Dans un pays capitaliste développé, il existe de nombreux moyens de fuir la réalité, de se replier sur sa vie privée. Les forces productives sont suffisamment développées pour qu’on puisse vivre de manière à peu près correcte au quotidien, dans un environnement relativement stable, en se préoccupant de s’élever socialement, d’avoir différentes activités sportives ou culturelles, voire même d’accumuler du capital.
Les revendications sociales elles-mêmes servent directement les syndicats, qui eux-mêmes participent aux institutions, aux entreprises, contribuant à la modernisation des rapports sociaux, à leur adaptation aux nouvelles situations. Les exigences révolutionnaires ne font que alors vivoter à la marge de la société, de manière coupée de la classe ouvrière, ne s’exprimant au mieux que de manière bornée ou folklorique.
Ce panorama n’a rien de nouveau ; il est de fait vrai depuis 1968, voire le début des années 1960. Il reflète la situation mise en place par le capitalisme une fois qu’il s’est élancé : si auparavant, jusque dans les années 1950, il y avait encore beaucoup de goulots d’étranglements empêtrant les masses dans la misère la première crise venue, désormais il y a en France une base matérielle suffisante pour fournir un minimum de satisfaction matérielle et une intégration qui va avec.
Pour cette raison, il existe un poids croissant de l’importance de la subjectivité. Il ne suffit pas de prendre conscience de la réalité sociale, il faut également faire le choix de ne pas céder à la corruption, faire le choix de participer à la transformation du monde, se positionner de manière adéquate dans le rapport entre révolution et contre-révolution.
Cette thèse a été formulée comme suit, en 1972 déjà, par la Fraction Armée Rouge :
« La situation d’exploitation des masses dans les métropoles n’est plus couvert par seulement le concept de Marx de travailleur salarié, dont on tire la plus-value dans la production.
Le fait est que l’exploitation dans le domaine de la production a pris une forme jamais atteinte de charge physique, un degré jamais atteint de charge psychique, avec l’éparpillement plus avancé du travail s’est produite et développée une terrifiante augmentation de l’intensité du travail.
Le fait est qu’à partir de cela, la mise en place des huit heures de travail quotidiennes – le présupposé pour l’augmentation de l’intensité du travail – le système s’est rendu maître de l’ensemble du temps libre des gens.
À leur exploitation physique dans l’entreprise s’est ajoutée l’exploitation de leurs sentiments et de leurs pensées, de leurs souhaits et de leurs utopies – au despotisme des capitalistes dans l’entreprise s’est ajouté le despotisme des capitalistes dans tous les domaines de la vie, par la consommation de masse et les médias de masse.
Avec la mise en place de la journée de huit heures, les 24 heures journalières de la domination du système sur les travailleurs a commencé sa marche victorieuse – avec l’établissement d’une capacité d’achats de masse et la « pointe des revenus », le système a commencé sa marche victorieuse sur les plans, les besoins, les alternatives, la fantaisie, la spontanéité, bref : de tout l’être humain !
Le système a réussi à faire en sorte que dans les métropoles, les masses sont tellement plongées dans leur propre saleté, qu’elles semblent avoir dans une large mesure perdu le sentiment de leur situation comme exploitées et opprimées.
Cela, de telle manière qu’elles prennent en compte, acceptant cela tacitement, tout crime du système, pour la voiture, quelques fringues, une assurance-vie et un crédit immobilier, qu’elles ne peuvent pratiquement rien se représenter et souhaiter d’autre qu’une voiture, un voyage de vacances, une baignoire carrelée.
Il se conclut de cela cependant que le sujet révolutionnaire est quiconque se libère de ces encadrements et qui refuse de participer aux crimes du système.
Que quiconque trouve son identité dans la lutte de libération des peuples du tiers-monde, quiconque refuse de participer, quiconque ne participe plus, est un sujet révolutionnaire – un camarade. »
Aux côtés du Collectif Politique Métropolitain italien, la RAF allemande a souligné cette importance de la modernité capitaliste pour la question du niveau de conscience. Il ne s’agit pas de considérer de manière unilatérale le caractère corrompu des masses dans les pays capitalistes développés. Ce serait là du tiers-mondisme, un travers dans lequel la RAF elle-même est tombée en partie.
Cependant, il y a ici une dimension métropolitaine – pour désigner ce qui relève de la métropole impérialiste – qui doit impérativement être pris en compte. Aussi affirmons-nous qu’il est nécessaire de parler de prolétariat métropolitain lorsqu’il est parlé du prolétariat tel qu’il existe, dans une métropole impérialiste, depuis les années 1960.
Ne pas faire cela serait ne pas faire de distinction entre le prolétariat métropolitain et le prolétariat qui, jusqu’aux années 1950, ne disposait pas de moyens matériels l’intégrant dans un 24h sur 24 du capitalisme. Il n’y avait pas de toilettes individuelles, ni de télévision ; il n’y avait pas de consommation massive de viande, ni de matériels électroniques aisément accessibles. Les vacances n’étaient pas encore un bien de consommation de masse, pas plus que les voitures, les assurances-vie, l’art contemporain.
L’intensité de l’exploitation n’avait pas atteint le degré extrême d’usure psychique d’aujourd’hui ; si physiquement, le travail était davantage éreintant, il vidait psychologiquement et nerveusement moins qu’aujourd’hui, il emprisonnait moins les esprits et les démarches.
C’est ce qui explique que le prolétariat métropolitain ne se rebelle pas comme le faisait le prolétariat, que les conflits n’ont ni la dimension, ni la profondeur, ni la violence, ni le degré de conscience qu’ils avaient de par le passé.
Cela ne veut nullement dire que le mode de production capitaliste ait changé de forme, ni que cela remette en cause la chute tendancielle du taux de profit impliquant l’effondrement du capitalisme, la fuite en avant dans la guerre impérialiste.
Ce que nous disons, c’est que nous avons découvert que l’échec de la proposition communiste des années 1950 provient de l’incompréhension de la paupérisation, considérée comme générale alors, bien qu’en réalité elle n’était que relative, le capitalisme connaissant un nouveau cycle. En proportion, la bourgeoisie devenait plus riche, mais la modernisation permettait tout de même d’amener les larges masses à participer au nouveau cycle, dont elles tiraient des avantages matériels.
C’est cela qui fait que, si auparavant la participation aux syndicats était nécessaire comme Lénine l’a souligné avec raison, à partir des années 1960, l‘exigence de l’autonomie prolétarienne implique le rejet formel de ceux-ci.
Naturellement, il y a ici le besoin de bien saisir les changements historiques et de parer à toute relecture gauchiste ou droitière du passé. Le phénomène d’étudiants et de petits-bourgeois prétendant réinterpréter le communisme à la suite de mai 1968 est bien connu et perdure jusqu’à aujourd’hui. Nous tenons à rappeler ici qu’il y a deux maoïsmes : le vrai, celui du matérialisme dialectique, qui prolonge Marx et Lénine mais aussi Engels et Staline, et le faux qui consiste en un spontanéisme aux contours flous et aux pratiques pragmatiques-machiavéliques.
Cependant, nous pensons qu’en saisissant de manière juste la contradiction villes-campagnes, nous avons réussi à trouver un moyen de distinguer le juste de l’erroné, et ce pour tous les cas. La destruction de la planète, c’est-à-dire de la Biosphère, va de paire avec une vie quotidienne aux mœurs dépassés, impliquant destruction écologiques et anéantissement des animaux. Comprendre cet arrière-plan et le combattre est inévitable ; il est facile de voir que des gens prétendant vouloir changer les choses, tout en restant étrangers à cette problématique, relèvent du problème et non de la solution.
C’est évidemment un problème également avec les masses elles-mêmes, qui vivent de manière réactionnaire, leur vécu soutenant objectivement et subjectivement le mode de production capitaliste. Cependant, les masses sont souvent prêtes à développer leur conscience une fois placées face à la contradiction villes-campagnes, si la démarche communiste est bien calibrée. L’isolement idéologique réussi dans la contradiction travail manuel – travail intellectuel est bien moins de mise.
Nous affirmons que c’est là une stratégie historique convenant au prolétariat métropolitain, c’est-à-dire le prolétariat du mode de production capitaliste développé. Le prolétaire métropolitain, aliéné en plus d’être exploité, reste un être naturel confronté à la remise en cause générale de tous les cadres de vie par un mode de production capitaliste exigeant que tout lui soit subordonné. Les besoins existentiels du prolétaire métropolitain restent en contradiction complète avec un mode de production capitaliste qui entend façonner sa production, sa consommation, son corps, sa famille, son habitation, ses déplacements, selon ses propres besoins.
Développer la rupture avec la vie quotidienne aliénée et exploitée dans la métropole impérialiste !
Porter la rupture subjective au cœur de masses à travers l’autonomie prolétarienne contre les institutions de la métropole impérialiste !
Parti Communiste de France (marxiste-léniniste-maoïste)