Le mouvement ouvrier issu de mai (1969)

Faire apparaître la classe ouvrière comme force politique indépendante, cela demande des précisions.  

En effet, il ne suffit pas seulement de libérer le prolétariat de l’emprise révisionniste et réformiste exercée par le P.C.F., C.G.T. et autres syndicats et partis traditionnels, mais de lui permettre de remplir son rôle historique, celui que Marx lui définissait en 1848 dans le manifeste du Parti communiste :  « De toute les classes qui à l’heure actuelle s’opposent à la bourgeoisie, le prolétariat seul est une classe vraiment révolutionnaire.  

Les autres classes périclitent et périssent avec la grande industrie ; le prolétariat, au contraire en est le produit le plus authentique. Les classes moyennes, petits fabricants artisans, paysans, tous combattent la bourgeoisie parce qu’elle est une menace pour leur existence en tant que classes moyennes.  Elles ne sont donc pas révolutionnaires, mais conservatrices ; bien plus, elles sont réactionnaires.  

Elles cherchent à faire tourner à rebours la roue de l’histoire. Si elles sont révolutionnaires, c’est en considération de leur passage imminent au prolétariat ; elles défendent alors leurs intérêts futurs et non leurs intérêts actuels ; elles abandonnent leur propre point de vue pour se placer à celui du prolétariat. » 

Déjà le vaste mouvement de la jeunesse intellectuelle a abandonné son propre point de vue pour se placer sous celui du prolétariat. En ce sens, il a joué le rôle d’avant­-garde en quelque sorte.  

Mais une avant-­garde en quelque sorte, cela ne peut durer qu’un temps. On l’a très bien vu en mai 68, où le mouvement étudiant a joué ce rôle, et qu’à vouloir le jouer trop longtemps, il s’est enlisé, se coupant dans une certaine mesure de la classe ouvrière.  

Ses caractéristiques (anti­impérialistes, anti­révisionniste, et de plus en plus anti­capitaliste) font du mouvement étudiant et de la jeunesse intellectuelle l’allié privilégié de la classe ouvrière dans la mesure cependant où il sert à développer l’autonomie ouvrière.  Sinon, cela revient à vouloir faire la révolution prolétarienne sans le prolétariat lui­-même.  

Le processus défini par Marx allant de la révolution prolétarienne n’est pas terminé ; nous sommes dans une phase de ce processus. La méthode maoïste nous apprend à saisir chaque processus dans son développement et non pas à fixer abstraitement le processus dans une phase, tout comme elle nous enseigne que l’histoire se fait et ne se refait pas.  

le retard du capitalisme français 

En mai 68, une fois de plus, les masses ont fait l’histoire. Il suffit d’ouvrir le grand livre de mai pour que s’éclaire l’histoire du mouvement ouvrier, ainsi que le présent et l’avenir.  Le mouvement populaire de mai 68 a provoqué une vaste modification des conditions objectives de la lutte des classes dans les pays capitalistes avancés.  

La seule issue du capital français réside maintenant dans le passage du capitalisme archaïque au capitalisme des monopoles. 

Depuis toujours, le Capital français a cherché à se protéger de la classe ouvrière en s’entourant du maximum d’alliés (cela va de l’épicier du coin, à la moyenne usine en passant par le gros propriétaire foncier).  Mais pour être un allié de la bourgeoisie, il faut que cela comporte un intérêt économique.  C’est pourquoi le développement de la grande industrie s’est trouvé freiné dans le seul but de ne pas faire disparaître les petits.

Dans le manifeste, Marx dit : « La société bourgeoise moderne, élevée sur les ruines de la société féodale n’a pas aboli les antagonismes de classes.  Elle n’a fait que substituer de nouvelles classes, de nouvelles conditions d’oppression, de nouvelles formes de lutte à celles d’autrefois. Cependant, le caractère distinctif de notre époque de la bourgeoisie, est d’avoir simplifié les antagonismes de classes.  

La société se divise de plus en plus en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la bourgeoisie et le prolétariat.  

En France, les deux vastes camps ne sont pas aussi nets. Au sein même des possédants, les intérêts se croisent, s’entrecroisent, se choquent et s’entrechoquent.  On a beau être bourgeois, on a avant tout les dents longues.

Pour discipliner tout ce joli monde, il faut de la poigne, ce qui explique que l’Etat français est un état des plus solides, des plus durs, des plus centralisés du monde.  Pendant des années, la classe ouvrière a payé le maintien de cette unité des possédants petits et gros, et ce, devant la concurrence du Capital financier international, en particulier U.S. qui, lui, est depuis longtemps débarrassé de tous les petits et moyens, pour concentrer ses industries en d’immenses unités homogènes et d’une compétitivité supérieure à l’échelle internationale. 

La bourgeoisie française se croyait ainsi protégée d’un affrontement avec la classe ouvrière ; c’était se mettre des œillères devant le développement des luttes à l’échelle mondiale. C’était voir le danger du dedans sans voir celui du dehors, et que le mouvement étudiant s’était emparé de la lutte des peuples opprimés du monde pour la porter en France avec toute la fougue de la jeunesse.

Fougue qui l’a conduite des petites manifestations de solidarité au Vietnam, aux nuits de barricades.  La suite on la connaît, dix millions d’ouvriers d’entreprises en grève, la bourgeoisie désemparée, affolée.  Heureusement pour elle, le P.C.F. et la C.G.T. étaient là pour faire la preuve la plus éclatante de leur « bonne volonté ». On négocie un plat de lentilles, contre la paix sociale. 

Un plat de lentilles que la grande industrie n’a pas digéré. Mai est passé, mais la grande peur des patrons reste ; les capitaux s’enfuient à l’étranger ; c’est le spectaculaire accord Fiat­Citroën ; on s’achemine vers la crise économique. 

Il faut redresser, récupérer les 10 %, les prix montent, on libère le développement de l’industrie avec le coup de pouce des prêts aux entreprises et de la suppression de la taxe sur les salaires.  Et la machine industrielle démarra en un bond fulgurant des profits et investissements.  

Mais c’est insuffisant, il faut que de Gaulle s’en aille ; c’est le référendum ; Pompidou, Chaban et la nouvelle société.  La nouvelle société de Chaban, c’est l’élimination progressive de tous les petits au profit des gros, pour arriver à la gestion directe de l’Etat, selon les intérêts des monopoles.  

Ce n’est pas une mince affaire, les seuls pays qui y sont parvenus (U.S.A., Allemagne, Japon) l’ont fait sur les ruines de la guerre. On peut dire sans se tromper qu’il nous est 100 fois plus facile de faire la révolution, qu’à la bourgeoisie de s’en sortir.  

les syndicats, l’autre jambe de l’appareil d’état avec la police 

Le développement du Capital vers le monopolisme ne peut se faire sans l’intégration des syndicats.  Pour la bourgeoisie, il faut éviter à tout prix le face à face avec la classe ouvrière ; pour cela, elle a toujours eu recours à des intermédiaires, à des tampons. 

aujourd’hui, les patrons sont POUR les syndicats 

A l’origine, les syndicats ont apporté la réponse organisationnelle qui a permis à la classe ouvrière de s’affirmer en tant que classe, mais uniquement dans le cadre étroit de l’usine, l’organisation pour la vente collective de la force de travail par la création d’un rapport de force entre ouvriers et patrons ; vente qui est à l’origine de la signature de contrats entre ouvriers et patrons.  En se développant de façon considérable, ils ont permis à la classe ouvrière d’apparaître sur la scène de l’histoire en tant que force organisée.  

En s’organisant par usines, par corporations, d’où les fédérations (de la chimie, de l’automobile, des papiers cartons, etc.) qui aujourd’hui ne veulent plus rien dire, tant les branches d’industrie sont dépendantes les unes des autres.  Les patrons ont très vite compris le danger que représentaient pour eux ces syndicats.

C’est pourquoi c’est eux-mêmes qui ont instauré les délégués du personnel au début du siècle, afin d’éviter le dialogue avec la masse.  De plus en plus, la bourgeoisie a besoin d’un tampon entre elle et la classe ouvrière. Aujourd’hui, un tampon ne suffit pas, ce sont les organisations entières qui servent, ou seront amenées à servir de tampon.  

Ce n’est pas le fait du hasard si la Suède, le Japon, les U.S.A., l’Allemagne comptent un très fort pourcentage de syndicalisation. En France, ce taux est très faible, de l’ordre de 15 à 20 %.  Pour Chaban, il faut des syndicats forts, des gens « représentatifs avec qui on peut discuter ».  

Ceyrac, membre du C.N.P.F. fera une déclaration disant que lui veut bien discuter avec les syndicats responsables, quant aux gauchistes, il ne connaît pas !  Papon, l’ancien préfet de police, dans un rapport au congrès de l’U.D.R. remarque le faible taux de syndicalisation et conclut qu’il faut renforcer les syndicats traditionnels.  

Pour cela, la bourgeoisie emploie deux moyens principalement : 1. Désigner ses interlocuteurs (syndicats traditionnels), n’accepter de discuter qu’avec eux, et laisser croire que ce n’est que par eux qu’il est possible d’obtenir des victoires.  Le récent accord Renault en est un bon exemple.  Ce que la Régie y a concédé sans lutte dépasse largement ce qu’elle a concédé après un mois de grève en mai 68.  Les seules clauses restrictives y sont d’autre part remarquables : elles ne concernent qu’une éventuelle non signature des syndicats (rien, ou presque rien d’accordé si les syndicats ne signent pas).  

2. Le développement de la C.F.T., syndicat jaune à l’échelle nationale, ce qui corespond grossièrement à présenter un tigre en papier d’un côté, pour que les ouvriers se jettent dans la gueule du loup (syndicatstraditionnels).  

C’est exactement ce qui se passe à l’heure actuelle à Citroën bien que ne correspondant pas à une tactique consciente de la part de Bercot, tant il est vrai que ce réactionnaire parmi les réactionnaires n’a pas encore compris ou ne veut pas comprendre que la C.G.T. ne demande qu’à l’aider ; elle en a pourtant fait les preuves en laissant le S.i.S.C. se développer et en se présentant maintenant comme la seule alternative possible face au danger du S.I.S.C. 

légaliser la lutte 

Le renforcement des syndicats correspond à une tentative de « légalisation » de la lutte dans les usines, à savoir donner à la lutte ouvrière le terrain choisi par la bourgeoisie ; sur ce terrain, la classe ouvrière est perdante à tous les coups.  Ce terrain tend à canaliser et même à institutionaliser la révolte spontanée des ouvriers. 

L’idéologie syndicale crée une nouvelle légalité dans les usines, elle détermine ce qui est permis et ce qui ne l’est pas, les cas défendables et non défendables. Ainsi on verra les syndicats contraints de s’opposer à un licenciement pour fait de grèves, mais jamais ils n’approuveront ni défendront un cas de sabotage individuel.  L’idéologie syndicale se traduit principalement par la routine, par les grèves prévues à l’avance et limitées dans le temps, par la discussion, la négociation.  

On discute avant de faire grève, on arrête la grève pour discuter.  De plus, cette idéologie est un frein puissant à l’esprit d’oser lutter, en laissant croire qu’il faut que tout le monde soit d’accord pour mener une lutte.  

De telles formes de lutte ne gênent pas les patrons.  

En connaissant la forme et la durée d’une lutte, ceux­ci peuvent aisément rattraper la production perdue. Chez Renault et dans de très nombreuses entreprises, les grèves sont pour ainsi dire planifiées, c’est-­à-­dire que dans le programme de production, il est tenu compte d’un certain nombre d’heures de grève éventuelles. 

Un ouvrier dira : « La grève, c’est comme un coup de poing. Quand on veut donner un coup de poing, on ne dit pas à l’adversaire : attention, je vais te donner un coup de poing. »  Le mouvement ouvrier spontané a rompu d’emblée avec la routine syndicale.  

C’est la grève des thermiques du Mans, des pistoleurs de Sochaux, de Wendel Sidélor en plein mois d’août.  On ne discute pas ; on impose.  Les revendications sont là obtenues de force et non de plein gré. On n’attend pas que tout le monde soit d’accord, car on sait que 84 ouvriers des thermiques du Mans peuvent bloquer la production de tout Renault.  

Le mouvement ouvrier spontané, c’est l’apparition embryonnaire de la classe ouvrière comme force politique, indépendante, c’est l’embryon de la rupture d’avec le révisionnisme et de l’idéologie qu’il engendre.  Le mouvement ouvrier spontané ne représente pas une force stable et consciente. Un jour, c’est à Sochaux, un autre à la R.A.T.P. ou au Mans.  Chacune de ces luttes a un contenu politique : les revendications salariales s’expriment par rapport à la vie chère, les logements, etc.

D’emblée, le cadre de l’usine est dépassé.  Dépassés aussi les clivages lutte politique, lutte économique, organisation pour la lutte économique (syndicats) et organisation pour la lutte politique (Parti).  Aujourd’hui, la question ne se pose pas tant en termes de revendications économiques ou politiques (récupérables ou non), mais plus en termes de formes de luttes employées.  

On a très bien vu en Italie que les revendications portent sur le contrôle des cadences, journées de maladies entièrement payées, hiérarchisation, etc., que ces revendications gênent le développement du Capital mais sont néanmoins digérables par lui ; ce qui a permis à la classe ouvrière d’Italie d’apparaître de façon autonome sur la scène politique, ce sont ses formes de luttes allant de la grève bouchon à l’utilisation de la violencerévolutionnaire.  

Ces formes de lutte ont plongé la bourgeoisie italienne dans une crise dont elle n’est pas prête de se relever.  Aux Etats­Unis, l’économie américaine supporte fréquemment et allègrement des grèves de plusieurs semaines, mais 600000 postiers en grève « illégale», et c’est la panique !  

Les révisionnistes d’Italie ont repris à leur compte tous les mots d’ordre gauchistes, y compris ceux demandant les délégués de chaîne élus sur le tas et révocables.  La seule chose, c’est que Agnelli les a baptisé spécialistes et érigés en instance légale, c’est-­à­-dire en interlocuteurs ayant leur mot à dire sur les cadences.  C’est par leurs formes de lutte que les ouvriers italiens sont passés de la revendication simplement économique dans le cadre des contrats annuels à la contestation politique. 

le « sauvage », l’illégal, effrayent la bourgeoisie 

La plus grande peur de la bourgeoisie, c’est de se retrouver face à face avec des masses en lutte.  C’est pourquoi elle a toujours désigné des interlocuteurs et aujourd’hui, ce sont les syndicats vis­-à-­vis desquels elle pratique une large politique d’ouverture et de concertation.  Ce n’est pas le fait du hasard, si le mouvement étudiant, ainsi que celui des petits commerçants et artisans ont pris des formes illégales (grèves avec occupation, séquestration, etc.) ; tous deux ignorent presque totalement l’idéologie syndicale.  

Ils optent pour des formes de luttes radicales. La dernière grève de Dauphine à caractère ultra­-réformiste a pris des formes telles que occupation, etc.  

La bourgeoisie réprime tout ce qui est illégal, tout ce qui est sauvage, tout ce qui ne provient pas de ses interlocuteurs. A Nanterre, la crèche saccagée, à Dauphine toujours l’intervention de la police même pour une lutte qui ne remettait pas en cause le pouvoir de la bourgeoisie. Vouloir revendiquer au lieu d’imposer, demander au lieu de prendre, vouloir créer un nouveau syndicat pour mener la lutte économique, c’est, un jour devenir inévitablement un interlocuteur valable pour la bourgeoisie.

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Nouvelle Cause du Peuple, NAPAP, Action Directe