Le positivisme d’Auguste Comte : la vie industrielle

Né à Montpellier le 19 janvier 1798, Auguste Comte fut admis à Polytechnique à quinze ans, qu’il ne put rejoindre qu’une année plus tard seulement en raison de son jeune âge. Les élèves s’y révoltèrent contre un professeur et furent expulsés ; Auguste Comte vécut alors de cours de mathématiques à Paris, avant de devenir un proche du réformateur social Saint-Simon de 1817 à 1825.

Rompant avec celui-ci, il formula alors le « positivisme » et inventa le concept de « sociologie », apparaissant comme l’ennemi bourgeois numéro un pour le catholicisme.

Auguste Comte

Car Auguste Comte avait bien saisi le changement d’époque. Il avait compris l’intérêt bourgeois à chercher à temporiser historiquement, le temps marchant pour un capitalisme toujours plus fort.

Il fallait avoir le sens du compromis, tout en visant à phagocyter l’opposition conservatrice catholique en conquérant une hégémonie idéologique et culturelle. Ce dernier aspect, Auguste Comte l’appelle la « révolution mentale ».

Voici ce qu’il en dit, dans son Discours sur l’esprit positif :

« Le polythéisme s’adaptait surtout au système de conquête de l’antiquité, et le monothéisme à l’organisation défensive du moyen âge.

En faisant de plus en plus prévaloir la vie industrielle, la sociabilité moderne doit donc puissamment seconder la grande révolution mentale qui aujourd’hui élève définitivement notre intelligence du régime théologique au régime positif. »

On passerait de la religion au rationalisme, sans heurts, dans une sorte de transmission historique de l’aristocratie à la bourgeoisie. Ce rationalisme relève bien entendu de la transformation capitaliste de la réalité.

Auguste Comte explique ouvertement que le positivisme est l’idéologie de l’ère de l’industrie, qui implique une autre manière d’entrevoir le quotidien. Le parallèle avec le protestantisme et sa valorisation du travail exigeant une nouvelle morale du quotidien est évident.

On y a le même rejet du catholicisme et de sa scolastique, des superstitions et d’un clergé autocratique et métaphysique. On y a le même souci de la pratique, de l’intervention sociale, de l’industrie.

On y a le même souci de formuler une morale, des mentalités propres à une démarche concrète nouvelle, dans un sens anti-féodal. Le but d’Auguste Comte est de formuler une moralité de la vie quotidienne en accord avec la réalité de la production capitaliste.

L’esprit de l’industrie s’étend à la société. Voici comment Auguste Comte formule cela :

« L’art ne sera plus alors uniquement géométrique, mécanique ou chimique, etc., mais aussi et surtout politique et moral, la principale action exercée par l’Humanité devant, à tous égards, consister dans l’amélioration continue de sa propre nature individuelle ou collective, entre les limites qu’indique, de même qu’en tout autre cas, l’ensemble des lois réelles.

Lorsque cette solidarité spontanée de la science avec l’art aura pu ainsi être convenablement organisée, on ne peut douter que, bien loin de tendre aucunement à restreindre les saines spéculations philosophiques, elle leur assignerait, au contraire, un office final trop supérieur à leur portée effective, si d’avance on n’avait reconnu, en principe général, l’impossibilité de jamais rendre l’art purement rationnel, c’est-à-dire d’élever nos prévisions théoriques au véritable niveau de nos besoins pratiques.

Dans les arts même les plus simples et les plus parfaits, un développement direct et spontané reste constamment indispensable, sans que les indications scientifiques puissent, en aucun cas, y suppléer complètement.

Quelque satisfaisantes, par exemple, que soient devenues nos prévisions astronomiques, leur précision est encore, et sera probablement toujours, inférieure à nos justes exigences pratiques (…).

Ainsi, la même corrélation fondamentale qui rend la vie industrielle si favorable à l’ascendant philosophique de l’esprit positif lui imprime, sous un autre aspect, une tendance anti-théologique, plus on moins prononcée, mais tôt ou tard inévitable, quels qu’aient pu être les efforts continus de la sagesse sacerdotale pour contenir ou tempérer le caractère anti-industriel de la philosophie initiale, avec laquelle la vie guerrière était seule suffisamment conciliable.

Telle est l’intime solidarité qui fait involontairement participer depuis longtemps tous les esprits modernes, même les plus grossiers et les plus rebelles, au remplacement graduel de l’antique philosophie théologique par une philosophie pleinement positive, seule susceptible désormais d’un véritable ascendant social. »

Le positivisme, c’est l’idéologie de ce qui est positif, c’est-à-dire concret, visible expérimentalement, en-dehors de toute abstraction, qu’elle soit théologique-mystique ou bien matérialiste.

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