Le Parnasse : la négation de l’intériorité subjective

Une fois l’individualité affirmée, et la bourgeoisie basculant dans la décadence, il ne pouvait plus s’agir, en effet, de poser son individualité dans le monde, mais de faire du monde son individualité. C’est pourquoi le symbolisme et le décadentisme sont le prolongement naturel, dialectique du Parnasse.

C’est pourquoi le passage effectué, le Parnasse devait disparaître même de la mémoire bourgeoise.

Cependant, le Parnasse n’a pas seulement un intérêt historique, comme phase de transition vers le subjectivisme complet. En effet, la bourgeoisie a supprimé toute affirmation de l’intériorité subjective, au moment où l’aristocratie existait encore, bien que définitivement défaite en 1848.

Or, comme on le sait, si la bourgeoisie avait assumé le réalisme, l’aristocratie française avait adopté le romantisme ; le romantisme français est ainsi réactionnaire, à l’opposé des romantismes allemand et anglais, qui eux étaient portés par une bourgeoisie voulant libérer les esprits des académismes aristocratiques.

Cela signifie que le Parnasse permit aux forces réactionnaires de se précipiter dans la revendication de l’intériorité subjective. A la bourgeoisie exposant les choses froidement – comme le Parnasse et le naturalisme avec Emile Zola, ou encore le positivisme d’Auguste Comte – la réaction opposait des êtres vivants et cherchant à vivre de manière complète, tourmentés et trouvant dans le catholicisme un sens de l’orientation.

C’est ce qui rend vivant la littérature allant de Jules Barbey d’Aurevilly et Maurice Barrès à Georges Bernanos ou Julien Gracq, c’est-à-dire amenant la véritable littérature à s’assumer comme étant de droite, tandis que la littérature « de gauche » ne rassemblait que des bourgeois existentialistes, d’esprit moderniste et cosmopolite, opposés à tout héritage national.

Voici comment Charles Maurras, grande figure intellectuelle de la réaction, constate avec amertume le grand succès parnassien, pour le dénoncer, dans son article La Perfection sur le Parnasse publié dans la Gazette de France, le 25 février 1894 :

« Monsieur José-Maria de Heredia a obtenu le plus éclatant succès de presse de l’année 1893. L’Académie lui a d’abord décerné un de ses grands prix ; elle vient de l’élire au fauteuil de ce pauvre M. de Mazade.

La cour et la ville l’ont lu. Il n’est petit lettré qui ne sache par cœur Antoine et Cléopâtre et ne montre quelque exemplaire des Trophées triomphalement relié au milieu de sa bibliothèque (…).

Il y a une fable, assez ridicule, à détruire. Les plus déclarés adversaires du Parnasse se croient obligés de lui concéder les beautés de la forme, les mérites de la « facture », ce qu’on nomme enfin le métier.

Or, rien n’est moins exact. S’il est vrai que tous ces forgerons, bijoutiers, émailleurs, ébénistes et menuisiers du Parnasse n’ont guère rencontré de haute inspiration, ils n’ont pas eu davantage le tour de main, l’adresse et la maestria qui eussent permis de donner d’agréables bibelots d’étagères.

Ce qu’ils ont fait (si l’on excepte un ou deux psaumes de Leconte de Lisle et les gracieuses rêveries de Banville) se trouve sans valeur, même relative. »

Voici également comment Charles Maurras, dans Question sur les Parnassiens, publié dans la Gazette de France du 13 juillet 1902, massacre littéralement l’approche parnassienne :

« Tous les écrivains du Parnasse ont l’air écrasés par les objets qu’ils se sont proposé de nous peindre, par les instruments de leur art et par cet art lui-même.

Un vers est tiré par sa rime, un paysage effacé et, pour ainsi dire, mangé par le brutal éclat d’un mot à effet.

Au lieu de s’élancer des profondes sources de l’âme, accordée par de justes cadences aux figures de la réalité, la poésie des Parnassiens forme une suite de reflets papillotants, dénués de gradation naturelle, d’harmonie vraie, d’unité.

Que de fois les critiques de ma génération ont eu le loisir de montrer, en termes de cliniciens, l’exactitude littérale de ces conclusions un peu dures. »

Alors que la bourgeoisie devient vide de sens, s’auto-célébrant, allant à la Belle Époque, la réaction s’arroge le thème de la vie intérieure. Elle le fait, bien entendu, de manière non sincère sur le plan intellectuel : ni Maurice Barrès ni Charles Maurras ne possèdent ni ne défendent l’intériorité subjective.

Mais toute une série de figures sincères se sont précipitées dans la brèche ouverte par eux intellectuellement, permettant une dénonciation romantique – mais réactionnaire – du triomphe du capitalisme.

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