Le matérialisme dialectique et les virus

Les virus, organismes les plus présents sur Terre, ne se laissent comprendre que dans leur rapport aux êtres vivants ; ils ne sont en effet pas en mesure d’effectuer des processus métaboliques, car ils ne possèdent aucun des mécanismes physiologiques nécessaires à la mise en œuvre de ces processus. Ils ne peuvent d’eux-mêmes ni se reproduire, ni s’alimenter.

Un virus consiste tout simplement en une capsule de protéine protégeant un ADN ou ARN. Il ne peut se reproduire qu’au moyen d’un hôte, dont il détourne une partie du fonctionnement à son profit. Ce faisant, il peut également provoquer une intrusion de son propre code génétique dans celui de son hôte.

Les virus, de par leur diffusion massive sur la planète, sont une clef dans les échanges biochimiques ; au moins 8 % de l’ADN de l’homo sapiens est d’origine virale. Le placenta doit son fonctionnement à de l’ADN viral.

Ce fait ruine à lui seul, de manière totale, les conceptions bourgeoises de l’hérédité comme « fixe », figée, séparée de la réalité, etc.

Les virus forment, concrètement, un pivot dans le développement plus complexe de la matière.

Cette matière relève toujours de l’unité universelle des processus ainsi que du caractère qualitatif du mouvement, tout en se réalisant de manière particulière et en passant par la quantité.

Il faut saisir qu’il n’existe rien de séparé et que rien ne régresse dans son développement. Ce qu’on appelle « maladie » est donc défini de manière impropre, car les effets négatifs sont tout à fait secondaires par rapport à l’aspect principal s’inscrivant dans le processus général de complexification de la matière, qui passe par la mise en rapport dialectique.

Seule une petite minorité de virus sont ainsi pathogènes pour l’être humain, alors qu’ils forment un aspect matériel de la plus haute importance. C’est une expression du développement inégal.

Les types de populations virales dans l’océan sont d’au moins 200 000 et il est tablé qu’il y en aurait un milliard. Dans l’océan, le nombre de virus par millilitre d’eau est estimé à entre 10 exposant 6 et 10 exposant 8 (soit entre un et cent millions).

Ces virus jouent dans l’océan un rôle essentiel dans leur rapport aux bactéries et aux être vivants ; leur rôle est encore méconnu, mais il apparaît qu’ils régulent la population bactérienne, celle des micro-algues et même des êtres vivants.

Autrement dit, la décomposition conséquente à l’activité des virus a une activité biogéochimique, jouant sur l’alimentation dans les océans, les équilibres des êtres s’y trouvant, neutralisant le développement des bactéries, ayant une fonction essentielle dans la présence du CO2 sur Terre par l’activité dans le cycle du carbone (en capturant le carbone pour en faire des sédiments dans les fonds marins).

De nombreux éléments chimiques sont ici encore en jeu dans l’activité des virus dans l’océan (phosphore, soufre…) et les recherches sont nouvelles, datant de la toute fin du 20e siècle et du tout début du 21e siècle.

Il a fallu attendre les années 1930 pour être en mesure de voir les virus, au moyen des microscopes électroniques ; ce n’est qu’au début du 21e siècle que les virus apparaissent, tout comme leurs bactéries, comme un domaine scientifique incontournable.

Si cette affirmation est vraie sur le plan des études pratiques, le matérialisme dialectique avait déjà constaté la nature des virus au début des années 1950, dans le cadre de l’URSS socialiste dirigé par Staline, et s’était posé la question de leur rôle dans les processus biogéochimiques.

Dans un précis sur le matérialisme dialectique de 1953, Pierre Belov, dans son article Sur la primauté de la matière et le caractère secondaire de la conscience, dit que :

« Les données de la science moderne avancée quant à l’essence et l’origine de la vie peuvent être brièvement résumée comme suit.

Vivre n’est pas quelque chose d’aléatoire sur terre. La totalité de tous les êtres vivants sur terre – la biosphère – est un produit naturel du développement géochimique de la surface de la planète.

La biosphère continue de jouer un rôle essentiel et extrêmement important dans tous les autres processus géochimiques de la croûte terrestre, déterminant la nature de la formation rocheuse, la formation du sol, la composition de l’atmosphère et en général la répartition des éléments chimiques dans les couches supérieures de la croûte terrestre, de l’hydrosphère, de l’atmosphère.

« Les organismes vivants, d’un point de vue géochimique, ne sont pas un fait accidentel dans le mécanisme chimique de la croûte terrestre ; ils constituent sa partie la plus essentielle et indissociable. Ils sont inextricablement liés à la matière inerte de la croûte terrestre, aux minéraux et aux roches… Les grands biologistes sont depuis longtemps conscients du lien inextricable qui relie le corps à sa nature environnante. » (V.I. Vernadsky, Essais sur la géochimie, Maison étatique de publication, 1927)

Le vivant est formé des mêmes éléments chimiques qui composent le reste, la partie minérale de la nature.

La composition d’un corps vivant comprend presque tous les éléments chimiques (y compris radioactifs) du tableau périodique, certains en grande partie, d’autres en plus petites proportions.

Mais quelle que soit la proportion quantitative de certains éléments chimiques dans la composition du protoplasme (leur présence dans les organismes n’est détectée que par analyse spectrale), ces derniers jouent cependant également un rôle important dans la vie de la protéine, leur absence entraîne la mort du corps.

Les sciences naturelles avancées modernes (astronomie, physique, chimie, biologie) ont complètement exposé les théories idéalistes de « l’éternité de la vie », de la « panspermie », etc.

La vie sur terre est d’origine terrestre, résultat d’une synthèse naturelle extrêmement longue de substances organiques de plus en plus complexes (…). Le vivant est inséparable des conditions de son existence et n’est concevable que comme un produit du développement de ces conditions elles-mêmes. »

La question qui se pose inévitablement ici est celle de placer le virus : s’agit-il d’un organisme relevant de la matière vivante ou bien de la matière inerte ?

Le virologue Konstantin Sukhov constate à juste titre, en 1950, dans la revue Questions de philosophie, que :

« L’auto-reproduction des particules virales marque leur capacité à s’assimiler et est une qualité qui les distingue fondamentalement des corps de nature inanimée.

En même temps, en raison de la simplicité de leur organisation, les virus conservent un certain nombre de propriétés qui les rendent extrêmement proches des substances moléculaires.

À ce stade du développement de la matière vivante, la vie se révèle réversible, elle peut complètement s’arrêter et reprendre en fonction des conditions environnementales. »

Ce point de vue est essentiel, car il pose les virus « au milieu » de la matière inerte et de la matière vivante.

Deux points de vue s’opposent ici, en effet, en URSS socialiste à l’époque de Staline, impliquant eux-mêmes toute une conception qui, si elle est erronée, ébranle la perspective scientifique elle-même.

Si l’on dit que les virus relèvent de la matière inerte ou de la matière vivante, il y a en effet une validation obligatoire d’un point de vue parallèle.

La question se pose de la manière suivante : soit on dit que les virus ne sont pas vivants, mais des sous-produits de la vie, qu’ils sont des formes vivantes à la base mais ayant dégénéré et ayant tout perdu sauf leur ADN. Cela les place dans un rôle subordonné, conséquent au développement de la matière vivante et les ramenant à la matière inerte.

Soit on dit, à l’inverse, que les virus relèvent du processus de la vie elle-même, qu’ils sont là dès le départ dans ce processus.

Le biochimiste soviétique Alexandre Oparine (1894-1980) considérait par exemple que cette seconde conception était erronée, car elle reviendrait à considérer que les virus seraient une « brique » de la vie, ce qui aboutirait à une conception métaphysique d’un « créateur » à l’origine d’une telle brique.

Oparine s’opposait ici de manière frontale à Vernadsky. Oparine raisonnait en termes de « soupe primordiale » où la matière vivante est de la matière inerte connaissant un saut, alors qu’inversement Vernadsky considérait que l’univers avait toujours connu une opposition entre matière vivante et inerte.

Pour autant, Vernadsky n’avait toujours pas tranché la question des virus en 1938 ; il formulait alors la problématique de la manière suivante dans Matière inerte, corps vivants et biosphère ;

« On n’a jamais observé de génération spontanée d’un organisme vivant à partir de corps inertes : le principe de F. Redi (toute vie vient de la vie) n’est jamais violé.

Le concept de corps naturels inertes (morts) et vivants en tant qu’objets naturels bien distincts est une notion ancienne, enseignée au long des millénaires – un concept relevant d’un sain bon sens. Il ne peut pas être mis en doute et est clairement intelligible pour tous.

Après des siècles de travaux scientifiques, on n’a relevé que très peu de cas douteux où l’on se demande si un corps naturel spécifique doit être considéré comme un corps vivant ou inerte, ou encore si un phénomène naturel donné est une manifestation de processus vivants ou non vivants.

La question des virus relève de ces rares cas et c’en est sans doute l’illustration la plus profonde. »

Le problème est le suivant. Oparine a raison de dire qu’il ne saurait exister une frontière absolue entre matière vivante et matière inerte : ce serait là un idéalisme absolutiste. Cependant, il découle de son raisonnement que les virus seraient une régression, or un processus régressif n’est pas possible, car s’opposant au principe du mouvement dialectique.

Vernadsky a ainsi raison de voir en les virus un problème théorique, mais il se voit lui-même bloqué par son positionnement opposant unilatéralement matière inerte et matière vivante.

En fait, la réponse est dans la question et les enseignements de Mao Zedong sur le matérialisme dialectique, ses approfondissements concernant le mouvement et sa nature, permettent d’y voir clair.

Il y a deux aspects, ce qui a été bien vu. D’abord, il est clair que la matière vivante exige un processus interne et que les virus n’en disposent pas.

Friedrich Engels nous dit au sujet de la matière vivante, dans l’Anti-Dühring, en 1878, que :

« La vie est le mode d’existence des corps albuminoïdes, et ce mode d’existence consiste essentiellement dans le renouvellement constant, par eux-mêmes, des composants chimiques de ces corps.

On prend ici le corps albuminoïde au sens de la chimie moderne, qui rassemble sous ce nom tous les corps composés de façon analogue à l’albumine ordinaire et appelés aussi substances protéiques (…).

Partout où nous rencontrons la vie, nous la trouvons liée à un corps albuminoïde, et partout où nous rencontrons un corps albuminoïde qui n’est pas en cours de décomposition, nous trouvons aussi, immanquablement, des phénomènes vitaux. »

Il n’est pas de phénomènes vitaux relatifs aux virus. Il semble donc que les virus ne relèvent pas de la vie, de la matière vivante.

Cependant, en même temps, les virus ont un ADN ou un ARN, ce que n’a pas la matière inerte. Les virus sont capables d’avoir un rapport direct avec la matière vivante, alors que la matière inerte a un rapport indirect.

C’est là qu’est la clef. Vernadsky a tort d’opposer la matière vivante à la matière inerte, mais Oparine a tort de les assimiler en disant que l’un vient de l’autre. En effet, en faisant ainsi, il oppose lui-même l’un à l’autre et revient à l’idéalisme unilatéral de Vernadsky.

Ce dernier est d’ailleurs plus matérialiste malgré son idéalisme, car il reconnaît la dignité du réel : en opposant dans le passé la matière vivante à la matière inerte, il a tort, mais en les opposant aujourd’hui il a raison car cela lui permet de comprendre leur combinaison, leur rapport dialectique dans un ensemble qui est la Biosphère.

En opposant l’une à l’autre, Oparine est matérialiste car il dit que la matière vient de la matière, mais il perd la dialectique car il sépare la matière vivante de la manière inerte de manière unilatérale et par conséquent rate le saut fait par la matière.

Son point de vue est ainsi régressif par rapport à celui de Vernadsky, car il brise l’unité de la matière et arrive à un schématisme abstrait où la matière inerte serait restée somme toute « en arrière ».

Les virus sont, dans un tel cadre, la preuve du saut de la matière et au cœur de la contradiction qu’implique ce saut.

Les virus ne sont pas soit de la matière inerte soit de la matière vivante, ils représentent l’expression du développement inégal dans le saut de la matière amenant l’existence de la matière vivante.

Les virus sont le nexus de l’inerte et du vivant, de la diffusion de la complexification de la vie (par la transmission d’ADN) et de la mort (par les maladies et les activités bactériophages, massifs dans l’océan).

Les virus sont fixes, ils ne changent pas de taille, et pourtant ils peuvent se transformer, se recombiner. Ils ont du matériel génétique mais ne peuvent pas se reproduire d’eux-mêmes.

Ils ont une forme relevant de la minéralogie mais sont tournés vers le vivant.

Les virus sont le nexus du rapport entre la vie et la mort, et à ce titre une clef pour la compréhension du développement de la matière vivante telle qu’on la connaît.

La « soupe primordiale » dont parle Oparine ne saurait exister dans le passé seulement, une telle lecture est anti-dialectique.

En réalité, il n’y a pas de négation de la négation, de cassure rejtant l’héritage du passé, et la soupe existe, encore, ayant connu des sauts qualitatifs. Les virus se situent au cœur de la contradiction de cette soupe où la matière vivante et la matière « inerte » à la fois s’attirent et se repoussent, en tant que contraires.

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