Le MLPD, Parti Marxiste-Léniniste d’Allemagne, est la seule structure marxiste-léniniste à s’être maintenue depuis les années 1960-1970 en Allemagne de l’Ouest. Il a été l’un des principaux initiateurs de la Coordination Internationale des Partis et Organisations Révolutionnaires (ICOR), regroupant depuis 2010 une cinquantaine de structures se revendiquant du marxisme-léninisme et, le plus souvent, d’une manière ou d’une autre, de Mao Zedong.
La ligne du MLPD et de l’ICOR est classiquement néo-révisionniste : le révisionnisme est dénoncé, mais dans les faits c’est le révisionnisme lui-même qui est assumé. On peut le voir très simplement avec la thèse du « capitalisme monopoliste d’État ».
Cette thèse est révisionniste.
Le capitalisme monopoliste d’État serait un nouveau stade de l’impérialisme. L’État aurait acquis un grand niveau d’indépendance par rapport aux classes, il serait « rationnel » et en s’appuyant sur lui, le capitalisme atteindrait un stade « organisé ». L’État, au moyen de la socialisation des pertes, empêcherait le capitalisme monopoliste de sombrer.
Développée par Eugen Varga, cette thèse a été strictement rejetée dans l’immédiate après-guerre en URSS, dans le cadre d’une grande bataille idéologique. Puis, Nikita Khrouchtchev en a fait un dispositif officiel de l’idéologie révisionniste. Et, malheureusement, la plupart des organisations marxistes-léninistes se définissant comme anti-révisionnistes en Europe de l’Ouest ont maintenu cette thèse du « capitalisme monopoliste d’État ». C’est le cas du MLPD.
Le MLPD ne dit pas que l’État est neutre et qu’il serait possible de l’arracher aux mains du capital monopoliste. Cela le distingue de ceux pratiquant un révisionnisme ouvert. Cependant, il maintient la thèse du « capitalisme monopoliste d’Etat » théorisé par Eugen Varga comme une nouvelle étape de l’impérialisme. Willi Dickhut, le principal théoricien du MLPD à sa fondation en 1982 jusqu’à son décès en 1992, l’assume tout à fait dès 1973 et cette position est documentée par le MLPD lui-même en 2019.
Le MLPD dit exactement la même chose qu’Eugen Varga et cette thèse a été strictement rejetée par l’URSS à l’époque de Staline, dans une vaste polémique. Voici comment le MLPD présente la chose :
« En liaison avec la Seconde Guerre mondiale, il y a eu un saut qualitatif : dans tous les pays impérialistes a mûri la transition de l’impérialisme capitaliste monopoliste à l’impérialisme monopoliste d’État. »
Cette thèse est totalement révisionniste, indéfendable historiquement du point de vue communiste, puisqu’elle a été proposée par Eugen Varga, dénoncée par l’URSS de Staline, assumée par le révisionnisme en URSS et systématisée dans tous les partis révisionnistes dans le monde. L’idée d’un « saut qualitatif » dans l’histoire de l’impérialisme a été rejetée par Staline. Il n’a jamais été question d’une nouvelle étape de l’impérialisme.
Il faut en saisir les conséquences. En effet, la thèse d’Eugen Varga d’un « capitalisme monopoliste d’État » implique que l’État vient systématiquement à la rescousse des monopoles, étant même seulement un appendice de ceux-ci. L’activité qui en découle est celle des révisionnistes d’Europe occidentale des années 1960 : il faudrait « démasquer » le régime. Le MLPD dit ainsi en 2017 :
« La démocratie bourgeoise masque que nous vivons en Allemagne dans un capitalisme monopoliste d’État, une dictature des monopoles. »
Et comme nous vivons déjà dans une dictature des monopoles selon le MLPD, alors l’analyse communiste du fascisme disparaît. Il ne peut plus y en avoir en effet de tentative des monopoles de prendre le contrôle de l’État au moyen du fascisme, puisque les monopoles ont en effet déjà le pouvoir. Les monopoles arrachent donc le profit nécessaire grâce à l’État « organisateur » faisant payer la société. Plus besoin du fascisme, plus besoin de la guerre impérialiste.
La thèse défendue par Staline en 1952 sur l’inéluctabilité des guerres pour le capitalisme, visant précisément Eugen Varga, est rejetée. On a, à la place, la thèse socialiste des années 1920 d’un prétendu capitalisme organisé. Le MLPD assume tout à fait cette conception et, pour satisfaire sa formulation, a mis en place plusieurs concepts : les « surmonopoles », la « seule domination du capital financier international », la formation de nouveaux pays impérialistes, la « manière prolétarienne de penser ».
Le MLPD dit ainsi :
« Le capital financier international dominant seul est une petite couche disparaissante de la bourgeoisie, qui se forme de groupements des surmonopoles internationaux avec différentes bases et liaisons national-étatiques. »
Par « surmonopoles », le MLPD entend les 500 entreprises les plus puissantes dans le monde. Elles formeraient donc un « capitalisme financier international » dominant le capitalisme à l’échelle mondiale et épaulée par des États leur étant soumis. Non seulement le capital non monopoliste, mais même le capitaliste monopoliste est soumis à ces « surmonopoles ».
Et ces surmonopoles n’ont pas fait que fusionner leur propres organes avec ceux de l’appareil d’État, ils poussent au démantèlement des États eux-mêmes. C’est là la thèse du capitalisme organisé théorisé par la social-démocratie dans les années 1920, avec un ultra-impérialisme se formant parallèlement à la possibilité d’un socialisme mondial, et modernisé dans les années 1940 avec la thèse du « capitalisme monopoliste d’État ».
Pour démasquer ce capitalisme organisé, il faudrait avoir selon le MLPD une « manière prolétarienne de penser », qui permettrait de découvrir la situation réelle. Mais, de manière fort logique, la seule révolution possible est contre ces « surmonopoles » et on aboutit alors à la thèse trotskiste de la révolution mondiale unitaire.
Le programme du MLPD est explicite :
« Dans les conditions de la production internationalisée, la révolution socialiste prendra un caractère international. La collaboration internationale des impérialistes dans l’organisation de la contre-révolution et l’interaction avec la lutte de classe internationale font qu’aujourd’hui il est pratiquement impossible qu’un processus révolutionnaire isolé dans un pays puisse être mené victorieusement (…).
Dans ce processus révolutionnaire mondial seront en interaction indissoluble des grèves de masse, des manifestations de masse, des luttes et soulèvements anti-impérialistes, démocratiques et révolutionnaires. C’est pourquoi la stratégie et la tactique prolétarienne dans chaque pays doit essentiellement être comprise et réalisée comme préparation à la révolution socialiste internationale. »
C’est là du trotskisme. Et il reste un problème fondamental à expliquer pour le MLPD : pourquoi y a-t-il encore une tendance à la guerre très nette qui se dessine ? Il a bien fallu trouver une explication. Le MLPD dit alors la chose suivante : oui, la guerre est inévitable dans le capitalisme, parce que les États s’affrontent pour leurs intérêts.
Or, ce n’est pas du tout là l’enseignement de Lénine. Le léninisme explique que l’impérialisme est la superstructure d’un capitalisme national. La guerre impérialiste est donc portée par le capitalisme lui-même, car une fois développée la fraction monopoliste l’emporte.
Il a par conséquent été nécessaire pour le MLPD de faire sauter cette définition et d’élargir le concept de pays impérialiste. Stefan Engel, dirigeant du MLPD, a exprimé en 2011 pour la première fois publiquement cette conception « élargie ».
Seraient désormais des pays impérialistes l’Arabie Saoudite, le Brésil, l’Afrique du Sud, la Turquie, l’Inde, le Mexique, l’Indonésie, la Corée du Sud, l’Argentine, le Qatar, les Émirats Arabes Unis, l’Iran. A cela s’ajoute la Chine et la Russie, ainsi qu’Israël que le MLPD considérait déjà comme impérialiste. On voit tout de suite le paradoxe, puisque le MLPD explique lui-même que ces 14 pays rassemblent 3,7 milliards de personnes, plus de la moitié de la population mondiale. Si on ajoute donc la population des pays impérialistes restant (États-Unis, les pays d’Europe de l’Ouest, le Japon), alors ne pas vivre dans un pays impérialiste ne concernerait finalement que 35 % de la population mondiale !
C’est là totalement renverser le principe du développement inégal et de la nature parasitaire de l’impérialisme. D’ailleurs, le MLPD ne reconnaît pas le concept de pays semi-féodal semi-colonial, parlant de « néo-colonialisme ». Le MLPD a besoin de toute cette fiction pour prétendre ne pas être sorti des enseignements communistes. Le MLPD dénonce ainsi la guerre, dit bien qu’elle est de fruit de la concurrence entre impérialistes.
Ce que le MLPD n’avoue pas directement, par contre, c’est que pour lui cette concurrence se déroule dans ce qu’il appelle le « système impérialiste mondial ». Il s’agit pour lui d’une sorte de sous-produit de la domination mondiale des « surmonopoles ». C’est donc le fruit d’un militarisme étatique en quête de territoires à contrôler – on retombe ici sur la thèse erronée de Rosa Luxembourg comme quoi une guerre impérialiste ne se fonde que sur le principe de conquérir des territoires pour élargir l’accumulation du capital.
Pour le MLPD, il y a un impérialisme mondial, unifié, et en son sein une concurrence entre États. C’est pour cela que des pays sans production industrielle à part pour le pétrole et le gaz, tels le Qatar ou les Émirats Arabes Unis peuvent être définis comme « impérialistes ». Comme ils s’approprient une « part du gâteau » mondial, ils sont en concurrence avec les autres.
Tout cela n’a rien à voir avec les enseignements du communisme et la juste compréhension du développement inégal des pays semi-féodaux semi-coloniaux, faisant qu’il y a effectivement des différences entre le Gabon et la Corée du Sud, le Chili et l’Inde. Néanmoins, un pays semi-féodal semi-colonial ne peut se transformer qu’en expansionnisme et pas en impérialisme, car il est lui-même enchaîné à un ou plusieurs pays impérialistes.
L’Iran pratique l’expansionnisme, tout comme Israël, mais aucun des deux n’est un impérialisme. Cela répond à des besoins propres au capitalisme bureaucratique en crise, qui a besoin de s’en sortir par la guerre. Mais leur dimension semi-féodale et semi-coloniale est évidente. Rien que le poids des religions dans les institutions montre la dimension non démocratique présente, le maintien de structures sociales arriérées, incompatibles avec un capitalisme libéré et allant jusqu’à l’impérialisme.
Il y a effectivement une tendance à la guerre, mais ce n’est pas de l’impérialisme en substance – ou alors on dénature la notion d’impérialisme en la réduisant à une définition bourgeoise de « géopolitique ».
Voilà pourquoi, au-delà de quelques remarques rhétoriques, le MLPD ne fait pas de la guerre impérialiste l’un de ses thèmes de prédilection. La guerres impérialiste n’est pour lui qu’un aspect secondaire, propre à la concurrence interne d’États dans un « système impérialiste mondial ». C’est là une analyse entièrement révisionniste.