Le Xe congrès de juin 1945 s’est tenu sous le triptyque « produire », « renouveler la démocratie par la Constituante », « former le Parti ouvrier français comme fondement de l’union de tous les républicains ».
Le premier aspect est le plus important. Il est la clef du dispositif mis en place par Maurice Thorez. L’idée est simple : les communistes vont montrer qu’ils sont les meilleurs serviteurs de la nation.
Comment ? En gérant eux-mêmes la « bataille pour le charbon ». Sans charbon, il n’y a pas d’économie qui puisse tourner, pas de pays qui puisse se chauffer. Donc, les communistes vont conquérir leur légitimité nationale à travers l’élévation de la production.

Mieux encore : ils vont gérer cette production. Les nationalisations de la production de charbon, ce sont les communistes qui vont s’en occuper. Le travail des mineurs, ce sont les communistes qui vont le gérer.
L’ennemi, du point de vue du Parti Communiste Français, ce sont ici les trusts. Il s’agit de montrer que les trusts sabotent l’économie, alors que les communistes contribuent de manière décisive à la faire tourner.
On a ici la reprise du schéma propre aux démocraties populaires… sauf qu’il est appliqué à un pays capitaliste. Cela ne peut naturellement pas marcher, puisque dans les démocraties populaires, les trusts ont été mis hors d’état de nuire, la bourgeoisie mise au pas, et il y a la présence de l’armée rouge pour épauler le nouveau régime.
Le Parti Communiste Français a ici une démarche opportuniste, propre à la ligne opportuniste de droite de Maurice Thorez.

Par manque de cran, manque de fermeté, le Parti s’en remet toujours aux autres. Aux centristes pendant le Front populaire, à de Gaulle pendant l’Occupation, à la République à la Libération.
Voici l’appel du premier mai 1945 du Parti Communiste Français, où notamment plus d’un million de personnes ont manifesté à Paris, 250 000 à Marseille, 250 000 à Lyon, à l’appel de la CGT. On y a résumé toute la ligne du Parti Communiste Français.
« 1er MAI DE MANIFESTATIONS
Contre les trusts sans patrie, coupables de trahison et organisateurs de la division des Français ;
Pour l’anéantissement du fascisme en Allemagne et partout, y compris en France ;
Pour le châtiment des traîtres et la confiscation de leurs biens ;
Pour la condamnation à mort du traître Bazaine-Pétain [allusion au maréchale François Achille Bazaine qui tenta lors de la guerre franco-allemande de 1870 de jouer sur plusieurs tableaux et fut accusé d’avoir fait perdre la guerre à la France] ;
Pour la défense de la République contre les entreprises de la réaction et du fascisme ;
Pour l’union et le triomphe de toutes les forces de démocratie et de progrès.
TRAVAILLEURS,
FRANÇAIS ET FRANÇAISES,
RÉPUBLICAINS !Le Parti Communiste Français vous appelle à participer en masses ardentes aux manifestations du PREMIER MAI organisées par la C. G. T. à Paris et en province.
A l’heure où la glorieuse Armée Rouge fait flotter ses étendards sur la tanière de l’hitlérisme et opère sa jonction avec les puissantes armées anglo-américaines, à l’heure où dans toute l’Italie du Nord le peuple se bat les armes à la main et écrase l’envahisseur fasciste allemand et ses complices fascistes italiens, manifestez votre volonté de contribuer de toutes vos forces à l’écrasement définitif du fascisme barbare en Allemagne et de ses prolongements dans notre pays !
Exigez que soient brisées toutes les entraves qui empêchent la France d’avoir une grande armée nationale et républicaine digne de son rôle de grande puissance mondiale, d’autant plus qu’une armée de métier pourrait servir à des fins politiques réactionnaires.
Manifestez contre les trusts sans patrie, qui ordonnent le blocage des salaires ouvriers à des taux insuffisants, qui organisent la vie chère en augmentant le prix du pain, celui du gaz dans la région parisienne.
Manifestez contre les agents des trusts placés par Vichy à la tête des Comités d’Organisation, maintenus en place contre la volonté nationale, qui désorganisent systématiquement le ravitaillement et affament tout un peuple !
Dressez-vous contre la hante finance, le Comité des Forges, le Comité des Houillères, les Compagnies d’assurances, les Compagnies d’électricité, qui, après avoir préparé l’invasion et ramassé d’énormes profits dans la collaboration la plus ignoble avec les bourreaux hitlériens, cherchent à semer la division entre Français.
Exigez un châtiment implacable des traîtres, la confiscation de leurs biens au profit de la Nation, le jugement immédiat et la condamnation à mort de Bazaine-Pétain [allusion au maréchal François Achille Bazaine qui tenta lors de la guerre franco-allemande de 1870 de jouer sur plusieurs tableaux et fut accusé d’avoir fait perdre la guerre à la France].
Manifestez contre les entreprises antinationales et antidémocratiques du fascisme et de la réaction, pour la défense de la laïcité, fondement de la République.
Exprimez votre volonté de ne laisser porter aucune atteinte à la souveraineté populaire et exigez que soit élue au suffrage universel, dès le retour de tous les prisonniers et déportés, une Assemblée Constituante souveraine.
FRANÇAIS ET FRANÇAISES,
RÉPUBLICAINS,VIVE LE PREMIER MAI !
VIVE LA FRANCE !
VIVE LA RÉPUBLIQUE !Le Comité Central du Parti Communiste Français.
A PARIS, TOUS LE 1er MAI A 14h, DE LA BASTILLE A LA NATION »
Quel est alors le problème ? Il est simple : comme le Parti Communiste Français se veut le défenseur de la « bataille pour la production de charbon », et de la bataille pour la production en général, dès qu’à ses yeux on sort du cadre, on se heurte à lui.
Cela va être vrai pour toute la période 1945-1947, sans commune mesure, et de manière toujours grandissante.
Les exemples sont nombreux. En décembre 1945, la fonction publique veut entrer en grève après une grève d’avertissement le 12 décembre ; on y échappe de peu. Les ouvriers du Livre sont en grève du 24 au 30 janvier 1946, refusant l’accord pourtant validé par la CGT.
Du 30 juillet au 4 août 1946, ce sont les postiers qui sont en grève, alors que la Fédération Postale de la CGT n’avait autorisé qu’une grève d’avertissement d’une durée de dix heures. En septembre 1946, ce sont les douaniers qui sont en grève, agissant contrairement à leur syndicat CGT.

Toutes ces contestations, le Parti Communiste Français ne les veut pas et ne veut même pas en entendre parler. L’épisode le plus connu est celui de Waziers, dans le Nord. Il y a alors dans cette toute petite ville un peu moins de 10 000 habitants, avec une mairie communiste depuis 1920.
Il y a de nombreuses mines, qui appartenaient à la Compagnie des mines d’Aniche, jusqu’en 1945, où toute la production de charbon a été nationalisée.

L’occasion du voyage de Maurice Thorez, le 21 juillet 1945, est une grève sauvage : les mineurs protestent contre la présence d’anciens collabos dans l’appareil de gestion des mines. Maurice Thorez agresse alors directement les mineurs et les cadres communistes locaux, dans un très long discours.
« On ne peut pas épurer pendant cent sept ans. »
« Quand on me dit, par exemple, qu’à Notre-Dame, ou dans certaines fosses de l’ancienne concession, on a payé jusqu’à 27, 28, 30 % d’absences, je dis que c’est un scandale, ce n’est pas possible, cela ne peut pas continuer. »
« On s’absente trop facilement pour un oui, pour un non, et pour un mineur qui a le goût de son métier, il sait très bien que tant d’absences, c’est une désorganisation complète du travail. On fait tort à ses camarades et pour quelles raisons ? Parfois pour une égratignure. Je dis que c’est un scandale…
C’est fini avec de telles méthodes parce que ça c’est de l’anarchie, de l’encouragement à la paresse. Voici un autre cas : on m’a signalé l’autre jour que dans les puits de l’Escarpelle, une quinzaine de jeunes gens, des galibots, ont demandé de partir à six heures pour aller au bal. Je dis que c’est un scandale, inadmissible, impossible.
Vous le savez bien, chers camarades, j’ai été jeune aussi. J’ai été aussi au bal et j’ai dansé, mais je n’ai pas manqué un seul poste à cause d’une fête ou d’un dimanche.
Je dis aux jeunes : il faut avoir le goût de son ouvrage, parce qu’il faut trouver dans son travail la condition de sa propre élévation et de l’élévation générale : les paresseux ne seront jamais de bons communistes, de bons révolutionnaires, jamais, jamais. »
« Je voudrais vous faire comprendre, je voudrais que ce que nous pensons au Comité central puisse passer dans la tête, dans le cœur de chacun de vous ici, militants communistes, secrétaires des organisations, délégués mineurs, délégués les plus responsables chez vous d’abord, puis chez tous les mineurs communistes, chez tous les syndiqués, chez tous les mineurs, que produire, produire, et encore produire, faire du charbon, c’est aujourd’hui la forme la plus élevée de votre devoir de classe, de votre devoir de Français. »
Le discours de Waziers est emblématique du légitimisme de Maurice Thorez, qui se veut absolu. Si on était en démocratie populaire, son discours aurait un sens. Mais dans le capitalisme ?
Il rééditera une mise en scène à de nombreuses reprises, notamment devant les mineurs pour un long discours à Valenciennes, le 24 décembre 1945, devant 40 000 personnes :
« Produire et encore produire pour le salut de la France et de la République »
Tout ce contexte va provoquer une grande altercation entre Maurice Thorez et Auguste Lecœur, car celui-ci n’apprécie pas la situation.
On parle de quelqu’un plus jeune que Maurice Thorez (il est né en 1911, Maurice Thorez en 1900), avec une carrière exemplaire, précisément dans cette région (tout comme Maurice Thorez) où il a commencé comme mineur à treize ans.
Il a été le secrétaire fédéral du Pas-de-Calais à partir de 1939, après être passé en Espagne dans les Brigades Internationales. Il reconstruit le Parti dans l’illégalité, devenant responsable du Nord et du Pas-de-Calais, qui sont sous occupation allemande directe dans le cadre d’une zone spéciale.

Il est l’un des dirigeants de la grève anti-allemande des 100 000 mineurs du Nord-Pas-de-Calais de 1941. Il est alors appelé à la direction du Parti, dont il devient pratiquement le numéro 2, puisqu’il épaule Jacques Duclos, qui gère le Parti (Maurice Thorez étant en Russie).
Auguste Lecœur s’occupe de l’organisation des cadres, poste ô combien essentiel, et c’est lui la figure majeure en ce domaine pendant toute la Résistance. C’est également lui qui va en 1944, à Paris, diriger l’assaut armé afin de récupérer le siège du Parti alors occupé par la milice.
Il va ensuite être maire de Lens et président de la fédération régionale des mineurs, puis secrétaire d’État au Charbon. Sous son égide, la production de charbon qui était de 18 millions de tonnes de charbon en 1944 rattrape dès 1946 les 28,2 millions de tonnes de 1938.
Il devient alors sous-secrétaire d’État au Charbon en 1946, lorsqu’un autre communiste, Marcel Paul, devient ministre de l’Énergie. Contre ce dernier, il impose un statut du mineur, puis est contraint à cesser d’occuper sa fonction.

C’est que les tensions dans les mines ne cessent pas, la contestation ne va pas cesser de grandir. De plus, la position d’Auguste Lecœur se fait attaquer au sein du Parti. Aligné sur Maurice Thorez, Louis Aragon fait en sorte de publier dans la revue Europe, en février 1946, un poème en prose d’André Stil.
Ce poème fait la promotion de la position de Maurice Thorez dans la bataille pour le charbon (« Le soleil, l’air, l’eau, les rêves et les dimanches entrent dans la bataille du charbon ») ; quelques années plus tard, André Stil qui lui-même vient de la classe ouvrière du Nord dira au sujet du discours aux mineurs de Maurice Thorez : « Waziers, la chance de ma vie ».

André Stil invitera à ce moment-là également Louis Aragon à lui rendre visite, notamment pour aller voir le puits de mine n°7 de Dourges-Dahomey où commença la grève de 1941. Grâce à Louis Aragon, André Stil publie alors son premier ouvrage, Le Mot « mineur », camarades…, naturellement sur la bataille du charbon.
Il devient également rédacteur en chef adjoint du quotidien parisien Ce Soir, justement dirigé par Louis Aragon. Par la suite, André Stil sera membre de son Comité Central du Parti Communiste Français pendant vingt ans et pas moins que le rédacteur en chef de L’Humanité, de 1950 à 1960.
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