Lorsque commence la guerre civile en Espagne, le 18 juillet 1936, L’Humanité aborde le sujet tous les jours sur sa première page, appelant au soutien et présentant les succès de la République sous un angle très optimiste. Ce n’est qu’à la fin octobre que l’actualité espagnole ne sera plus forcément présente de manière marquée sur la première page.
Le soutien à la République espagnole est apparue, de fait, dès le départ aux yeux du Parti Communiste Français comme un moyen de gommer toutes les incohérences qu’il y a à soutenir la république française. Comme la République espagnole est attaquée par le fascisme, c’est bien que le combat est entre fascisme et république : tel est le justificatif qui n’est pas ouvertement avoué, mais forme la substance de la question.
Et la position du Parti Communiste Français a un énorme écho. Deux événements de masse ont lieu en été 1936, avec cet arrière-plan : il y a 400 000 personnes présentes au Parc de Saint-Cloud, non loin de Paris, pour la fête du rassemblement universel, le 9 août 1936. Il y en a 300 000, non loin, à Garches, quelques jours plus tard, pour la fête de l’Humanité.
Mais lorsque Léon Blum a pris la parole à Saint-Cloud, en tant que chef de gouvernement, ce qu’il propose, c’est seulement la non-intervention. Cela met en porte-à-faux le Parti Communiste Français, qui est pour un soutien total à la République espagnole.
Et cela alors que la base populaire est pour le soutien : 300 000 métallos parisiens font une grève d’une heure en soutien à l’Espagne, le 5 septembre 1936.
Le Parti Communiste Français doit alors choisir ou le sentiment des masses, ou le soutien au gouvernement. Cependant, il considère que toute critique faite au gouvernement affaiblirait le Front populaire et il refuse cela, à tout prix.
La ligne du Parti Communiste Français, avec Maurice Thorez comme ici à l’Assemblée nationale le 5 décembre 1936, consiste à dire :
« Le Parti communiste a été opposé et reste opposé à toute intervention directe ou indirecte dans les affaires d’Espagne. Mais le Parti communiste n’a pas approuvé et n’approuvera jamais l’initiative néfaste du gouvernement qui a organisé en fait le blocus de la République espagnole. »
Vint alors un second problème, prétexte pour la première fois, le 27 septembre 1936, à ce que L’Humanité mentionne l’Espagne en première page de manière moins marquée. C’est que le gouvernement du Front populaire a réalisé une dévaluation par surprise.
Le Parti Communiste Français avait, avant même la victoire électorale du Front populaire, dénoncé les capitalistes spéculant sur le franc, sur l’économie française.
La dévaluation était bien entendu une cible inévitable. Georges Politzer, dans un article sur la défense du franc, dans les Cahiers du bolchevisme en avril 1936, soulignait que, outre la lutte contre le fascisme, il y a la question économique qui joue fondamentalement :
« C’est de la même manière [que la lutte contre le péril fasciste] que, conscient du danger que représente la ruine du franc pour le pain, et par le pain, pour la liberté et la paix, que notre Parti a placé résolument la défense du franc au premier rang parmi les mots d’ordre qui sont les siens durant la campagne électorale.
Nos orateurs sont les seuls qui, à travers tout le pays, montrent que la dévaluation est un péril qu’il faut écarter. Seul notre Parti proclame devant tout le pays, résolument, sans réticence : le franc, c’est le pouvoir d’achat du peuple français ; la défense du franc, c’est la défense du pain, inséparable de la défense de la pax et de la liberté.
Et parce qu’il est le seul à considérer la dévaluation comme un péril, et à le considérer comme tel sans réserve, parce qu’il est seul à comprendre entièrement et à dénoncer, sans hésitation, tous les dangers que recèle une dévaluation éventuelle que notre Parti Communiste est aussi le seul parti présentant un programme économique et financier dont la réalisation implique un prélèvement sur les richesses exclusivement. »
Mais que faire alors que c’est désormais le gouvernement de Front populaire qui met en place une telle mesure ? C’est, dans la même revue, qui est celle des cadres du Parti, que Jacques Duclos essaie de formuler la réponse. Il explique dans « Le Parti Communiste devant la dévaluation » :
« Le pays tout entier a appris avec étonnement et inquiétude la nouvelle de la dévaluation dont le gouvernement Léon Blum a été amené à prendre l’initiative. Le Parti communiste a à cette occasion dénoncé une fois de plus avec vigueur la malfaisance de la dévaluation qui se traduit par des sacrifices nouveaux pour les masses laborieuses (…).
Le programme [du Rassemblement Populaire c’est-à-dire le Front populaire] n’a jamais prévu la dévaluation et il comporte par contre un chapitre qui prévoit l’assainissement financier au moyen de certaines mesures parmi lesquelles figure une réforme démocratique des impôts comportant une détente fiscale en vue de la reprise économique et la création de ressources atteignant les grosses fortunes.
C’est ce programme que le gouvernement du Front populaire aurait dû s’employer à faire aboutir de toute urgence. Mais à la vérité on a reculé devant les difficultés, on en a somme reculé devant les gros possédants de ce pays tout comme malheureusement on n’a que trop reculé aussi devant les bandes factieuses qui se reconstituent, s’arment et se préparent à livrer un nouvel assaut contre les institutions républicaines.
Finalement en matière financière le gouvernement a opté pour la dévaluation, que nous communistes avons toujours considéré comme dangereuse et que nous persistons à considérer comme une opération dommageable pour le peuple.
Nous sommes sûrs que si on avait voulu appliquer notre proposition de prélèvement sur les grosses fortunes nous serions en présence d’une toute autre situation. »
Et Jacques Duclos de conclure : nous allons protester, nous sommes contre, il faudrait mieux faire des impôts sur les riches comme nous l’avions demandé…
Mais l’ennemi numéro 1, ce sont les fascistes, donc nous continuons à soutenir le gouvernement même si nous protesterons contre la mesure, et nous attendons du gouvernement qu’il ne perde pas de vue que c’est « contre le fascisme et uniquement contre lui qu’il faut agir ».
C’est la même position que concernant l’aide au gouvernement républicain en Espagne. Cependant, dès le mois de décembre, cette politique n’est plus tenable et le Parti Communiste Français est bien obligé, par la force des choses, de s’abstenir lorsque le gouvernement pose la question de confiance.
Cette dernière est accordée par 350 voix (socialistes, radicaux, centristes républicains, etc.) contre 171 (de la droite). Les 72 députés communistes ont choisi l’abstention, mais ils en expriment un grand regret.
Car la question de confiance ne concernait que la politique extérieure, ce qui obligeait le Parti Communiste Français, à se retrouver dans une posture de refus. Il ne compte pas pour autant modifier sa ligne, comme en témoigne sa position officielle.
« Le Parti communiste, initiateur du Front populaire, affirme à nouveau qu’il soutiendra loyalement et sans éclipse le gouvernement pour l’application du programme du Rassemblement populaire.
Le groupe parlementaire, par son abstention, s’est refusé à approuver le blocus de l’Espagne. républicaine, contraire à t’esprit du programme du Front populaire. Il manifeste le vif désir de n’avoir plus, à l’avenir, à émettre un vote semblable et de pouvoir collaborer, étroitement et fraternellement, à l’œuvre gouvernementale.
La question qui reste posée est de savoir comment le gouvernement issu du scrutin du 3 mai dernier s’emploiera à l’application du programme commun pour le pain, la liberté et la paix.
Le secrétariat du Parti communiste français. »
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