Dans son rapport au Comité central de mai 1939, Maurice Thorez espère qu’après le refus de l’unité, effectué lors de son conseil national, le Parti socialiste-SFIO va modifier sa ligne lors de son congrès.
Il est obligé de penser cela, de par son positionnement : il doit croire jusqu’au bout les illusions de sa conception « républicaine ».
Il a les moyens matériels de le faire, pour l’instant encore : le 21 mai 1939, 200 000 personnes se rassemblent à Paris pour les cortèges en l’honneur de la Commune. Le mouvement ouvrier connaît un reflux, mais ses structures restent massives et ses traditions puissantes.
Le Parti Communiste Français écrit donc de nouveau au Parti socialiste-SFIO afin de parler de l’unité.

Cependant, au congrès de la fin mai 1939 à Nantes, les choses basculent : cette fois les centristes se sont associés avec l’aile droite.
La question du « noyautage communiste » donne lieu à un très long débat, avec une volonté nette de casser les organismes générés par le Parti Communiste Français.
Une motion en ce sens est alors largement adoptée par 5 490 mandats contre 1 771 et 264 abstentions.
« Le Congrès considérant qu’il est interdit à un membre du Parti d’appartenir à un autre parti ou groupement politique quel qu’il soit, et quelle que soit sa dénomination ;
Précise que cette interdiction s’applique également aux groupements, ligues ou associations ayant en réalité un caractère politique, comme relevant directement ou indirectement d’un parti politique tels que : amicales d’entreprises radicales ou communistes et toutes amicales d’entreprises sous l’influence d’un parti politique autre que le nôtre : Secours Populaire de France, Paix et Liberté, Parti Unique du Prolétariat, Femmes contre la Guerre et le Fascisme, Jeunes Filles de France, Amis de l’Union Soviétique, etc.
Le Congrès rappelle, en outre, qu’il est interdit à tout membre du Parti d’appartenir à un groupement dont l’action s’avérerait hostile au Parti. »
C’était un coup terrible porté au Parti Communiste Français et le Parti socialiste-SFIO le savait très bien. C’était aussi ouvertement torpiller toute idée d’unité organique entre socialistes et communistes, comme il avait déjà été décidé au Conseil national de mars.
Malgré tout, contre tout bon sens et de la même manière qu’avec les radicaux, les communistes cherchèrent encore à empêcher une vraie rupture, à l’instar de cette lettre à la direction socialiste de Jacques Duclos au nom du Parti Communiste Français.
« Paris, le 3 juin 1939.
Chers camarades,
La résolution adoptée par le congrès de Nantes affirme que votre parti n’entend renoncer à aucune possibilité d’action commune, et précise que, pour porter tous ses fruits, cette action doit avoir lieu pour des buts et dans des conditions délibérés, acceptés au préalable et appliqués sur le plan national.
Nous basant sur cette décision souveraine de votre congrès et nous référant au pacte d’unité d’action qui, depuis le 27 juillet 1934, lie nos deux partis, nous vous proposons de réaliser l’action commune de nos organisations et de nos militants pour faire face à toutes les attaques de la réaction et du fascisme, tant sur le plan de la politique extérieure que de la politique intérieure.
Par notre action commune, nous pouvons et nous devons assurer l’application d’une politique résolue à maintenir l’intégrité du territoire de la France, à défendre contre toute atteinte son indépendance politique et à assurer les droits et les libertés des populations indigènes des colonies.Par notre action commune, nous pouvons fit nous devons exiger du gouvernement français qu’il oppose aux entreprises de violence, une volonté inébranlable de résistance et de coalition des forces pacifiques.
Par notre action commune, nous pouvons et nous devons combattre victorieusement les injustices des décrets-lois, sachant bien que les ouvriers et les paysans acceptent leur
participation aux sacrifices communs, mais réclament l’équité dans là répartition des lourdes charges résultant des menaces extérieures.
Par notre action commune, nous pouvons contrecarrer toutes les tentatives de destruction des institutions démocratiques et imposer leur fonctionnement normal.
Enfin, si l’unité d’action est nécessaire sur le plan national, si elle est seule susceptible dé faciliter le regroupement autour des travailleurs organisés de tous les démocrates sincères, d’assurer le rassemblement national et républicain dont s’excluent eux-mêmes les alliés du fascisme intérieur et extérieur.Elle est non moins nécessaire sur le plan international. »
Le Parti Communiste Français systématisa sa propagande à double niveau, avec l’appel à l’union sur le plan national et sur le plan international.
Pour le premier aspect, il fut grandement profité du 150e anniversaire de la révolution française, notamment pour un grand meeting à Paris le 25 juin 1939, avec 60 000 personnes.
Pour le second aspect, il y eut notamment début juillet des rassemblements pour la constitution d’un front de la paix, avec 20 000 personnes à Montreuil, 15 000 à Ivry, 15 000 à la Courneuve, 5 000 à Rueil, 10 000 à Dijon, puis 15 000 personnes à Bordeaux, 5 000 à Montreuil, 2 000 à Gagny, 6 000 dans le 13e arrondissement de Paris…
Ainsi que de multiples autres, avec à chaque fois plusieurs milliers de personnes, et avec des orateurs différents à chaque fois afin de multiplier facilement les initiatives, principalement Maurice Thorez, Jacques Duclos, Marcel Cachin, André Marty, Georges Cogniot, Emmanuel Fleury.
Le 14 juillet 1939 fut également prétexte à un vaste rassemblement de masse, avec 250 000 personnes à Paris, 100 000 à Marseille, 50 000 à Saint-Etienne, 10 000 à Toulouse, 8 000 à Angoulême.
Mais étant donné que c’était le 150e anniversaire de la révolution française, ces chiffres sont à relativiser : un véritable engouement eut donné des chiffres autrement plus fort.

D’ailleurs, 25 000 personnes seulement se retrouvent devant le Panthéon, en honneur de Jean Jaurès le 30 juillet 1939, un chiffre vraiment très faible étant donné l’ambiance de guerre régnante alors.
La tension commence alors à monter de manière significative : des poursuites contre L’Humanité sont engagées pour divulgation d’informations confidentielles (mais un acquittement est prononcé) et surtout le 29 juillet 1939 un décret… prolonge de deux ans les mandats des députés.
On est dans une situation où le gouvernement gouverne par décrets, avec une assemblée inutile qui plus est prolongée de deux années : c’est une centralisation des pouvoirs dans un sens fasciste, et le Parti Communiste Français n’en a pas saisi ni l’importance, ni la signification historique.

D’où son erreur tactique monumentale. Lorsque l’URSS, craignant la trahison franco-britannique semblant évidente de par le jeu de la Pologne, réalise un accord avec l’Allemagne nazie pour éviter de se retrouver seule dans un affrontement direct avec celle-ci, le Parti Communiste Français salue bruyamment l’initiative.
Le propos est juste, mais politiquement la mise en place d’une telle ligne est une erreur tactique complète.
« Déclaration du Parti Communiste français
Au moment où l’UNION SOVIETIQUE apporte une nouvelle et inappréciable contribution à la sauvegarde de la paix constamment mise en péril par les fauteurs de guerre fascistes, le Parti communiste français adresse au Pays du socialisme, à son Parti et à son grand chef Staline, un salut chaleureux.
Depuis vingt-deux ans, le pouvoir des travailleurs démontre aux peuples de l’univers que le socialisme, c’est la paix.
Le premier acte du pouvoir des Soviets, le 8 novembre 1917, fut un appel en faveur de la paix, et il s’adressait particulièrement « aux ouvriers les plus conscients des trois nations les plus avancées de l’humanité : l’Angleterre, la France et l’Allemagne ».
Depuis, et en toute occasion, l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques a su tenir bien haut le drapeau de la grande paix humaine.
Malgré vents et marées, malgré les attaques, violentes ou sournoises, malgré là contre-révolution, le blocus, le cordon sanitaire et le fil de fer barbelé de la réaction internationale, malgré les calomnies et les manœuvres de toutes sortes, malgré les Trotski et les Toukatchevski, l’U.R.S.S. a su défendre la paix et triompher de tous ses ennemis.
Elle a pris position aux côtés de tous les peuples victimes ou menacés d’une agression.
Seule parmi toutes les nations, l’Union soviétique a porté secours à l’Espagne républicaine envahie par les hordes barbares du fascisme international et lâchement abandonnée par les gouvernements de France et d’Angleterre au mépris des traités librement contractés et des engagements solennellement proclamés.
L’UNION SOVIETIQUE a sauvé l’honneur de l’humanité civilisée et progressive en refusant de s’associer à cette politique criminelle de la « non-intervention ».
L’UNION SOVIETIQUE est aujourd’hui aux côtés de la Chine martyre, agressée par le Japon militariste et fasciste, mais qui, grâce à son unité nationale, à son héroïsme, au soutien sans réserve de l’U.R.S.S. et des travailleurs du monde entier, aura raison de ses ennemis et débarrassera son territoire des brigands japonais.
Il y aura bientôt un an que la Tchécoslovaquie, trahie par ses alliés, parmi lesquels la France, était livrée au fascisme hitlérien. Un peuple libre et fier connait maintenant le joug féroce de la dictature hitlérienne.
L’UNION SOVIETIQUE fut seule jusqu’au bout, comme le rappelait récemment encore le Président Bénès, à observer rigoureusement ses engagements et à soutenir la cause du peuple tchécoslovaque.L’UNION SOVIETIQUE a droit à la gratitude de ces peuples.
Mais ceux qui les ont trahis, ceux qui ont pratiqué la « non-intervention » ou fait Munich, doivent s’apercevoir que leurs capitulations successives devant le fascisme international a eu pour résultat d’attirer la menace d’agression sur leur propre pays.
Au lendemain du 15 mars, lorsque grâce à la complicité de la France et de l’Angleterre, Hitler eut annexé brutalement ce que Munich avait laissé de la Tchécoslovaquie, l’Union soviétique a proposé une conférence en vue de réaliser l’alliance de tous les peuples libres pour défendre la paix et barrer la route à toute nouvelle agression.
Malgré le refus des principales puissances intéressées, elle a persévéré dans son effort de construction de la paix.Quand, cédant à la pression des masses populaires, les gouvernements de Londres et de Paris se résignèrent à engager des pourparlers avec elle, l’Union soviétique a formulé des propositions sages et concrètes dont la prise en considération eut permis la conclusion d’une alliance anglo-franco-soviétique basée sur l’égalité et la réciprocité.
C’eût été la digue de la paix contre laquelle les entreprises des fauteurs de guerre se fussent brisées.
Mais si l’Union soviétique, soucieuse des intérêts de la paix et des peuples visés par de proches agressions, avait la ferme volonté d’aboutir, cette même volonté ne se rencontrait pas chez ses interlocuteurs.En présence des atermoiements, des tergiversations, du sabotage de Londres et de Paris, l’U.R.S.S. a fait, preuve d’une incroyable patience.
Et voilà que ceux-là mêmes qui, depuis cinq mois manœuvrent pour empêcher la conclusion de l’alliance anglo-franco-soviétique, déclenchent contre le pays du socialisme une violente campagne parce qu’il accepte la demande de l’Allemagne hitlérienne de conclure avec lui un pacte de non-agression.
Silence à ceux qui sont responsables si, aujourd’hui, les peuples vivent dans l’angoisse !
La volte-face du fascisme hitlérien fait éclater le triomphe de la force de l’U.R.S.S., due à la construction victorieuse du socialisme, à sa puissance économique, politique et culturelle, à l’unité morale et politique de la société soviétique, à l’armée et à la marine militaire rouges, à sa politique de fermeté envers les agresseurs fascistes, politique qui a fait ses preuves au lac Khassan [victoire de l’armée rouge sur une incursion japonais en août 1938].Hitler, en reconnaissant, la puissance du pays du socialisme, accuse du même coup sa propre faiblesse.
Ce succès que l’Union soviétique vient de remporter, nous le saluons avec joie car il sert la cause de la paix.
La conclusion d’un tel pacte de non-agression ne peut que réjouir tous les amis de la paix, communistes, socialistes, démocrates, républicains.Tous savent qu’un tel pacte aura comme unique conséquence la consolidation de la paix. Tous savent qu’il ne privera aucun peuple de sa liberté, qu’il ne livrera aucun-arpent de terre d’une nation quelconque, ni une colonie.
Tous savent qu’un tel pacte de non-agression n’a rien de commun avec certains autres traités, comme les accords de Rome que les communistes français furent seuls à combattre et qui livraient l’Abyssinie à Mussolini, comme le « gentlemen-agreement » conclu entre l’Angleterre et l’Italie sans souci des autres nations du bassin méditerranéen, comme l’accord de « non-intervention » qui livra l’Espagne républicaine à Mussolini et à Hitler, comme le honteux diktat de Munich qui permit le dépècement de la Tchécoslovaquie, comme les accords entre l’Angleterre et le Japon, qui reconnaissent le droit au Japon de conquérir la Chine et qui livrent au bourreau japonais quatre Chinois de Tien-Tsin.
Nous n’avons aucune peine à comprendre la fureur des fascistes et de la réaction mondiale devant l’exemple de l’UNION SOVIETIQUE qui démontre la possibilité de signer des accords et des traités sans laisser la voie libre à l’agression et, contrairement à ce qui fut le cas en d’autres circonstances, sans aliéner l’indépendance d’une nation avec la même facilité qu’un particulier peut vendre une propriété.
Le pacte de non-agression qui vient d’être signé à MOSCOU est un coup direct à l’agression.
Comme l’attestent les nouvelles du Japon agresseur de la Chine, et de l’Espagne franquiste, il divise, et par conséquent affaiblit, le camp des fauteurs de guerre qui s’étaient unis sous le signe du pacte antikomintern.
Le désarroi qui règne parmi les alliés du fascisme hitlérien suffit à montrer, et dans les semaines qui viennent les peuples s’en convaincront mieux encore, que l’U.R.S.S. vient de rendre un inoubliable service à la cause de la paix, à la sécurité des peuples menacés, et de la France en particulier.
Et si quelques chefs socialistes ont estimé devoir prendre place dans le chœur fasciste et réactionnaire pour injurier l’UNION SOVIETIQUE, ils seront condamnés par tous les travailleurs, y compris les travailleurs socialistes.
Ceux qui ont sur la conscience le crime de la non-intervention, ceux qui, au lendemain de Munich qu’ils approuvaient, ressentaient selon la formule du camarade Léon Blum « un lâche soulagement », ceux qui approuvent, les gouvernements qui livrent les peuples à l’esclavage fasciste, ceux-là sont disqualifiés pour prétendre s’ériger encenseurs de la politique de paix de l’Union soviétique.
La paix, c’est le bien précieux des hommes.Pour la préserver contre ceux qui la menacent, il est de notre devoir de seconder les efforts admirables et couronnés de succès de l’Union soviétique.
Nous savons que pour cela l’unité de la classe ouvrière est nécessaire. A cette œuvre, nous nous consacrons sans réserve et avec le concours de tous les ouvriers conscients nous parviendrons à paralyser les diviseurs.
En empêchant jusqu’à ce jour l’action commune des travailleurs socialistes et communistes, ces diviseurs ont fait beaucoup de mal, ils ont empêché la riposte aux coups portés à la paix et à l’indépendance des peuples par le fascisme.
Les campagnes de division d’un [socialiste néerlandais Johan Willem] Albarda, d’un [socialiste belge Paul-Henri] Spaak ou d’un [socialiste français] Paul Faure sont néfastes aux intérêts de la classe ouvrière et des peuples libres.Travailleurs socialistes et communistes viendront à bout de la division et, en groupant autour d’eux tous les amis de la paix et de la liberté radicaux, démocrates, croyants et laïques ils formeront le barrage aux forces d’agression.
Pour la défense du pain, de la liberté et de la paix, les travailleurs se rassembleront sous le drapeau du socialisme, le drapeau qui flotte victorieusement sur un sixième du globe grâce au Parti bolchevik, aux peuples fraternellement unis de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques et à, leur chef génial, le camarade Staline.
Le Parti communiste, fidèle à la doctrine de Marx, Engels, Lénine, Staline, est plus que jamais l’ennemi implacable du fascisme international, en première ligne du fascisme hitlérien le plus bestial et le principal fauteur de guerre, l’adversaire le plus dangereux de la démocratie.
Il appelle tous les communistes et la masse imposante de ses sympathisants à remplir tout leur devoir pour la défense de la démocratie, de la liberté et de la paix.
Dans le vrai combat contre le fascisme agresseur, le Parti communiste revendique sa place au premier rang.
Vive l’UNION SOVIETIQUE, pays du socialisme vainqueur et bastion de la paix dans le monde !
Vive l’UNION de la classe ouvrière internationale et de tous les peuples contre le fascisme !
VIVE LA PAIX DANS LA DIGNITE ET L’INDEPENDANCE DES NATIONS.
Le Parti communiste français (S.F.I.C.) »
La réponse du gouvernement fut quasi immédiate : la presse communiste est interdite en date du 25 août 1939, toute réunion publique communiste est interdite dans la foulée en date du 27 août. Les arrestations commencent, par centaines.
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isolé et interdit (1938-1939)