En novembre 1925, le ministre de l’intérieur Camille Chautemps fit procéder à des perquisitions : sont visés les sièges de l’extrême-droite, plus précisément de l’Action française, des Jeunesses Patriotes, de la Ligue des chefs de section (une organisation nationaliste d’anciens combattants), du Faisceau.
La raison en était que les quelques maréchaux qu’avaient alors la France travaillaient sur l’hypothèse d’un coup de force, provoquant une certaine panique au gouvernement du Cartel des gauches.
Au cœur de cette logique putschiste, on a Hubert Lyautey. Ce fervent catholique et royaliste fut pas moins que ministre de la Guerre lors de la Première Guerre mondiale, avant de devenir maréchal de France, académicien et président d’honneur des Scouts de France.
De par sa situation, il a théorisé une sorte d’interventionnisme idéologique et culturel de l’Armée sur la société, dans Le rôle social de l’officier, un long article publié en mars 1891 dans la Revue des deux mondes.
Voici les extraits les plus significatifs, où l’on retrouve tous les principes développés par François de La Rocque : civilisation chrétienne, communion mystique, corporatisme, valeurs nationales supervisées par l’Armée :
« Pour ne citer que quelques noms parmi les guides écoutés de la jeunesse, trois hommes, éloignés d’origine et d’esprit, mais que bien de nobles traits rapprochent, M. Albert de Mun, M. [Louis] Melchior de Vogüé, M. Ernest Lavisse [figures du christianisme social, du social-patriotisme], ont reconnu cette bonne volonté, ce besoin de groupement pour une action commune, et s’efforcent de le féconder.
Le premier, pénétré de la gravité croissante de la question ouvrière et convaincu que seul le retour du peuple au christianisme en donnera la solution, groupe autour. de lui le petit bataillon de la jeunesse catholique militante.
C’est aux futurs ingénieurs, aux futurs industriels, aux futurs patrons qu’il demande leur concours, et encore à ceux-là seuls auxquels une foi commune permet de s’associer à son œuvre : c’est, par la force des choses ; parmi les élèves des établissements religieux que se recrutent presque exclusivement ses adhérents.
Le dernier exerce son ascendant incontesté sur la nombreuse jeunesse universitaire ; il a développé chez elle le sentiment de la solidarité, auquel il a donné une forme dans les associations d’étudiants.
En contact permanent avec elle, il lui enseigne le patriotisme actif, l’union généreuse, le devoir social : il s’adresse avant tout aux futurs professeurs, par qui son influence s’étendra sur la jeunesse de demain.
Entre les deux, M. de Vogüé, à qui, d’une part, son nom et ses origines, d’autre part, son talent d’écrivain et son sens très vif des grandeurs de notre temps donnent accès dans tous les camps (puisque camps il y a, hélas!), s’est fait une large place.
Se dégageant des questions de parti qui, dès le berceau, scindent aujourd’hui la nation en deux, des formules politiques, des étiquettes d’écoles, il s’est placé sur le terrain commun de l’action sociale.
A tous les privilégiés de l’intelligence, de l’éducation, de la culture, de la fortune, il rappelle que leurs premiers devoirs sont envers les humbles et les déshérités et convie les bonnes volontés de tous partis, de toutes confessions, de toutes philosophies, à communier clans « la religion de la souffrance humaine. » (…)
Incontestablement, il y a là un mouvement, un souffle de dévouement et de générosité. Il me semble que cette génération prenne conscience du grand rôle qu’elle pourrait remplir.
Et quel rôle !
A l’état de guerre haineuse et violente qui sépare stérilement les enfants du même sol, de parti à parti, de classe à classe, substituer la recherche pacifique et féconde des problèmes posés par la révolution industrielle et économique de ce temps : marcher, non plus la revendication ou la répression au poing, mais main dans la main, dans la large et noble voie du progrès social. »
Et Hubert Lyautey d’en déduire que l’officier est un « merveilleux agent d’action sociale », puisqu’il partage la peine de l’Armée dont les appelés proviennent de toutes les classes sociales, que le règlement empêche tout arbitraire.
Les officiers et sous-officiers doivent instruire leurs soldats, enquêter sur leur provenance, leurs mentalités, en quelque sorte les façonner en se fondant sur ce qu’ils sont. Une œuvre de pacification sociale s’ensuit, amenant le rejet de la lutte des classes : Hubert Lyautey est explicite sur ce point.
Il souligne d’ailleurs que cela confère aux officiers un rôle aussi important en temps de paix qu’en temps de guerre : le service militaire doit être un lieu de « solidarité », de « réconciliation », d’« effort en commun »…
Seule l’Armée peut réellement permettre concrètement cela, par ailleurs :
« Apprenez-leur aussi que sur les ruines des hiérarchies disparues, la nécessité sociale de la discipline, du respect et de l’abnégation ne cessera pas d’être, – et que l’armée sera toujours la meilleure, sinon la seule école, où s’apprendront ces vertus. »
Hubert Lyautey souligne d’autant plus cet aspect que, discrètement, au détour d’une phrase, il souligne d’ailleurs que désormais les officiers sont du « bon côté », c’est-à-dire royalistes et catholiques…
« Aujourd’hui, les préventions d’une fraction notable des classes éclairées contre le régime politique ont rejeté dans l’armée beaucoup des éléments où se recrutaient précédemment ces carrières de choix [conseil d’Etat, magistrature, administration]. »
Voici comment, enfin, Hubert Lyautey résume son approche :
« Le service obligatoire, strictement appliqué en faisant passer toute la nation par les mains de l’officier, a grandi dans la mesure la plus large son rôle d’éducateur.
La préparation du corps d’officiers à ce rôle, sa formation morale, intéressent donc la société toute entière.
Ce corps, par son recrutement, sa culture, est parfaitement apte à remplir ce rôle.
Il ne le remplit qu’imparfaitement, parce que, s’il y est apte, il n’y est nullement préparé, et que l’idée de sa mission sociale ne tient presque aucune place, ni dans son éducation, ni dans l’exercice de sa profession. »
Françoi de La Rocque avait là son idée de base. L’Armée fournissait le socle idéologique pour fournir au pays de quoi aller de l’avant, au-delà des différences.
A la mort d’Hubert Lyautey, en 1934, celui-ci sera par conséquent salué comme l’inspirateur personnel de François de La Rocque, comme celui qui avait conçu l’esprit des Croix de Feu. François de La Rocque salua sa contribution à « la coordination des énergies diverses et complémentaires dont est fait l’organisme national ».
Bien entendu, il n’y aura pas que François de La Rocque d’inspiré. Hubert Lyautey préfaça également Le rôle social de l’ingénieur de Georges Lamirand, en 1932. Ce dernier deviendra par la suite secrétaire d’État à la jeunesse du régime de Vichy.
Il influença de manière importante Ernest Mercier, fondateur de la Compagnie française du pétrole (ancêtre de Total) et organisateur d’un Redressement français, mouvement prétendument « apolitique » autour du maréchal Foch et ayant comme objectif de « rassembler l’élite et éduquer les masses ».
Raoul Dautry, un important cadre du gaullisme, se revendiquera directement d’Hubert Lyautey. Il en va de même pour Robert Garric, d’esprit catholique social, qui dans les années 1920 formera des « Equipes sociales », avant d’être directeur du Secours National durant l’Occupation, puis responsable de la Cité internationale universitaire de Paris et président du conseil d’administration de l’École des Roches, la plus chère et prestigieuse école entièrement privée.
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