Le PCF en 1947 : le XIe congrès, la rectification et le compromis

Pour Maurice Thorez, c’était un désastre. Il apparaissait comme la principale cause de l’échec, il le vivait extrêmement mal.

L’Humanité se lança alors dans une vaste campagne d’expression de « confiance et d’affection » à son sujet.

On rentre dans une période où il va être présenté comme la grande figure, l’équivalent du Parti. Il y a ici un jeu étrange, avec des tendances contradictoires.

D’un côté, le Parti cherche à survivre coûte que coûte, avec Maurice Thorez comme symbole, de l’autre il a besoin de justifier son existence.

D’où la voie française au socialisme formulé en 1947.

Tout se joue au 11e congrès du Parti Communiste Français, qui se déroula du 25 au 28 juin à Strasbourg, en présence de 1 200 délégués. Son mot d’ordre était « Au service du peuple de France » et Maurice Thorez est mis en avant comme le « guide idéologique de la classe ouvrière et du peuple ».

Or, jusque-là, jamais le Parti Communiste Français n’avait parlé d’idéologie, si on omet la diffusion juste avant son interdiction du Petit précis d’histoire du Parti Communiste d’Union soviétique (bolchevik).

Il s’agit là d’un changement complet. Et comment cela se concrétise-t-il ?

Par un rapport qui contient deux choses nouvelles : tout d’abord une dénonciation de l’expansionnisme américain, ensuite une dénonciation idéologique de Léon Blum !

Tout cela est totalement nouveau. Depuis 1945, le Parti Communiste Français n’a cessé d’appeler à l’unité organique avec les socialistes, au sein d’un Parti Ouvrier Français. On a maintenant une attaque frontale du Parti socialiste-SFIO.

Le Parti Communiste Français n’avait jamais mené non plus de bataille idéologique et d’ailleurs la seule idéologie mise en avant était la « République » définie comme sociale et laïque. C’en était au point où le nationalisme primait et où il fallait soutenir le régime à tout prix pour servir la « renaissance française », la « grandeur nationale ».

Que s’est-il passé ? Pour comprendre ce qui se passe au 11e congrès, il faut aller un peu plus loin.

Maurice Thorez accorde une interview au journaliste anglais Harold Pinter, le 21 septembre 1947.

L’Humanité la publia le lendemain. On y lit notamment :

« Le Parti Communiste est un parti de gouvernement, dont le programme fondamental et le langage n’ont pas changé et ne changeront pas, selon que le Parti, est ou n’est pas au gouvernement (…).

Depuis mai 1943, il n’y a plus d’internationale Communiste, pour la raison essentielle que les voies du développement du mouvement ouvrier sont devenues extrêmement diverses et que chaque Parti Communiste doit tenir compte des problèmes concrets posés devant la classe ouvrière de son pays.

Dans une autre période historique, la même question s’était posée aux fondateurs de la Première Internationale qui l’avait résolue de la même façon. Il n’est donc pas possible de parler de « tactique d’ensemble » des partis communistes, ni pour le passé récent, ni pour l’avenir.

Ce que peut dire tout homme attentif aux questions de politique internationale, c’est que les Partis Communistes apparaissent bien, chacun dans son pays, comme les animateurs d’une large, politique d’union ouvrière et démocratique, pour la renaissance et l’indépendance de leur patrie respective, pour l’entente entre les peuples et pour la paix. »

Ce qu’on lit ici, c’est le grand compromis, c’est ce que Maurice Thorez a réussi à sauver de sa propre ligne. Pour le reste, il s’est fait critiquer par le Mouvement Communiste International.

Le lendemain de la publication de ces propos s’ouvrait justement la réunion fondatrice du Kominform, le Bureau d’information des partis communistes et ouvriers.

Celle-ci se déroula eu 22 au 27 septembre 1947, en Pologne à Szklarska Poreba, en présence de représentants des Partis communistes de l’URSS, de la Bulgarie, de la Hongrie, de la Pologne, de la Roumanie, de la Tchécoslovaquie, de la Yougoslavie, ainsi que de France et d’Italie.

Le Parti Communiste Français en prit immédiatement pour son grade : qu’avez-vous fait depuis 1945, demande-t-on en substance ? Et la même accusation est faite aux communistes italiens.

C’est Andreï Jdanov qui est en première ligne. Il critique les communistes français et italiens pour faire de la participation gouvernementale l’alpha et l’oméga de leur politique. Où est la bataille pour la prise du pouvoir ? Où est la critique de l’impérialisme américain ?

Le Parti Communiste Français a même pris la décision de quitter le gouvernement sans en informer personne !

Tout cela reflète que le Parti Communiste Français s’est cru dans un régime devenu démocratique, il a cru qu’il pouvait s’installer dans les institutions et qu’il suffirait de promouvoir l’unité populaire pour réussir à changer le cours des choses.

C’était de l’opportunisme, d’où la sanction en 1947 avec une critique impliquant une rectification générale.

Les 29-30 octobre 1947, le Comité central du Parti Communiste Français assume la critique faite à la réunion du Kominform ; le rapport qu’y fait Maurice Thorez reflète vigoureusement la ligne attendue par le Kominform, avec une dimension autocritique.

« Le Comité Central, dans sa dernière session, avait signalé des lacunes, des erreurs dans l’activité du Parti, de ses divers organismes et des militants, aux différents postes auxquels la confiance des masses les a appelés.

La racine de ces erreurs, nous la trouvons dans le retard du Comité Central lui-même à constater et à définir clairement la nature et la portée des changements intervenus dans la situation internationale et notamment du regroupement des forces impérialistes et antidémocratiques, sous la direction et au profit des États-Unis.

Dès lors, nous n’avons pas souligné, dès le début, et avec la vigueur nécessaire, que nous n’avions été écartés du gouvernement que sur l’ordre exprès de la réaction américaine. Et nous avons prêté le flanc à la manœuvre de Léon BLUM et de RAMADIER qui voulaient faire croire à des divergences portant exclusivement sur les questions de salaires et de prix.

Nous avons laissé mettre en avant ce qui n’avait été qu’un prétexte pour nous éloigner du gouvernement.

D’autre part, si nous avons eu raison de dénoncer notre éviction du gouvernement, comme étant une violation des lois de la démocratie parlementaire — comme un nouvel indice de la crise de la démocratie bourgeoise que les capitalistes jettent par-dessus bord dès l’instant oh elle peut être utilisée par la classe ouvrière — nous avons laissé l’impression qu’il s’agissait d’une crise ministérielle plus ou moins ordinaire, tandis qu’il s’agissait d’une intervention brutale des impérialistes américains dans les affaires de la France.

Par suite de cette faute initiale, nous n’avons pas, dès le début, démasqué impitoyablement la conduite des dirigeants socialistes, et des divers partis au gouvernement, comme étant une véritable ignominie, une honteuse trahison des intérêts nationaux.

Il en est résulté les indécisions, les flottements de notre groupe à l’Assemblée Nationale, critiqués par le Comité Central dans sa dernière session : l’abstention au lieu d’un vote résolument hostile contre certains textes gouvernementaux (mesures de vexation envers les paysans, statut de l’Algérie) ; la dénonciation insuffisante de la loi électorale municipale DEPREUX-BARRACHIN, en raison des illusions que l’on cultivait sur l’attitude de tel ou tel groupe, sans tenir compte de la nouvelle situation en France et dans le monde.

Pendant un certain temps, le Parti a semblé hésiter dans son opposition à un gouvernement qui méconnaît si gravement les intérêts du pays.

Nous avons paru sensibles aux criailleries des socialistes et autres qui nota reprochaient de vouloir faire échec à l’octroi de crédits américains et de porter préjudice à notre pays, en somme, de ne pas agir en patriotes.

Alors que, seuls, nous avons, sur ce problème comme dans toutes les autres questions, une attitude absolument conforme aux intérêts de la France.

Alors que, seuls, nous nous comportons en patriotes passionnément attachés à leur pays.

Les hésitations du Comité Central et du Groupe Parlementaire ont nui, dans une certaine mesure, à la rapide mobilisation des masses ouvrières et démocratiques contre le gouvernement RAMADIER et sa politique néfaste.

Elles ont nourri les tendances opportunistes, condamnées le mois dernier par le Comité Central, et qui s’expriment dans la sous-estimation des forces de la classe ouvrière et la crainte du mouvement de masse.

Alors que le devoir des communistes, dit notre résolution de septembre, est ‘de se placer résolument à la tête du mouvement populaire avec hardiesse et esprit de responsabilité.

Alors que le Parti Communiste a pour mission d’élever, d’éduquer, d’organiser, de guider le mouvement de la classe ouvrière et des masses laborieuses.’ »

Le 18 novembre 1947, Maurice Thorez se rend également à Moscou pour rencontrer Staline.

Désormais, le Parti Communiste Français est « surveillé » de près. Cela va modifier toute sa perspective.

Mais ce qu’on lit au 11e congrès allait déjà dans ce sens : dès la crise gouvernementale, marquée par la sortie du gouvernement, l’URSS était intervenue et c’est ce qui explique le discours subitement différent.

Le 11e congrès a ainsi une double nature : il est acceptation de la rectification… mais au prix d’un compromis à accepter du point de vue du Mouvement Communiste International. La France aurait sa propre « voie ».

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