des conditions d’enfermement sordides, pour être brutalisé, tabassé, recevoir des électro-chocs et des neuroleptiques, des comas hypoglycémiques artificiels, etc.
Il utilise également tous les leviers de l’opinion publique, notamment les médias. Cela fonctionnait naturellement de manière indirecte surtout, mais également directe : il y avait à ce titre un prix du KGB dans le domaine de la littérature et de l’art pour des écrivains, des réalisateurs, des acteurs.
Il y eut d’ailleurs des tentatives de faire comme le fait la superpuissance impérialiste américaine et de soutenir des films allant dans le sens d’une valorisation des services spéciaux (Opération Trust en 1965, Le Glaive et le Bouclier en 1968, Dix-sept Moments de printemps en 1973, L’option Omega en 1975, TASS est autorisé à déclarer… en 1984, ou encore la série Frontière d’État en 1980-1988).
Le dispositif est donc complet et la pression maximale. Ne pas s’aligner sur le Parti Communiste d’Union Soviétique et les exigences générales de la nomenklatura, c’était forcément se confronter au KGB, agissant comme force de frappe.
Le KGB organise une surveillance systématique quand il est lancé, depuis les écoutes téléphoniques jusqu’aux filatures, les lectures du courrier, etc. Il ne s’arrêtera pas tant qu’il n’aura pas mis au pas la personne ciblée, d’une manière ou d’une autre.
C’est une politique de l’écrasement, qui s’est systématisé de plus en plus. Il y a ainsi eu la mise en place de départements régionaux, avec une supervision de pratiquement toutes les entreprises et toutes les organisations du pays.
Aucun domaine n’échappe au KGB alors… à part, naturellement, les bastions de la classe dirigeante : le KGB ne pouvait pas toucher ni au Parti, ni à la nomenklatura, ni aux syndicats.
Comme il avait en plus la responsabilité de la sécurité des dirigeants, le KGB était ainsi fondamentalement le bras armé de la dictature du capitalisme monopoliste d’État.
Cela avait son prix, bien sûr. Ses membres étaient en général des privilégiés sur le plan social, avec un grand décalage par rapport au ministère de l’Intérieur et de l’armée.
Ses responsables pouvaient rejoindre de « bonnes places » dans le Parti et la nomenklatura, et inversement.
Et si le KGB était hyper discipliné, avec une grande surveillance quant à d’éventuels pots-de-vin et autres moyens de corruption, la position des membres du KGB était tel dans la société que même pour les pour les positions inférieures, il était facile de profiter des différentes situations sur le plan personnel.
C’était un jeu d’équilibriste entre la nomenklatura et le KGB pour le maintien du régime, alors que le complexe militaro-industriel était le vecteur d’une expansion générale. On est en pleine démesure du capitalisme monopoliste d’État.
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