Le Parti Socialiste SFIO ne s’est pas unifié en faisant un saut qualitatif. Ce n’est pas un parti de type social-démocrate ; il n’a pas d’orientation déterminée. Et, d’ailleurs, il est possible de dire que la base du Parti s’en moque littéralement. La seule chose qu’il fait, c’est réagir au coup par coup, sur la base de principes communs, combinant collectivisme et internationalisme. Mais il ne procède pas de manière matérialiste historique.
Voici par exemple la résolution sur l’antisémitisme, adopté en 1912 :
« Le Parti socialiste dénonce la manoeuvre antisémitique, diversion grossière qui tend à pousser les travailleurs seulement contre le capital juif ; déclare qu’il n’a pas à connaître les travailleurs en tant que juifs, catholiques ou autres, mais en tant qu’exploités victimes du capitalisme qui n’est ni juif ni chrétien; invite les travailleurs de toutes les races, juifs ou autres, à se débarrasser des préjugés nationalistes et à rejoindre les organismes réguliers de lutte prolétarienne. »
C’est pour le moins léger dans un contexte où l’antisémitisme est virulent encore, mais le Parti ne dispose pas d’une capacité d’analyse, de synthèse. Il ne maîtrise pas le marxisme, qu’il entrevoit mal et qu’il saisit au mieux comme un prétexte pour l’action, dans le prolongement des traditions françaises faisant du syndicalisme la méthode suffisante en soi pour lutter.
Normalement, les structures du Parti ont comme obligation de se procurer la revue théorique du Parti, Le Socialiste. Elles ne le font pas. Au 4e congrès, en 1907, le rapport se demande avec une ironie emprunte d’inquiétude :
« Malgré les décisions de nos Congrès, rendant obligatoires pour tous les groupes l’abonnement au Socialiste, beaucoup de ces groupes échappent à cette obligation.
Le Socialiste publiant toutes les communications du Parti, nous nous demandons de quelle façons les militants des groupes non abonnés sont mis au courant de ce qui se passe dans le Parti, et si c’est par révélation qu’ils peuvent prendre des décisions sur les questions soumises au Congrès annuel. »
Lors du Congrès de 1909, le rapporteur traitant de la situation de l’organe du Parti, Le Socialiste, s’exprime de manière ahurissante :
« Est-il besoin de répéter que malgré les décisions des Congrès, malgré le règlement, beaucoup de secrétaires de groupes négligent de prendre un abonnement au Socialiste, et qu’ils sont ainsi responsables de l’ignorance de beaucoup de nos camarades en ce qui concerne les décisions du Parti ?
Je l’ai écrit dans les rapports précédant les Congrès de Limoges, de Nancy et de Toulouse ; je l’ai dit à la tribune de ces congrès. Je le répète par acquis de conscience et sans trop espérer que nos camarades feront leur devoir. »
Lors du 9e Congrès national du Parti Socialiste (Section française de l’Internationale ouvrière), à Lyon en février 1912, il est ainsi encore une fois de plus constaté les problèmes d’abonnements :
« Beaucoup de critiques ont été élevées à propos des conditions où se rédige et se publie l’organe central du Parti, le Socialiste. Il est certain que le fonctionnement de ce service est défectueux.
N’en eût-on pas d’autres preuves, il n’y aurait qu’à constater la manière dont s’applique l’article des statuts qui le concerne. En effet, d’après cet article, l’abonnement est obligatoire pour toutes les Fédérations, Sections et Groupes du Parti.
Or, si toutes les Fédérations s’acquittent sans doute du prix d’un abonnement au Socialiste, il n’en est pas de même des Sections, et à plus forte raison des Groupes.
Le nombre des Groupes du Parti est d’environ 1800. Or, le chiffre total des abonnés à l’organe central hebdomadaire dépasse à peine 1300, en comprenant dans les abonnés individuels en France et à l’étranger.
Il suffit, du reste, de jeter un coup d’œil sur la colonne du tableau annexe au rapport annuel du secrétariat pour se rendre compte que le nombre d’abonnés dans chaque département n’est nullement en rapport avec celui des Groupes.
D’autre part, la vente au numéro est fort peu de chose. D’où cette conclusion que l’organe du Parti reste à peu près ignoré d’un grand nombre de ses membres et même de ses groupements. »
Le 10e congrès de 1913 constate ainsi amèrement :
« La situation de notre organe central [Le « Socialiste »] ne s’améliore pas. La baisse des abonnements s’accentue. De nombreux groupes et sections refusent l’abonnement statutaire. Les raisons invoquées sont : les dettes électorales et les sacrifices consentis en faveur de l’Humanité. »
Malgré la progression des effectifs, les ventes des ouvrages de la librairie du Parti, servant de diffuseur, ne progressent pas suffisamment.
36000 brochures et volumes sont vendus en 1906, 80 000 l’année suivante, 130 000 en 1909, chiffre le plus élevé pour la période, et 90 000 en 1912, 1911 étant par ailleurs une année de stagnation du Parti. Entre 1906 et 1912, la moyenne se situe autour de 90 000 livres et brochures par an.
A la veille de la première guerre mondiale, il n’y a donc environ un peu plus qu’une brochure ou livre vendu par adhérent ; 200 000 attendent dans les stocks de se voir diffuser. Le problème de la diffusion se posait d’ailleurs de manière générale. En 1912, seulement 6 000 cartes postales furent vendues, ainsi que 35 000 coquelicots et églantines, 3 500 insignes.