Vincent Van Gogh (1853-1890) dispose au sein de la bourgeoisie d’une formidable aura ; sa non-reconnaissance, sa folie et son suicide relèvent des ingrédients de l’idéologie du génie.
L’artiste serait un rénovateur, qui a comme tâche la création de nouvelles formes, en brisant tous les codes ; l’affirmation du moi individualisé est directement en phase avec le mouvement d’un mode de production fondé sur les marchandises et qui a besoin de renouveler ses stocks.
Vincent Van Gogh a d’ailleurs produit 900 tableaux, ce qui correspond à l’exigence du capitalisme : fini l’artiste visant à un art d’un haut niveau, d’une profonde densité, désormais il faut des cadences pour satisfaire le marché.
La peinture de Vincent Van Gogh répond à tous les codes subjectivistes de la peinture moderne, contemporaine : sortant d’une prétendue banalité, instinctive, un style apparent, une impression forte, quelque chose de marquant : une impression forte, du consommable.
Chez Vincent Van Gogh, en plus particulier, cela donne une ondulation avec des lumières fortement surchargées, une épaisseur marquée des mouvements au sein du tableau, bref une grossièreté tournée vers la simplicité (comme chez Cézanne), mais davantage impressionniste sur le plan de la luminosité.
Au sens strict, pour définir les choses de manière la plus nette, il faut résumer la peinture de Vincent Van Gogh comme de la gravure amenée à la peinture et dégradée en illustration de carte postale.
Vincent Van Gogh dévie littéralement toute une tradition germanique puis néerlandaise, avec un sens complexe de l’organisation du tableau, de la disposition des formes en mouvement, pour tout réduire à l’extrême. Vincent Van Gogh est une insulte à toute la tradition de la peinture flamande, dont il se veut évidemment le dépassement.
Vincent Van Gogh inaugure le colorisme, ce principe d’avoir quelques formes qu’on peut s’évertuer à remplir de couleur, pour se vider l’esprit. C’est du crayonnage, comme plaisir personnel, avec un choix de couleur pour faire passer une impression. Cela peut être plaisant, on peut apprécier un aspect agréable dans une telle peinture ; ce n’en est pas de l’art par autant, ni même d’ailleurs de la décoration ou tout autre art appliqué. C’est une fuite dans une démarche psychologisante formant une fin en soi.
La peinture de Vincent Van Gogh a une dimension accessible qui forme un piège terrible : une bourgeoisie pétrie d’oisiveté se complaît dans son moi, tout comme elle sera fascinée justement par la psychanalyse. Les peintures simplistes-coloristes de Vincent Van Gogh apparaissent alors comme de la culture, alors qu’ils sont une production idéologique relevant d’une classe improductive.
On peut d’ailleurs considérer que le néo-impressionnisme simpliste-coloriste de Vincent Van Gogh, c’est le cézannisme accompli. Là où Paul Cézanne considérait quelque chose manquait, car il était encore lié à l’Histoire de l’art au moins symboliquement, Vincent Van Gogh parvient à plonger dans le subjectivisme comme en fin en soi. En cela, son style préfigure directement Pablo Picasso, même si pour la forme ce dernier relève au sens strict du cézannisme géométrique, sans la charge impressionniste renforcée comme chez Vincent Van Gogh.
Vincent Van Gogh est si fascinant pour la bourgeoisie, comme Claude Monet, car il est pareillement plaisant et complaisant. C’est un monde sans profondeur et, d’ailleurs, ce qui est marquant, c’est que cette lecture idyllique-fragile du monde, même illusoire et purement esthétisante-psychologique, ne pourra pas être reproduit.
La bourgeoisie entrera dans une telle décadence que le sordide prévaudra, avec une incapacité de représenter quoi que ce soit. Vincent Van Gogh est le symbole d’une nostalgie, celle de la Belle époque, d’une bourgeoisie installée et s’installant, d’un confort réel et rêvé, d’un maintien sans fin dans une aise aussi ouatée que les peintures impressionnistes et néo-impressionnistes.