Le matérialisme dialectique explique qu’il existe un saut qualitatif dans tout phénomène. Il y a un développement, dont la nature est quantitative, et à un moment la quantité se transforme en qualité.
Dialectiquement, il y a pareillement un développement dont la nature est qualitative, et à un moment la qualité se transforme en quantité.
C’est un paradoxe pour qui suit le cheminement habituel seulement et qui se voit confronté, du jour au lendemain, à une transformation. Le soleil « se lève » chaque jour, néanmoins à un moment le phénomène cessera, se transformant en raison de sa contradiction interne.
Ce principe du saut qualitatif éclaire le questionnement majeur de l’informatique, qui est de savoir si « p = np ».
Ce qu’on entend par là peut être expliqué de la manière suivante.
On réalise un puzzle de mille pièces, ce qui prend du temps. On vérifie ensuite qu’on a bien mené les choses. Or, la vérification est rapide.
Une opération complexe a ici un résultat simple à vérifier.
Il s’est alors posé la question suivante : dans une telle configuration, y a-t-il peut-être une opération simple qui soit possible également, ou bien existe-t-il forcément une contradiction entre l’opération et la vérification de la réponse ?
C’est ce qu’on formule par « p = np ? ». Une vérification rapide implique-t-elle la possibilité d’une opération de réalisation également rapide ?
Ce sont surtout les banques qui sont très inquiètes de cette question. Elles veulent savoir si un code peut être cassé uniquement en tentant quantitativement toutes les combinaisons, ou s’il existe une formule mathématique « magique » pour raccourcir massivement l’opération pour trouver le code.
Naturellement, ici le matérialisme dialectique comprend tout de suite qu’on parle ici de la quantité et de la qualité. Et, dialectiquement, le simple s’oppose au compliqué, le compliqué au simple.
Et même : si c’est simple, c’est compliqué ; si c’est compliqué, c’est simple.
Il y a également du simple dans le compliqué et inversement : c’est pour cela que la question est posée. Il y a étonnement, par incompréhension de la dialectique, qu’il y ait du simple (la vérification) dans le compliqué (le processus de réalisation).
Poussons ici encore la question, toutefois, et tournons-nous vers une question mathématique connue, celle du « problème du voyageur de commerce ».
Celui-ci doit parcourir différentes villes et cherche à minimiser la distance parcourue.
Imaginons qu’il parte de Paris et qu’il doive y retourner, après être passé par Amiens et Toulouse.
Ici, c’est simple : soit il fait Paris – Amiens – Toulouse – Paris, soit il fait Paris – Toulouse – Amiens – Paris. Il n’y a que deux choix possibles.
Maintenant, ajoutons une ville. Les choses se compliquent.
On a comme possibilités les parcours suivants :
Paris – Amiens – Bordeaux – Toulouse – Paris
Paris – Amiens – Toulouse – Bordeaux – Paris
Paris – Bordeaux – Toulouse – Amiens – Paris
Paris – Bordeaux – Amiens – Toulouse – Paris
Paris – Toulouse – Bordeaux – Amiens – Paris
Paris – Toulouse – Amiens – Bordeaux – Paris
Plus on va ajouter de villes, plus le nombre de solutions connaît une croissance exponentielle.
Lorsqu’on a cinq villes, il y a 12 parcours possibles, pour dix villes on en a 181 440, pour 15 villes on en a 43 milliards !
Cela surprend l’esprit, bien sûr.
Et c’est là où on aboutit à la question « p = np ». On est dans le domaine de l’informatique, notamment de la cryptographie. Imaginons un mot de passe : il est composé de différents caractères.
Pour le trouver par la « force brute », en essayant toutes les combinaisons possibles de caractères, il faut énormément de temps, de par le nombre immense de celles-ci.
Par contre, si on a le bon mot de passe, cela marche tout de suite.
C’est une contradiction.
Les informaticiens se demandent alors : si on peut rapidement vérifier qu’on a la bonne réponse, alors ne peut-on pas trouver un moyen de trouver celle-ci rapidement également ?
Autrement dit, il est demandé s’il n’existe pas un moyen magique, inconnu, de faire en sorte que la qualité de la vérification s’applique à la quantité de l’opération de recherche.
Une telle quête est absurde. Le matérialisme dialectique enseigne que la quantité s’oppose à la qualité ; il ne peut pas y avoir la qualité des deux côtés d’une contradiction…
Ce qui dit ainsi est faux, car relativement il existe la quantité dans la qualité et inversement. Sauf que cela joue surtout dans les moments de transformation. Et c’est précisément cela que les informaticiens ne voient pas.
Voyons cela. Pourquoi le problème a-t-il alors été posé, parce que de manière intuitive, tout le monde voit bien qu’un puzzle demande du temps et que sa vérification en prend moins, et qu’on ne voit pas comment il pourrait en être autrement ?
C’est qu’il y a la qualité dans la quantité, et la quantité dans la qualité. Voir le difficile, c’est se confronter au facile, et inversement ; faire face au lent, c’est connaître le rapide, et inversement.
Mais il y a autre chose encore. Il y a l’infini, justement. Il y a l’infini comme déchirure, comme expression de la contradiction.
Cet infini est exprimé lorsque la quantité devient qualité est inversement ; c’est le moment où les contraires se convertissent l’un en l’autre. Le nexus du processus est quand chaque pôle devient autant que possible l’autre pôle, tout en restant lui-même.
Cet infini est à la fois concret, car réalisé par et dans un phénomène, mais il est aussi abstrait, car un phénomène général.
Il faut bien saisir cela pour comprendre le problème. Comme on l’a constaté, plus on ajoute des villes au chemin du voyageur, plus l’opération pour trouver la solution devient complexe. La quantité apporte la qualité, et plus la première est présente, plus elle implique un saut qualitatif.
On est alors ici facilement pris par le vertige de l’infini. C’est ce qui arrive aux informaticiens. La présence plus importante de la qualité dans la quantité elle-même plus importante leur fait dire que, après tout, si la réponse est rapide, et qu’elle relève de la qualité, alors plus on complique les choses, plus cette qualité devrait être « pure » et apporter elle-même la quantité.
Il y a ici une ivresse devant la croissance exponentielle, devant l’infini. Il est espéré que plus il y a l’infini… plus on retombera sur le fini.
Ce que disent les informaticiens, c’est que si on a résolu un puzzle en dix heures, une fois qu’on l’a terminé et qu’on a vérifié que tout est bien, alors comme on a trouvé la solution déjà, on va déjà pouvoir refaire tous les puzzles de meilleure manière, bien plus rapidement.
Autrement dit : les informaticiens se disent qu’une fois qu’on a une réponse à un problème, même au bout d’un temps très long… le fait d’avoir découvert cette réponse permettra de trouver un meilleur moyen, plus court, pour la trouver pour un autre problème.
Il y a l’illusion de trouver moyen de passer par l’infini pour trouver le fini, de retrouver le temps court par le temps long. C’est la même illusion conceptuelle que le principe de la machine à remonter le temps.
C’est la négation de la dignité du réel d’un processus.
Donnons un exemple très concret, qui résoudra toute cette question facilement.
Imaginons qu’on fournisse à une intelligence artificielle de nombreuses données musicales et qu’on lui demande d’écrire une chanson agréable. On a le résultat au bout d’un certain temps. On va rapidement vérifier ce résultat.
Mais toute la question est la suivante : une fois que l’intelligence artificielle a fait son opération et a produit la chanson, et qu’on la valide… peut-on alors fournir à cette intelligence artificielle un moyen de vérifier que les prochaines chansons produites seront valables également ?
Ce dont on parle ici, c’est de la synthèse. Quand on apprend à faire du vélo, il faut un certain temps d’adaptation. Une fois qu’on sait en faire, on le retient et on ne perd plus cette capacité. On a réalisé une synthèse.
Cette synthèse porte le dépassement, l’infini. Mais ce n’est pas l’infini en soi. Ce n’est pas parce qu’on a synthétisé le fait de faire du vélo qu’on peut automatiquement synthétiser plus rapidement le fait de jouer du piano.
Il y a ici l’idée, de la part des informaticiens, d’une sorte de triche, d’opération magique pour contourner n’importe quel problème, au moyen du dépassement d’un seul problème.
Les informaticiens raisonnent de manière analytique, pas dialectique. Ils cherchent des rapports figés entre les choses, et pourtant ils voient l’infini. Alors, ils se disent qu’ils feraient bien de l’infini un moyen de retrouver le fini. Ils ne comprennent pas qu’un phénomène est réel, qu’un calcul porte une dimension réelle.
Ils s’imaginent que c’est virtuel, d’où la tentative de triche.
Le matérialisme dialectique reconnaît la dignité du réel. Et il considère que le temps n’existe que comme expression de l’espace matériel en transformation. Il n’y a pas de retour en arrière possible.
Lorsqu’on a réussi un puzzle, on peut le refaire, mais on ne le refait pas une première fois. Il en va de même pour le vélo, ou pour tout phénomène.
Lorsque la quantité est devenue qualité, il ne peut plus y avoir de retour en arrière à cette quantité.
Il faut reconnaître la dignité du réel : on ne parle pas abstraitement de quantité et de qualité, mais d’une quantité déterminée, d’une qualité déterminée.
Il n’y a pas de formule magique traitant de la quantité en général, de la qualité en général.
Il faut donc considérer deux choses. D’abord, que la quantité se transformant en qualité ne permet pas de modifier la qualité.
La cybernétique est donc impossible. La cybernétique, une idéologie réactionnaire américaine des années 1940 reprise par l’URSS social-impérialiste, prétend que la connaissance des données par une super-ordinateur permet à celui-ci de gérer au mieux les données.
C’est là penser que la quantité suffit en soi à devenir « qualité », sans processus vivant. C’est là également s’imaginer que le saut qualitatif permet de modifier la quantité donnant naissance à ce saut.
Cette quête d’une formule qualitative « agissante » sur la quantité est admirablement bien racontée dans la série de romans Fondation d’Isaac Asimov. Bien qu’indéniablement progressiste, le principe est celui de la découverte d’un algorithme qui permet la « psychohistoire ».
Un groupe, la « fondation », accompagne alors l’évolution de l’humanité, l’aidant de manière machiavélique à lui faire prendre des raccourcis pour éviter au maximum les peines, les souffrances, les troubles.
C’est naturellement erroné, car le saut qualitatif que serait une telle « psychohistoire » ne peut se réaliser que comme point culminant de la transformation. Ce qui est après ne peut pas être avant. On a ici la négation du principe de révolution ; ou inversement, cela reviendrait à dire que la révolution russe d’octobre 1917 permettrait de modifier la Russie des années 1900, 1890, 1880, etc.
Ensuite, la seconde chose à considérer est que plus un processus est complexe, plus il engage de matière et plus il porte donc la qualité. Et il faut faire attention : ce n’est pas seulement la qualité au bout du processus, mais la qualité au cours du processus lui-même.
C’est là où joue l’infini, vu par les immenses Spinoza, Hegel, Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao Zedong.
L’infini est transformation et inversement. Il serait erroné de considérer que la quantité n’est que quantité – cela serait de l’idéalisme, ce serait nier la nature de l’univers comme ensemble de vagues de matière.
Pour cette raison, même dans l’accumulation quantitative, avant le saut qualitatif, il y a forcément de la qualité à l’œuvre. Sans qualité, la quantité n’existerait pas – et inversement.
C’est pourquoi même le saut qualitatif comporte une dimension quantitative. On pourrait dire que c’est là où opère l’infini, mais cela aboutirait à l’idéalisme, à un fétichisme qui est précisément celui des informaticiens cherchent à voler cet infini pour trouver une formule magique jouant sur le fini.
Les alchimistes du passé avaient la même quête, avec la « pierre philosophale », et l’idée en général de formules magiques, de concoctions médicinales aux propriétés miraculeuses et universelles relève de la même tentative de triche.
Cette seconde considération sur l’existence de la qualité dans la quantité ramène à la première (comme quoi le produit synthétique d’un phénomène n’existe pas avant), car en définitive ce qui prime c’est toujours le mouvement réel des choses, la dignité du réel.
En ce sens, une question comme n=p est une abstraction, qui cherche à figer en des catégories mathématiques le mouvement dialectique du réel, ce réel fut-il de type mathématique.
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