Entre le congrès de Strasbourg de la fin février 1920 et celui de Tours de la fin décembre de la même année, le rapport de force interne – grosso modo de 70 % / 30 % – va se renverser au profit des partisans de la IIIe Internationale.
La raison, c’est qu’en juillet 1920, l’Internationale Communiste tient son second congrès. Ce qui était considéré comme un simple appel avec le premier congrès se pose désormais comme véritable organisation mondiale, avec des soutiens désormais réellement nombreux.
Il y a des positionnements politiques, il y a une dynamique, il y a le régime soviétique qui montre sa stabilité, tout cela forme une véritable proposition stratégique. D’août à décembre 1920, la question de l’adhésion à la IIIe Internationale devient l’obsession chez les socialistes et il est clair qu’il y a un engouement très net devant ce qui semble inéluctable.
Naturellement, c’est un déclic qui se produit avec retard en France, puisque le processus fut enclenché dès la révolution d’Octobre 1917 dans de nombreux pays. Mais cela amène d’autant plus de volonté de rattraper le temps perdu. La minorité au sein de la CGT progresse de manière notable au congrès d’Orléans de fin septembre – début octobre 1920, obtenant 659 mandats contre 1 485 à la majorité.
Mais cela se lit surtout avec les jeunesses de la SFIO, les Jeunesses socialistes. Avant même la fin de la guerre, à la conférence de Saint-Denis de juin 1918, la première depuis de 1913, le courant de Jean Longuet y devint majoritaire tout comme dans la SFIO. Pierre Lainé, né en 1899 et nouveau dirigeant avec 169 mandats contre 10, appartenait à ce courant depuis son adolescence.
Naturellement, les jeunesses étaient sur une ligne plus dure que leurs aînés et les partisans de la IIIe Internationale y étaient plus puissants. En avril 1920, lors de la conférence des jeunesses à Troyes, la tendance longuettiste de Pierre Lainé représente 3 168 mandats, le Comité pour l’autonomie et l’adhésion à l’Internationale Communiste des Jeunes 2 350 mandats, alors qu’une troisième tendance, partisane de l’adhésion mais considérant qu’elle n’était pas encore possible, obtenait 1826 mandats.
On notera que le représentant de la première tendance, Pierre Lainé, restera dans la SFIO « maintenue », tout comme le représentant de la troisième tendance, Émile Auclair, après un bref passage chez les communistes. Enfin, le représentant de la seconde tendance, Maurice Laporte, joua un rôle très important dans les Jeunesses Communistes, avant de craquer en prison en 1923, de travailler pour la police et de devenir un ardent collaborateur des nazis pendant l’Occupation.
Sous l’impulsion du second congrès de l’Internationale Communiste, la seconde et la troisième tendance s’unirent à la fin juillet 1920 comme Comité de l’Internationale Communiste des Jeunes. Fin septembre, ils mettent en place un journal, L’Avant-garde ouvrière et communiste, dirigé par Gabriel Péri et obtiennent la mise en place d’un congrès à la fin de l’année.
La tendance longuettiste de Pierre Lainé fut balayée, sa résolution favorable à l’attente n’emportant que 1958 mandats, contre 5 443 pour l’adhésion immédiate à la IIIe Internationale (avec 350 abstentions).
Voici la résolution ayant triomphé:
« Le Congrès National des Jeunesses socialistes réuni à Paris les 30 octobre et 1er novembre 1920, constatant :
que la IIIe Internationale rassemble tous les socialistes révolutionnaires du monde entier ;
qu’elle répudie tout « socialisme de guerre » passé et futur, méconnaît le mythe que représente la Défense nationale, préconise l’intransigeance révolutionnaire et la dictature du prolétariat par le régime des Conseils des travailleurs se substituant à la fausse démocratie bourgeoise parlementaire, que ce régime peut seul faire triompher la production au bénéfice total du producteur et instaurer le Communisme ;
constatant, d’autre part, que l’Union Internationale des Jeunesses socialistes a fait faillite au même titre que la IIe Internationale,
le Congrès condamne avec force et refuse de s’associer jamais avec les Jeunesses qui, répudiant en 1914 les principes fondamentaux du socialisme en approuvant, de quelque manière que ce soit, la politique dite « d’Union sacrée », continuent deux ans après les hostilités à rester fidèles à leurs erreurs et à collaborer de près ou de loin, consciemment ou inconsciemment, avec la politique des renégats de la lutte sacrée de classe.
Elle condamne également les tentatives des Jeunesses jaunes de Noske, d’Allemagne, de Renner, d’Autriche, faites dans le but de reconstruire une Internationale qui serait en complète opposition avec l’Internationale Communiste des Jeunes ;
Le Congrès, conscient de l’idée de lutte de classe qui s’est affirmée dans l’Internationale Communiste des Jeunes ne faisant pas double emploi avec la IIIe Internationale, lui donne son entier appui et son adhésion non conditionnée, comme elle la donne sans réserve aucune à son aînée et approuve pleinement son manifeste et son programme lancé au Congrès international tenue le 25 novembre à Berlin ;
De plus, le Congrès,
considérant que la division qui s’est affirmée au sein de la Fédération Nationale des Jeunesses Socialistes résulte d’une divergence profonde sur le but et la doctrine ;
considérant qu’aucune organisation ne saurait exercer d’action révolutionnaire sérieuse et efficace si ses membres sont ainsi divisés sur les principes mêmes de la lutte ;
affirme que s’il est vrai que tous les communistes ont l’impérieux devoir d’adhérer sans réserve à la IIIe Internationale, il n’en est pas moins évident que seuls les communistes doivent y avoir accès.
En conséquence :
soucieux de permettre aux éléments révolutionnaires des Jeunesses de France d’adhérer à l’Internationale Communiste des Jeunes, le Congrès pour clarifier définitivement la situation et faire œuvre durable, décide la transformation des Jeunesses Socialistes de France en Fédération Nationale des Jeunesses Socialistes Communistes, et admet pleinement la déclaration et le programme général d’action suivant, qui sera celui de la Fédération ainsi reconstituée. »
Les Jeunesses Socialistes devinrent les Fédérations nationales des Jeunesses Socialistes Communistes de France, puis en mai 1921 la Fédération nationale des Jeunesses Communistes.
Ce qui s’était fait dans les Jeunesses reflétait de fait la tendance générale dans le Parti. Pourtant les partisans de la IIIe Internationale auraient dû tirer une leçon de ce qui s’était passé après le vote.
Prenant la parole au nom des désormais minoritaires, Pierre Lainé lut une résolution où il affirma, au nom des 1958 mandats qui s’étaient portés sur lui, qu’il était pris acte « de l’acte d’indiscipline de la majorité qui vient de proclamer l’autonomie des Jeunesses ». On avait ici déjà la base du discours de la minorité, qui accusait la majorité de liquidation, d’aventurisme, de dogmatisme, etc. et ne comptait certainement pas accepter les décisions prises.
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au lendemain de la première guerre mondiale