De manière étonnante, il n’a jamais été jusqu’ici présenté la base matérielle de la contradiction. Il a bien été compris la nature contradictoire de la matière, le principe de contradiction inhérente à la matière, mais la loi de la contradiction semble « flotter » dans l’univers.
C’est d’ailleurs l’un des arguments bourgeois à l’encontre du matérialisme dialectique : ce serait une interprétation para-religieuse, car relevant d’un même idéalisme puisqu’il y a un concept central qui irradie tout le reste, sans que ce concept soit prouvé pour autant.
De manière tout aussi étonnante, l’explication de la base matérielle de la contradiction est très facile à comprendre. Elle est très facile à comprendre… aujourd’hui. Il fallait atteindre un certain développement des forces productives.
Allons droit au but. Prenons quelqu’un qui marche sur une plage. Ses pas restent sur le sable, ils ont imprimé le sol. Peut-être que la mer viendra effacer ces traces, ou bien que de fines couches de poussière s’y poseront et qu’on les retrouvera bien plus tard, à l’instar des fossiles.
Ce n’est pas la question : ce qui compte, c’est que la matière est imprimable. Tout a un effet sur tout, tout a un impact sur tout. Aucun élément matériel n’échappe à l’action de l’environnement sur lui.
Cela peut être un environnement proche, comme lointain : cela peut être la pluie comme la lumière du soleil, ce n’est pas cela qui compte. Ce qui est essentiel, c’est de voir que la matière est toujours sensible, elle est un sens malléable, on peut écrire avec elle, on peut imprimer des choses.
Et cette même matière qui est imprimable imprime elle-même ; elle a pareillement un effet, un impact sur le reste.
L’idéalisme a une obsession, justement, celle d’éviter les choses imprimables et imprimées. D’où un Dieu omnipotent, omniscient, à l’écart de tout « impact », ou bien encore l’ADN qui serait un code purement figé décidant de tout (du moins c’est ce que la thèse dite néo-darwiniste affirma au début).
Le premier matérialisme, celui des immenses Aristote, Avicenne, Averroès, Spinoza, à qui il faut ajouter Démocrite et Épicure, a justement affirmé le caractère sensible de la matière, le fait que la matière soit « inscrite » en son sein, écrie avec des principes, des règles, le tout venant de la Nature.
Ces penseurs se méfiaient ici particulièrement de l’esprit, car l’esprit peut être « troublé » et cela nuit à la compréhension de ce qu’on est réellement sur le plan naturel.
Puis vint le second matérialisme, qui partit du fait que l’esprit lui-même était finalement de la matière, qui était façonnée pareillement par son environnement. Ce sont les Francis Bacon, John Locke, Condillac, Denis Diderot, Emmanuel Kant, Ludwig Feuerbach…
L’esprit lui-même est sensible et modifié, façonné, imprimé par l’environnement – cela le premier matérialisme l’avait vu. Mais le second matérialisme affirme qu’en même temps, l’esprit a lui-même un impact sur l’environnement, de par l’activité qu’il décide.
On retrouve ici la clef du marxisme, puisque l’esprit menant une activité, c’est du travail, et le travail modifie la réalité. C’est en comprenant cela que Karl Marx a compris le principe du mode de production.
L’humanité a atteint un stade où elle a compris que l’environnement « imprimait » et que la pensée « imprime » également lorsqu’elle se transforme en activité déterminée.
La loi de la contradiction comme conception est le produit de cette rencontre du premier matérialisme et du second, au sens où l’interaction a enfin été comprise. C’est Hegel qui le premier constate le phénomène dialectique, en se tournant vers l’esprit, qu’il imagine en développement « pur ».
Et Karl Marx renverse la thèse, en soulignant justement que le travail est l’aspect principal, pas l’esprit, même si le travail est porté par l’esprit. La compréhension de la dialectique humaine a permis de constater que la dialectique était vraie partout : c’est la dialectique de la Nature.
Désormais, à la fin du premier quart du 21e siècle, on peut ajouter un élément à cela. En effet, il a été compris que les choses sont imprimées et impriment elles-mêmes.
Mais qu’impriment-elles ?
Les matérialistes ont toujours compris qu’elles ne pouvaient imprimer qu’une seule chose : elle-même. C’est la théorie du « reflet », qu’on retrouve chez tous les auteurs matérialistes.
Ce n’est pas seulement que les choses s’impriment les unes les autres – elles se reflètent les unes les autres.
Louis Pasteur est d’ailleurs ici un savant de la plus haute importance, comme l’a souligné le fondateur de la géochimie (et du concept de Biosphère) Vladimir Vernadsky, car il a constaté le premier la chiralité, autrement dit la dissymétrie moléculaire. Tous les êtres vivants portent en eux la dissymétrie moléculaire, ils portent des éléments qui ne sont pas superposables à leur image dans un miroir.
Mais ce n’est pas ce qui joue ici. En pratique, chaque chose se reflète dans les autres choses – or, le reflet d’une chose, c’est elle-même mais en aspect contraire.
C’est là la base matérielle de la contradiction.
Et comme tous les reflets ne se déroulent pas au même moment, cela produit des développements inégaux, c’est-à-dire en définitive le mouvement.
Ce n’est même pas que la matière est en mouvement, elle est elle-même le mouvement. Cela, le matérialisme dialectique l’a toujours souligné.
Car le matérialisme dialectique est la négation de la négation, il dépasse le second matérialisme qui lui-même dépassait le premier.
Mais le second matérialisme avait mis de côté la question cosmique, qui était primordiale pour le premier.
Le matérialisme dialectique rétablit la question cosmique, mais cette fois le cosmos n’est plus statique, figé, se répétant lui-même à l’infini. Il est en mouvement.
Si on veut, le premier matérialisme a apporté le temps, en affirmant l’éternité, et le second mouvement a apporté l’espace infini, en constatant la transformation ininterrompue parallèlement à la transformation de l’esprit humain.
Le matérialisme dialectique pose ainsi que la matière se reflète en elle-même, à l’infini et d’une infinité de matière, ce qui provoque partout des échos, des reflets.
Ce jeu d’échos, de reflets, produit des nuances, des décalages, des différences. La chose et son reflet se heurtent alors, cela devient une contradiction mise en mouvement de par la déchirure que cela provoque de manière interne.
Telle est la base matérielle de la loi de la contradiction.
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