Quel peut être le réalisme d’un régime féodal, catholique, colonial et impérial ? C’est qu’on parle d’un régime qui se met en place, et dans son élan, il bouscule, renverse des structures anciennes, faisant triompher le nouveau contre l’ancien.
L’instauration d’un régime féodal relativement unifié est le produit du dépassement d’un morcellement réactionnaire. On reste dans la féodalité, avec pourtant un phénomène de complexification, de synthèse.
Il y a encore des affrontements littéralement claniques ; le banditisme reste une tradition. L’esprit soldatesque est omniprésent. On échappe pourtant plus ni au Roi, ni à l’Église, et ce en aucunes manières.
La dimension impériale oblige à dépasser les particularismes et à promouvoir la synthèse, à une dimension encore plus vaste. Bien sûr, cet empire est artificiel et ne se maintiendra pas ; il est ici équivalent à l’empire des Habsbourg au centre de l’Europe.
Cependant, il implique des échanges majeurs, qui font passer un cap, et ce d’autant plus que contrairement à l’empire des Habsbourg en Europe centrale, il n’y a pas de disparités nationales marquées. Même si la Catalogne a son propre parcours, Don Quichotte qui vient de la région de la Manche, au centre du pays, passe ainsi par Barcelone.
On baigne ici dans une culture latine très prononcée. Un artiste italien majeur comme Le Bernin (1598-1680) était un sujet du roi d’Espagne, tout comme le compositeur Claudio Monteverdi (1567-1643).
Deux auteurs espagnols majeurs, Miguel de Cervantes (1547-1616), l’auteur de Don Quichotte, et Francisco de Quevedo (1580-1645), ont vécu une partie de leur vie dans la partie de l’Italie sous domination espagnole.
De plus, si on prend la vague catholique, qui a un objectif de manipulation des masses, on constate qu’elle est obligée, dans l’effervescence de la « reconquête », de passer par une dimension populaire afin d’obtenir un réel ressort.
Les processions espagnoles sont ici bien connues, avec une ferveur religieuse vigoureuse dans la représentation. C’est d’autant plus vrai que l’Église devait aller chercher les artistes pour promouvoir les arts à sa manière, et qu’il fallait pour cela un terreau culturel réel, hors-religion.
On reconnaît là le drame espagnol, qui est la même que pour le Mexique ou la Pologne : la nation naît à travers le catholicisme, ce qui complique particulièrement la tâche de faire la part des choses.
Nombre d’initiatives historiquement correctes ont, dans ces pays, connu une défaite majeure en raison de leur tentative forcée de dépasser la religion arc-boutée sur la dimension féodale justement ennemie.
Et pareillement que pour la religion s’installant dans l’Espagne désormais « purement » catholique – les tenants des religions juive et musulmane sont expulsés à la victoire totale de la Reconquista – le colonialisme a un double caractère.
S’il est négatif dans sa nature au sens strict, il a une portée positive dans la mesure où il renverse le mode de production esclavagiste mésoaméricain et amène les masses à un niveau supérieur de développement, ce qui joue en retour sur la base coloniale elle-même.
D’ailleurs, l’indépendance des colonies américaines de l’Espagne va être poussée par des colons espagnols profitant de la défaite de la métropole face à Napoléon. Cela exprime une contradiction interne, où la féodalité espagnole se fait dépasser par elle-même, en quelque sorte, tout comme ce furent les conquistadors, aventuriers sans subordination directe réelle au roi, qui forcèrent militairement la victoire sur les empires aztèque et inca.
Autrement dit, le réalisme dans l’empire espagnol est véritablement à la croisée des tendances positives et des tendances négatives. Il existe malgré le régime, mais en même temps par le régime.