Le Parti Communiste SFIC à ses débuts : indiscipliné et éclaté

Comme le syndicalisme révolutionnaire était considéré comme la démarche porteuse, il n’y avait aucune raison pour le Parti Communiste (SFIC) d’accepter ni même de comprendre les exigences de l’Internationale Communiste en ce qui concerne la tactique du « front unique », présentée comme suit dans la Correspondance Internationale, publiée par l’Internationale Communiste :

« On ne peut pas, depuis 1919, compter sur un grand mouvement révolutionnaire en Europe à brève échéance, et la tâche immédiate de l’Internationale Communiste n’est pas l’organisation d’un nouvel assaut contre la société bourgeoise, mais la préparation et l’entraînement des forces qui donneront un jour cet assaut. »

C’est que le Parti français se forme tardivement, on est dans la période de stabilisation relative de la crise générale du capitalisme, principalement en Europe occidentale. Mais les partisans français de la IIIe Internationale considèrent qu’ils n’ont pas signé pour ça, ils veulent être de la vague révolutionnaire considérée comme une sorte de grand soir à grande échelle.

Adepte du concept de minorité substitutiste, le Parti Communiste (SFIC) n’entendait donc certainement pas chercher une unité dans quelque domaine que ce soit. Pour les activistes de la CGT unifiée, le front unique était réalisé justement par la CGT unifiée, tout comme le Parti était le seul front unique dans le domaine politique, puisqu’il avait différentes tendances.

La conférence des secrétaires fédéraux réfuta ainsi l’Internationale Communiste quant à la question du front unique, en janvier 1922, avec le Comité Directeur du Parti expliquant à l’unanimité moins une voix l’impossibilité d’une telle orientation en France.

En avril 1922, le Conseil national tenu à Aubervilliers prit ainsi une résolution par 3 337 mandats contre 627, avec 235 abstentions et 355 absents, affirmant que le Parti récuse la tactique de front unique, au nom de l’esprit dans lequel a été fondée l’Internationale Communiste. Or, c’était impossible puisque c’était le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste qui décidait, le Parti devant simplement adapter la réalisation de la décision aux conditions concrètes.

Déjà, au congrès de Marseille de décembre 1921, les tenants de la soumission complète à l’Internationale Communiste avaient été mis de côté et avaient démissionné du Comité Directeur. Il s’agit de Fernand Loriot, Amédée Dunois, Albert Treint, Paul Vaillant-Couturier (le premier quittera le Parti, le second et le troisième rejoindront la SFIO en 1927 et 1934 respectivement).

Toutes ces querelles reposaient de fait sur une incapacité à forger une direction, alors qu’il y avait une systématisation sur le plan de l’organisation.

Dès 1921 un immeuble fut acheté par le Parti Communiste (SFIC), au 120 rue La Fayette à Paris, afin de servir comme siège du Parti. La cour intérieure était couverte d’une verrière en forme de cercle, d’où le nom de salle de la Rotonde ; elle pouvait accueillir 200 personnes.

Il y avait une librairie au rez-de-chaussée, deux étages pour héberger des permanents, le Comité Central occupant le troisième étage. Il n’avait fallu que quinze jours pour obtenir la somme nécessaire par souscription.

C’était un premier pas allant dans le sens de la mise en place d’une réelle capacité de centralisation. Le souci était que le socialisme français était entièrement fédéraliste. À cela s’ajoute qu’il insiste sur l’existence du droit de tendance et sur la représentation proportionnelle de ces tendances à tous les niveaux du Parti. Aller dans le sens d’une rupture était très difficile.

On peut comprendre le problème en voyant la presse communiste en 1921. Elle est importante ; on a comme quotidien à Paris L’Humanité et L’Internationale (sortant le soir), ainsi que le Journal du Peuple. On a Le Populaire de Bourgogne basé à Dijon, La Dépêche de l’Aube basée à Troyes, La Volkstribune basée à Metz, La Neue Welt basée à Strasbourg, Habib el Oumma qui est publié en arabe à Tunis.

On a une presse bi-hedomadaire avec Germinal basé à Belfort et Le Travailleur basé à Sens.

Et on a une importante presse hebdomadaire : Le Bulletin Communiste (Paris), L’Éclaireur de l’Ain (Oyonnax), La Lutte Sociale (Alger), Le Travail (Montluçon), Le Travailleur des Alpes (Digne), L’Éclaireur (Decazeville), Le Populaire Normand (Caen), Le Travailleur Charentais (Ruelle), L’Émancipateur (Bourges), Le Prolétaire (Périgueux), Le Travailleur (Chartres), Germinal (Brest), L’Ordre Communiste (Toulouse), Le Réveil Socialiste (Nîmes), Travail (Bordeaux), La Voix Socialiste (Fougères), Le Réveil (Tours), Le Progrès (Vendôme), Le Peuple (Saint-Étienne), Le Travailleur (Agen), L’Anjou Communiste (Saumur), L’Égalité (Chaumont), Le Socialiste Nivernais (Nevers), Le Prolétaire (Lille), Le Réveil Social (Maubeuge), Le Franc-Parleur (Beauvais), Le Communiste du Pas-de-Calais (Boulogne), Le Cri du Peuple (Lyon), La Voix Paysanne (Paris), Le Travailleur Savoyard (Annecy), Le Communiste de Normandie (Rouen), L’Aube Sociale (de Seine-et-Oise) (Paris), Le Semeur (Chelles), L’Aube Sociale (Amiens), L’Avenir Social (Tunis), L’Avenir (Carpentras), Le Prolétaire (La-Roche-sur-Yon), Le Prolétaire (Châtellerault), L’Émancipation (Saint-Denis), L’Éveil Communiste (Montrouge), La Butte Rouge (Paris), Le Midi Communiste (Marseille).

Il y a également le bi-mensuel L’Étincelle, à Épinal.

En l’absence de centralisation, de formation des cadres, comment faire pour que toute cette presse aille dans le même sens, soit sur les mêmes bases, ne soit pas une source d’éparpillement et même de division ?

Le Journal du Peuple, quotidien parisien fondé en 1916, était par exemple le bastion de l’aile droite du Parti Communiste (SFIC) et cette situation était un scandale aux yeux de l’Internationale Communiste.

L’exclusion de son responsable était considérée comme fondamentalement nécessaire :

« L’exclusion de [Henri] Fabre et de son journal est une étape de la lutte contre cet esprit de bohème intellectuelle anarcho-journalistique qui, particulièrement en France, prend successivement toutes les formes, toutes les couleurs de l’anarchisme et de l’opportunisme, et finit inévitablement par un coup de couteau dans le dos de la classe ouvrière. »

Sont également exclus Pierre Brizon tenant le journal La Vague, le journaliste Paul-Louis, rédacteur de politique étrangère dans l’Humanité travaillant également au Progrès de Lyon et à La France de Bordeaux.

Subissent le même sort Victor Méric lié à la Ligue des Droits de l’Homme, et en général ceux qui relèvent de la culture radicale républicaine liée à la franc-maçonnerie. Ceux qui en sont membres doivent la quitter avant le premier janvier 1923 et sont écartés des responsabilités pour deux ans, ou bien c’est l’exclusion.

C’en était terminé de la logique la participation individuelle à une sorte d’aventure intellectuelle pour une république sociale. L’Internationale Communiste exigea d’ailleurs que cesse la parution d’articles signés, qui était un prétexte pour faire de la presse des moyens de faire carrière individuellement, d’aller dans le sens de monter des tendances, fractions, etc.

Les intellectuels étaient mis au pas, la culture républicaine – franc-maçonne écrasée : il ne restait plus qu’à prolétariser le Parti Communiste SFIC, ce que l’Internationale Communiste réalisa en le restructurant entièrement.

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et la bolchevisation du Parti Communiste
Section Française de l’Internationale Communiste