Le PCF et Daladier contre Daladier

Conséquemment à sa position, le Parti Communiste Français oppose Édouard Daladier à Édouard Daladier, accusant le président du Conseil d’avoir modifié ses positions, renversé sa propre ligne de conduite.

Édouard Daladier

Le 8 décembre 1938, Jacques Duclos tient un discours à l’Assemblée nationale et le dit expressément. Le Parti Communiste Français se pose en réel représentant des radicaux, pour ainsi dire.

« Enfin voici venu le moment où les représentants de la nation peuvent demander des comptes au gouvernement.

Peut-être, monsieur le président du conseil, n’avez-vous pas agi tout à fait dans l’esprit du programme de votre parti, qui affirme la souveraineté du suffrage, universel, qui repousse la pratique, avouée ou occulte, du pouvoir personnel en faisant siéger la Chambre quarante-neuf heures trente-cinq minutes en huit mois. (Applaudissements à l’extrême-gauche)

Mais si le gouvernement a semblé fuir le contrôle de la représentation nationale, c’est peut-être parce qu’il avait des doutes sur l’approbation de sa politique par le pays.

Il est vrai qu’on s’est beaucoup servi du micro. On s’est trop servi du micro, mais pas assez de la tribune parlementaire, comme si la représentation légale du pays n’existait pas ou n’existait plus.

Il est vrai qu’au micro on ne risque pas la contradiction. (Très bien !Applaudissements à l’extrême-gauche communiste).

Nous sommes loin, monsieur le président du Conseil, de l’époque où vous attaquiez le ministre des Postes, Télégraphes et Téléphones, aujourd’hui ministre des Colonies, et considéré comme un ministre de deuxième zone, puisque banni de certaines réceptions. (Applaudissements à l’extrême-gauche)

Nous sommes loin de l’époque où, parlant de la radio ; lorsqu’il s’agissait de constituer l’association Radio-Liberté, vous disiez

« La pensée doit être libre. Cependant, le capitalisme a mis la main sur l’œuvre des savants désintéressés et corrompu la pensée, comme il a corrompu les cœurs et les muscles. Sur ce terrain, ajoutiez-vous, il faut donc engager la lutte quelle que soit la bataille engagée, je serai avec vous. » (Applaudissements à l’extrême-gauche) (…)

Ecoutez, monsieur le président du Conseil, l’écho des paroles prononcées par M. Daladier en 1935.

M. LE PRESIDENT DU CONSEIL. Je les sais par cœur.

Jacques Duclos. « Le Front populaire disiez-vous, il paraît que c’est une alliance monstrueuse. Excusez-moi, ce Front populaire, c’est beaucoup plus simple, c’est beaucoup plus clair, c’est l’alliance du Tiers-Etat et du prolétariat. Lorsque le Tiers-Etat et les prolétaires sont groupés ils font 89, 93, 48, le 4 Septembre. (Applaudissements à l’extrême-gauche et sur divers bancs.)

Lorsqu’ils sont divisés, on fait contre eux Thermidor, Brumaire, le 2 Décembre et, après avoir réduit le peuple en esclavage, on fait Waterloo et Sedan. (Applaudissement sur les mêmes bancs.)

Après avoir perdu la liberté, on détruit la paix et l’intégrité de notre patrie. »

Ces paroles, nous les approuvons et nous faisons accuser M. Daladier par M. Daladier lui-même d’avoir voulu faire cette œuvre néfaste de division.

En effet, monsieur le président du Conseil, le 20 août. dernier, vous avez attaqué la classe ouvrière pour détruire les quarante heures. Vous avez affirmé que le volume-or des revenus du travail était resté égal à celui d’avant guerre ; et vous avez ajouté que les revenus du capital et les revenus mixtes avaient diminué. Ainsi, vous avez cherché à dresser le pays contré la classe ouvrière.

Vous avez voulu justifier la politique de rapacité du grand capital. (Applaudissements à l’extrême-gauche.) Vous avez voulu justifier la réduction du niveau de vie des travailleurs. Vous avez voulu justifier la grande pénitence pour les masses populaires.

Nous n’avons pas besoin de formuler la condamnation de cette politique, vous l’avez faite vous-même, monsieur le président du Conseil.

C’est vous qui avez dit, le 13 octobre 1935 :

«  Le système de la grande pénitence est incompatible avec le prodigieux développement des forces de production qui caractérise les temps modernes. C’est dans l’accroissement du bien-être des masses et non dans la restriction de leurs moyens de consommation qu’il faut chercher le salut. » (Applaudissements à gauche interruptions à droite.)

Ainsi donc, du point de vue économique, vous êtes jugé par vous-même. D’ailleurs les résultats sont là. (…)

Ceux-là, on les connaît, monsieur le président, du Conseil, et on les connaît un peu grâce à vous.

Oseriez-vous dire aujourd’hui que les 200 familles sont une invention de l’esprit ? (Applaudissements à l’extrême-gauche)

Oseriez-vous dire maintenant que les 200 familles sont un mythe électoral comme l’affirmaient hier vos amis d’aujourd’hui? (Applaudissements à l’extrême-gauche communiste.)

Vous rappelez-vous ces paroles, Monsieur le Président du Conseil :

« Dans un pays de démocratie individualiste, ce sont deux cents familles qui par l’interpénétration des conseils d’administrations, par l’autorité grandissante de la
banque qui émettait les actions et apportait le crédit, sont devenues les maîtresses indiscutables, non seulement de l’économie française, mais de la politique française elle-même »
(Applaudissements à l’extrême-gauche communiste et sur divers bancs à gauche.)

Avouez, Messieurs, que j’ai de bons auteurs.

Mais ces deux cents familles ont-elles été supprimées par décret-loi ?

Monsieur le ministre des Finances, je ne le pense pas, elles sont toujours là.

Et ne sont-ce pas ces 200 familles qui ont réclamé d’abord et inspiré ensuite ces décrets-lois qui ont associé désormais les deux noms de messieurs Daladier et Reynaud ?

Oui, ce sont les puissances d’argent, ce sont les deux cents familles, les maîtresses de la politique française ! (Applaudissements à l’extrême-gauche communiste et sur divers bancs à gauche.)

Ce sont les forces, ténébreuses et immorales du grand capital qui ont imposé toutes les mesures d’injustice contre lesquelles se dresse la France laborieuse.

Elles ont inspiré la destruction de la semaine de 40 heures, pour accroître le chômage-et dresser les ouvriers en concurrence les uns contre les autres, pour se servir de la misère des uns afin de diminuer les salaires des autres (Applaudissements à l’extrême-gauche.) (…)

Vous êtes allé plus loin vous avez violé le droit syndical et le droit de grève inscrits dans la loi. (Applaudissements à l’extrême-gauche.)

Devant votre politique de violence contre les travailleurs, vous êtes allé jusqu’à l’illégalité.

Vous voulez gouverner par le mensonge et par la peur ; vous voulez vous présenter en sauveur de l’ordre qui n’a jamais été menacé que par votre politique de contrainte et de violence.

Monsieur le président du conseil, quand on est sûr de l’approbation du pays, on ne gouverne pas comme cela. (Applaudissements à l’extrême-gauche.)

Un gouvernement digne de la France pourrait obtenir tous les efforts de la part des travailleurs sans dresser les baïonnettes des fils contre les poitrines des pères.

On a agi comme si on voulait faire haïr l’armée par le peuple, alors que l’armée n’est forte que si elle est entourée de l’affection du peuple. (…)

On fait tout cela, messieurs) au moment où l’on réclame, en Italie, la Tunisie, la Corse, Nice, la Savoie, tandis que l’Allemagne ne renonce pas ses exigences coloniales.

On utilise le micro contre les Français, pour mettre la classe ouvrière en accusation. Mais on se tait quand on insulte notre pays, quand on insulte ses institutions, quand on insulte sa culture et ses traditions. (Vives interruptions au centre et à droite.)

On se tait quand les barbares nous ramènent aux mœurs du moyen âge, englobant dans une même persécution juifs et catholiques, protestants et libres-penseurs. On va même jusqu’à transposer chez nous plus ou moins les préjugés odieux du racisme. (Applaudissements à l’extrême-gauche.)

Non, cette politique de soumission au grand capital, cette politique d’insolence, cette politique de platitude à l’égard du fascisme ne sort pas des profondeurs de la France des Droits de l’homme et du citoyen. (Applaudissements à l’extrême-gauche.)

Aujourd’hui le devoir des républicains est net. Le devoir des communistes, des socialistes, des radicaux fidèles au programme du Front. populaire, sur lequel ils ont été élus en 1936, le devoir pour tous ces hommes-là est clair : en votant contre le gouvernement, ils se refuseront à être les otages de la. réaction. (Applaudissements à l’extrême-gauche.)

Quant à nous communistes, en votant contre le gouvernement, nous lui dirons ce que pensent, dans les profondeurs du pays, tous ceux qui travaillent, tous ceux qui peinent et qui espèrent.

Nous lui dirons « Allez-vous en ! Laissez la place à un véritable gouvernement républicain ! » (Applaudissements à l’extrême-gauche et à gauche.) »

De ce fait, fin décembre 1938, le Parti Communiste Français considère toujours que le Front populaire est une réalité. Il cherche à le relancer en tentant artificiellement de relancer les radicaux. On est en plein suicide politique.

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isolé et interdit (1938-1939)