Se plaçant à la remorque des radicaux, le Parti Communiste Français parle d’ordre et de tranquillité publique, de « prospérité dans la légalité » et dénoncent les fascistes comme des tenants de la guerre « entre Français ». Il y eut même l’emploi de l’expression « front français », mais cela créa une polémique avec les socialistes.
Si on regarde, plus on se rapprochait des élections, plus le Parti Communiste Français a forcé les choses quant à un patriotisme d’unité nationale ; avec la victoire électorale, toutes les digues ont été rompues.
Voir un million de personnes défiler à Paris le 14 juillet 1936 (200 000 à Marseille, 100 000 à Lyon), avec une importance significative donnée aux communistes, cela suffit pour convaincre la base du Parti, au point que la tendance n’a plus de frein.
L’Humanité salue même le « peuple de Paris » qui a crié « Vive l’armée républicaine » au passage des troupes sur les Champs-Élysées, le même jour. Cela, alors que pendant dix ans, les peines de prison se sont abattues sur les militants du Parti en raison de la propagande anti-armée, anti-guerre.
Le plus marquant, c’est sans doute l’éloge ininterrompu de Jeanne d’Arc, qui est parallèle à la réhabilitation de la Marseillaise. Cela devient un leitmotiv du Parti Communiste Français, surtout lorsqu’il est parlé des femmes.
C’est très opportuniste en soi, car la figure de Jeanne d’Arc est en fait récente sur le plan d’une éventuelle valorisation. Après sa mort, elle passe en effet grosso modo à la trappe, et c’est la guerre franco-prussienne de 1870-1871 qui la remet sur le devant de la scène idéologiquement (Jeanne d’Arc étant de Lorraine).
C’est alors que son culte apparaît : elle est béatifiée par l’Église en 1909, puis une loi de 1920 fait du deuxième dimanche de mai, « jour anniversaire de la délivrance d’Orléans », un jour de fête : « la Fête Jeanne d’Arc, fête du patriotisme ». L’Église procède ensuite à la canonisation de Jeanne d’Arc en 1920.
C’est justement dans le cadre de la fête patriotique de la IIIe République que l’hebdomadaire Regards, apparu dans les années 1930 dans le cadre des multiples activités du Parti Communiste Française, présente « Jeanne d’Arc, fille du peuple devant ses juges », le 14 mai 1936.
On est là dans une double opération de légitimité. La Marseillaise est prétendument réappropriée comme expression populaire de la révolution française. Jeanne d’Arc serait le symbole de la dimension historique de cette dimension populaire de révolte contre une direction nationale « vendue ».
Le Parti Communiste Français n’abandonnera plus jamais cette ligne, du moins jusqu’au début des années 1990. L’État serait aux mains d’une poignée de grands bourgeois se vendant au plus offrant, et il s’agirait pour le peuple de récupérer le pays.
C’est une ligne nationaliste, qui n’a pas eu toujours le dessus : elle est parfois utilisée comme prétexte, comme arrière-plan pour des revendications, mais tendanciellement elle est toujours présente, et à partir de 1953 elle l’emporte de manière définitive. S’il était auparavant possible de jouer là-dessus, dans le cadre de l’Internationale Communiste et de l’URSS de Staline, après 1953 le Parti Communiste Français est arc-boutée de manière totale dans sa posture « nationale ».
Un grand meeting est ainsi organisé à Choisy-le-Roi, fin juin 1936, à l’occasion des cents ans de la mort de Rouget de Lisle, celui-ci étant mort dans cette petite ville près de Paris, où il dispose d’une grande statue. Rouget de Lisle y est en train de chanter la main sur le cœur, alors qu’il tient de l’autre une épée et une partition.
20 000 personnes y sont présentes, après un défilé de 50 000 personnes où sont chantées les deux chansons « réconciliées », la Marseillaise et l’Internationale. Le gouvernement a envoyé un représentant, le ministre de l’Air Pierre Cot, qui salue l’initiative :
« Vous avez su réconcilier la République avec les traditions révolutionnaires. »
Quant à Maurice Thorez, il pratique encore et toujours la surenchère, à la moindre occasion :
« ‘‘La Marseillaise’’ restera à jamais le chant de notre Peuple (…). ‘‘La Marseillaise’’ nous inspire dans notre œuvre de réconciliation nationale contre les deux cents familles, d’union de tous les Français qui travaillent, qui souffrent et qui espèrent en un avenir radieux de prospérité et de bonheur. Aux accents mêlés de ‘‘La Marseillaise’’ et de ‘‘L’Internationale’’, sous les plis réconciliés du drapeau tricolore et du drapeau rouge, ensemble nous ferons une France libre, forte et heureuse !” »
Tout cela est en conflit total avec la ligne du Parti Communiste Français avant le Front populaire ; même depuis sa mise en place, les bagarres sont récurrentes entre les cortèges ou des personnes se croisant avec d’un côté un drapeau français, de l’autre un drapeau rouge.
Les deux drapeaux expriment un clivage de classe tout à fait net et sont prétexte à une mentalité de guerre civile. S’il y a une part de reste d’anarchisme ou plutôt de syndicalisme révolutionnaire anarchisant dans l’attitude des communistes dans ce cadre, il n’en reste pas moins que c’est un vecteur de lutte de classe.
Le Parti Communiste Français dirigé par Maurice Thorez cherche à tout prix à briser cette dimension culturelle porteuse de contradiction. C’est qu’il en va de la crédibilité du Parti à se légitimer par rapport à l’opinion publique pense-t-on, et en réalité par rapport à l’idéologie dominante.
Le secrétariat du Parti, à la toute fin juin 1936, tient ainsi à rappeler que :
« Le drapeau tricolore ne doit pas diviser les Français.
La presse réactionnaire fait état de remarques désobligeantes dont serait l’objet des personnes qui arborent les trois couleurs de la France républicaine.
Le Parti communiste, qui considère comme sa grande tâche de réconcilier ceux qui arborent le drapeau tricolore de nos pères et ceux qui arborent le drapeau rouge de nos espérances, est certain que de telles remarques n’émanent pas de communistes.
Notre Parti, soucieux de travailler à réaliser l’union de la nation française pour une France libre, forte et heureuse, sait ce que représentent les trois couleurs dans l’histoire du peuple de notre pays, et il sait aussi que les masses populaires voient dans le drapeau tricolore l’emblème de la liberté.
Le drapeau tricolore flottait à Valmy tandis que les hommes de Coblentz [c’est-à-dire les aristocrates émigrés en Allemagne à Coblence] combattaient la France [de la révolution française] depuis les armées du roi de Prusse.
Ce drapeau, sous les plis duquel nos pères défendirent la liberté, appartient au peuple ; nous nous refusons à suivre ceux qui voudraient en faire l’emblème de la division entre Français.
Et les communistes qui luttent sous les plis du drapeau rouge considèrent comme leurs frères tous les Français qui veulent le bonheur du pays. Ils leur tendent la main, convaincus qu’on ne parviendra pas à faire de notre drapeau tricolore le drapeau de la désunion de la France. »
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