Le KKE et la révolte de Tachkent

Lorsque le KKE décide de cesser la lutte armée, la DSE dut organiser son repli. 55 381 personnes, dont 17 352 enfants, quittèrent la Grèce.

Voici la répartition des réfugiés grecs dans les différents pays de l’est européen et l’URSS :

– Bulgarie : 3 021 dont 1 140 du KKE ;

– Hongrie : 7 253 dont 1 017 du KKE ;

– Pologne : 11 458 dont 3 132 du KKE ;

– Roumanie : 9 100 dont 1 279 du KKE ;

– Tchécoslovaquie : 11 941 dont 1 707 du KKE ;

– République Démocratique Allemande : 1 128 (uniquement des enfants)

– URSS : 11 980 dont 8 173 du KKE.

Environ 70 % des réfugiés venaient de la paysannerie ; environ un tiers était membre du KKE. En URSS, c’est l’Ouzbékistan qui accueillit les réfugiés, dans le quartier Politeies de la capitale Tachkent.

Le KKE tint rapidement son troisième congrès, du 10 au 14 octobre 1950, réaffirmant ses positions. Le prestige historique du KKE est alors très grand et lors du XIXe congrès du PCUS en octobre 1952, Níkos Zachariádis est mis en avant comme l’une des principales figures du mouvement communiste international.

Or, comme il est connu, le révisionnisme prit le contrôle du Parti Communiste d’Union Soviétique à la suite de la mort de Staline. Par conséquent, le révisionnisme soviétique devait également procéder à la transformation, de gré ou de force, du KKE.

C’est dans ce cadre que se produisirent ce qui fut connu sous le nom des « événements de Tachkent ». Le PCUS de Nikita Khrouchtchev lança une offensive en s’appuyant sur une petite fraction au sein du KKE. Les militants de ce dernier, au nombre d’environ 200 sur les 7500, prirent d’assaut le siège local du KKE, en septembre 1955.

Ce fut un échec et le résultat fut qu’il y eut des centaines de blessés, avec l’intervention de la police. Le KKE ne se démonta pas et, au Ve plénum du Comité Central en octobre 1955, dénonça les « éléments aventuriers » tant grecs que soviétiques.

C’est la première bataille anti-révisionniste ouverte, une page de gloire pour le KKE et son dirigeant Níkos Zachariádis.

Níkos Zachariádis

Ce dernier assuma entièrement sa position lors du XXe congrès du PCUS, qui se déroula peu de temps après, en février 1956. Mikhaïl Souslov, qui devint par la suite le principal théoricien de Léonid Brejnev, y demanda que les passages critiquant le PCUS soient éliminés de la position du Comité Central du KKE : Níkos Zachariádis refusa.

Au même moment, la justice de l’URSS révisionniste poursuivit pour « vagabondage » et « hooliganisme » des vétérans de la DSE, dont l’ancien général Giorgos Kalianesis et le lieutenant-colonel Dimitris Vyssios.

Les condamnés furent exilés en Sibérie, dans des camps juste adjacents à ceux de criminels de guerre nazis ; alors que les réfugiés grecs survivaient de patates pourries, les anciens nazis étaient considérés comme des prisonniers de guerre et ne travaillaient pas, recevant des aides régulières de la croix rouge allemande.

Devant le refus général du KKE de céder, le lendemain même du refus à Mikhaïl Souslov de Níkos Zachariádis, le PCUS organisa un comité afin de briser le KKE.

Ce comité était fondé de représentants des partis de Bulgarie, de Hongrie, de Pologne, Roumanie, de Tchécoslovaquie et d’URSS (respectivement Yugov, Kovac, Mazur, Dej, Barak, Kuusinen), et sa tâche n’était pas moins que d’organiser le VIe plenum du Comité Central du KKE.

Le dit plenum fictif se tint alors en mars 1956 en Roumanie et procéda à l’éviction de Níkos Zachariádis du poste de secrétaire général, alors qu’un autre plenum fictif, le VIIe officiellement, alla une année après jusqu’à accuser Níkos Zachariádis d’être un agent des services secrets anglais.

Níkos Zachariádis fut alors exclu du KKE fictif formé par le PCUS et exilé à Borovits, dans la banlieue de Moscou ; cet épisode de prise de contrôle par ce « comité » ne sera reconnu par le « KKE » révisionniste qu’en 1997.

Níkos Zachariádis tenta alors coûte que coûte de reprendre contact avec le KKE authentique à Tachkent, d’où en 1958, 6 000 communistes historiques envoyèrent une lettre aux Comités Centraux des partis d’URSS, de Chine populaire, d’Italie, de France, de Vietnam, de Cuba, de Corée, d’Albanie, de Bulgarie, de Pologne, de Hongrie, de Roumanie, de Tchécoslovaquie, protestant contre la liquidation du Comité Central historique.

Níkos Zachariádis tenta par la suite un coup politique en allant se réfugier, le 8 mars 1962, à l’ambassade de Grèce, demandant d’être rapatrié et jugé.

C’était un coup de maître : si l’opération réussissait, il aurait été en mesure de réapparaître politiquement et de réaffirmer la ligne rouge du KKE authentique.

L’URSS parvint cependant à remettre la main sur lui et l’exila à Sourgout, en Sibérie.

Le PCUS proposa alors à Níkos Zachariádis de reprendre son poste s’il cédait, mais celui-ci formula des conditions authentiquement révolutionnaires et donc inacceptables.

Níkos Zachariádis exigeait en effet de choisir ses collaborateurs et que le PCUS reconnaisse son rôle négatif à Tachkent, que le siège du KKE soit placé en Europe de l’Ouest, que les résolutions du 6e plénum en Roumanie soient annulés, que les réfugiés grecs présents à Tachkent puissent quitter l’URSS s’ils le voulaient.

La conséquence fut que Níkos Zachariádis devint alors un exilé sans aucune reconnaissance juridique ni existence officielle, sans aucun droit de voyager en URSS même.

Une autre initiative fut la décision de célébrer à Tachkent, le 27 mai 1962, l’opération historique menée par des membres du KKE ayant permis de hisser le drapeau grec à la place du drapeau nazi flottant sur l’Acropole à Athènes, le 30 mai 1941.

Le PC d’Ouzbékistan menaça d’une très dure répression quiconque soutiendrait l’initiative et de fait le 18 mai un responsable du KKE fut arrêté, la police tabassant ensuite de manière barbare les communistes représentant la ligne historique du KKE venus protester, soixante personnes étant arrêtées, puis des licenciements en masse eurent lieu, avec des perquisitions, des confiscations de biens, etc.

Les responsables du KKE furent arrêtés un par un, envoyés parfois en exil au Kazakhstan, recevant plusieurs années de prison.

Níkos Zachariádis mena de son côté, par la suite, au moins quatre tentatives d’évasion et deux grèves de la faim, tout en écrivant de nombreuses lettres pour appeler à la formation d’une ligne rouge.

Il ne se voit reconnu des droits politiques que le 16 juillet 1970, devenant officiellement un réfugié politique, avant de mourir trois années plus tard.

Le décès de Níkos Zachariádis est apparu immédiatement comme suspect, en raison du timing tout à fait particulier. En effet, en 1967 la Grèce au gouvernement républicain connut un coup d’État militaire et devint la « Grèce des colonels ».

Le Roi partit alors en exil volontaire et l’Armée gouverna en son nom, mais dès 1973, le régime était aux abois. Il organisa alors le 29 juillet 1973 un plébiscite républicain, alors que déjà en mai tout l’équipage d’un destroyer fit défection afin de demander l’asile politique et que quelques mois plus tard eut lieu la vaste révolte étudiante de novembre 1973.

Or, comme il était évident que le régime modifierait sa forme, prenant un aspect « démocratique », il fallait que le KKE révisionniste puisse y trouver une place. Cela était cependant impossible si Níkos Zachariádis revenait, étant donné que sa ligne était en contradiction formelle avec le révisionnisme du KKE.

C’est dans ce contexte que le KKE devenu révisionniste, publia une annonce expliquant que Níkos Zachariádis était mort d’une crise cardiaque le 1er août 1973.

Cette version fut rejetée entièrement par les anti-révisionnistes, qui considérèrent que cela masquait en réalité son meurtre par le KGB. D’ailleurs, jusqu’à aujourd’hui le dossier est officiellement top secret en Russie.

Níkos Zachariádis est d’ailleurs enterré en Sibérie sous le nom de Nicolaï Nicolayevits Nicolayev, garde-forestier né en Turquie, de nationalité grecque, avant d’être rapatrié en Grèce en 1991.

=>Retour au dossier sur le KKE et la démocratie populaire