Voici ce qu’on lit dans Pour le salut du pays, un manifeste du 8 juin 1937. C’est la thèse devenue fondamentale du Parti Communiste Français avec Maurice Thorez, c’est la « République » contre l’oligarchie.
« Battue aux élections de 1936 par le suffrage universel dont le verdict républicain est confirmé à chaque élection partielle, la réaction veut s’opposer à la volonté légale du pays et, pour parvenir à ses fins, elle vise en premier lieu à briser l’union des forces de progrès, de liberté et de paix.
Le Parti communiste, attaché de toutes ses forces au Front populaire, dont il s’honore d’avoir été l’initiateur, se dresse contre les prétentions des oligarchies financières.
Ces forces occultes et malfaisantes voudraient imposer au pays de nouveaux sacrifices, alors que les gros possédants ne veulent pas remplir leur devoir envers la Nation. »
C’est une ligne opportuniste de droite, qui se cristallise comme social-chauvinisme ou du moins le devrait, si le Parti Communiste Français ne se faisait justement alors rejeter par les centristes.
On lit la même chose dans Union du Front Populaire pour l’application du programme, une déclaration commune du Comité Central et du Groupe parlementaire, du 15 juin 1937.
On notera que cette déclaration est issue d’un « débat » sous la présidence de Marcel Cachin, ce qui met à égalité sur le plan juridique interne le Comité Central et le groupe parlementaire, ce qui est absolument inacceptable du point de vue communiste.
Il y est dit la chose suivante principalement :
« Le Comité central et le groupe communiste [parlementaire], réunis en séance commune, affirment leur attachement indéfectible au Front populaire du pain, de la paix et de la liberté.
Dénoncent avec indignation les manœuvres et le chantage des oligarchies qui prétendent imposer au parlement et au gouvernement des mesures financières contraires à la volonté du peuple nettement exprimée en mai 1936 (…).
Pour sa part, en présence de l’assaut furieux de la réaction, le Parti communiste se déclare prêt à prendre toutes ses responsabilités dans un gouvernement renforcé et constitué à l’image du Front populaire pour le salut de la France, de la démocratie et de la paix. »
Le Parti Communiste Français fit un appel le 21 juin 1937 (« La volonté du pays ») et c’est le même souci de l’unité à tout prix :
« Le Front populaire doit rester uni dans le pays et au Parlement pour poursuivre et développer son œuvre, pour tenir les promesses faites à la nation. »
Une nouvelle déclaration commune (« Une seul programme) du Comité Central et du Groupe parlementaire eut lieu le lendemain ; il y est souligné que :
« Le Bureau politique et le Bureau exécutif du groupe parlementaire communiste, réunis en commun le mardi 22 juin, déclarent qu’il n’est pas possible d’envisager d’autre gouvernement qu’un gouvernement de Front populaire. »
Après avoir formulé une telle ligne, il est impossible pour le Parti Communiste Français de reculer.
Et lorsqu’en 1938, les centristes rejettent le Parti Communiste Français, alors ce dernier n’a plus le choix : de manière mécanique, la seule chose cohérente qu’il peut exposer à partir de son propre point de vue est que les centristes… se trahissent eux-mêmes.
La grande bataille du Parti Communiste Français en 1938 est ainsi de dire que les centristes devraient s’assumer pleinement et donc se tourner vers lui, au lieu de faire le contraire.
Cela donne une relecture complète des radicaux, qui ne sont plus vus comme la bourgeoisie moderne de l’époque, franc-maçonne et libérale, mais comme le parti historique de la petite-bourgeoisie, alors que la base des principes communistes est que cette dernière n’est pas une classe en tant que telle.
Les meetings, positions, analyses du Parti Communiste Français s’alignent totalement sur cette fiction alors, justifiant n’importe quel subjectivisme au nom d’une seule et même chose : la République française.

Il y a ainsi trois meetings à Paris, avec 7 000 personnes, le 3 décembre 1938, qui servent dans les faits à exprimer le légitimisme. Maurice Thorez dit ainsi lors de l’un des meetings que :
« Par notre union, nous obtiendrons l’abrogation des décrets-lois et le retour à une politique de progrès social, de démocratie et de paix conforme à la volonté du pays et aux intérêts de la France. »
30 000 personnes sont au vélodrome d’Hiver le 10 décembre 1938 ; Édouard Daladier est dénoncé comme quelqu’un aux ordres des banques, qui impose des décrets-misère.
Cependant tout se ramène aux yeux du Parti Communiste Français au fait que les radicaux se dévoient.
Dans un long article pour les Cahiers du bolchevisme, la revue théorique du Parti, Jean Bruhat expose de la manière suivante cette interprétation erronée. Il dit en décembre 1938 dans ses Notes sur les traditions du radicalisme français et la politique de M. Daladier :
« M. Daladier est président du Parti radical et radical socialiste. Mais le peuple de France ne confond point M. Daladier et le Parti radical (…).
La politique de M. Daladier n’est pas conforme aux traditions radicales françaises que nous voulons très objectivement rappeler. Le Parti radical est le parti de la petite-bourgeoisie française, de cette petite bourgeoisie dont Maurice Thorez définissait ainsi les tendances [dans L’union de la nation française] : « La petite bourgeoisie commerçante et rurale hait le capital et surtout les banquiers, détenteurs du crédit ; mais elle croit à l’existence éternelle de la propriété et même à la possibilité de l’arrondir. »
La tactique du grand capital est très claire. Utiliser les hésitations propres à la petite bourgeoisie pour séparer le Parti radical de la classe ouvrière. Or, quand le Parti radical se sépare de la classe ouvrière, c’est à lui-même qu’il porte un coup. Toute notre histoire le prouve – et avec quelle force ! »
Suit une très longue analyse affirmant que les radicaux n’ont jamais voulu de compromission avec la droite ni d’ennemis à gauche, qu’ils ont toujours été tournés vers les réformes sociales.
Ce qui est complètement faux dit ainsi : les réformes relevant de la modernisation du capitalisme. Les radicaux sont l’expression de la bourgeoisie moderniste, qui réforment la société pour mieux développer le capitalisme, et ils avaient simplement besoin des socialistes comme contre-poids aux forces monarchistes et cléricales, d’où leur image « de gauche » parfois.

Et, de toutes façons, ils ont toujours été au cœur du gouvernement et du régime, utilisant principalement la franc-maçonnerie comme moyen de rendre le tout cohérent à travers les différents partis et les différentes tendances.
On est là dans un idéalisme porté par la ligne opportuniste de droite de Maurice Thorez.
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isolé et interdit (1938-1939)