En URSS, la nouvelle situation d’après-1945 avait produit des courants opportunistes, avec notamment l’économiste Eugen Varga. L’URSS devrait selon ces conceptions s’insérer dans des rapports « constructifs » avec les pays capitalistes désormais « organisés ». Cela affaiblit de manière immense les forces communistes soviétiques.
Dans les démocraties populaires, il y eut une même tendance consécutive à la fusion des socialistes et des communistes se réalisant dans chaque pays, l’un après l’autre. L’idée était que le parti ouvrier unifié suffirait en soi à gérer le développement des forces productives, qu’il n’était besoin de rien d’autre et d’autant moins de la primauté de l’idéologie.
Aussi, la victoire du révisionnisme en Union Soviétique, avec Nikita Khrouchtchev comme dirigeant, impliquait nécessairement un renversement dans les démocraties populaires, à moins d’un soulèvement anti-révisionniste.
Il se produisit de fait uniquement à l’initiative des communistes grecs exilés en URSS, à Tachkent en Ouzbékistan, qui furent écrasés dans le sang. Pour le reste, le processus fut par étapes mais réussit finalement sans coup férir.
L’une de ces étapes fut la dissolution du Kominform, le 17 avril 1956. Un tel acte était une grande offensive contre l’essence même des démocraties populaires, qui se définirent d’ailleurs par la suite la plupart comme « socialistes » (la Tchécoslovaquie en 1960, la Roumanie en 1965, la République Démocratique Allemande en 1968) ou en tout cas changèrent d’emblème.
Le personnel fut évidemment modifié. En Bulgarie, Valko Tchervenkov fut éjecté du poste de secrétaire général la veille du premier anniversaire de la mort de Staline.
En Roumanie, Gheorghe Gheorghiu-Dej devint un renégat et assuma une ligne très forte de nationalisme bourgeois, marqué par l’ouverture importante aux pays impérialistes, une ligne ardemment poursuivie par Nicolae Ceaușescu à partir de 1965.
Le même processus se déroula en République Démocratique Allemande, Walter Ulbricht devenant un renégat, alors qu’un soulèvement réactionnaire avait eu lieu en juin 1953 à Berlin-Est, dans la foulée de la mort de Staline.
En Tchécoslovaquie, le dirigeant communiste historique, Klement Gottwald, était mort en 1953, en revenant de l’enterrement de Staline, avec des rumeurs d’empoisonnement. Mais il faudra attendre l’initiative d’ Antonín Novotný de réaliser un exposé intitulé « Le XXe congrès du PCUS et les conséquences qui en découlent pour le travail de notre Parti » dans le cadre les 29 et 30 mars 1956 d’une réunion extraordinaire du Comité Central.
Antonín Novotný attaqua, dans le prolongement de Nikita Khrouchtchev, le « culte de la personnalité » et son représentant en Tchécoslovaquie, Klement Gottwald. Son point de vue fut même publié dans le journal du Parti, le Rudé Pravo.
Il réitéra avec une nouvelle réunion extraordinaire, les 19 et 20 avril 1956, puis commença à diffuser sa propagande à la base même du Parti ; chaque cellule fut ainsi confronté à un « résumé des accusations » contre Staline. Les représentants révisionnistes du Comité Central furent envoyés avec des brochures numérotées, avec comme tâche de les lire puis de les rapporter, sans jamais débattre.
La vague révisionniste eut un grand effet dans les universités, où les activités anti-communistes se développèrent fortement ; en 1952 fut détruit au moyen de 800 kilos d’explosifs le monument à Staline à Prague, construit de 1949 à 1955.
Il avait été le fruit d’une collaboration incluant le sculpteur Otakar Svec (1892-1955), le peintre Adolf Zabransky (1909-1981), les architectes Jiri Stursa (1910-1995) et Vlasta Stursa ; le monument, dédié par « le peuple tchèque à ses libérateurs », faisait 22 mètres de long, pour 15,5 de hauteur et 12 de largeur, en étant placé sur une structure de béton armé afin de supporter ses 17 000 tonnes.
En Pologne, le dirigeant Bolesław Bierut était mort en 1956 le jour du discours « secret » de Nikita Khrouchtchev au XXe congrès du Parti soviétique, sans doute empoisonné.
Le haut responsable communiste (et juif) Jakub Berman fut éliminé de toute fonction, avec l’appui de « Radio Free Europe », la radio américaine anti-communiste diffusant en Europe de l’est et menant une propagande contre lui en s’appuyant en l’occurrence sur un renégat ayant rejoint l’ouest.
Communiste depuis 1928, Jakub Berman était devenu par la suite membre du bureau politique du Parti Ouvrier Unifié Polonais, et responsable des services de sécurité, à partir de 1944. Il est purgé par la nouvelle direction en 1956, et même exclu du Parti en 1957 en raison de ses « erreurs » lors de « l’époque stalinienne ».
Hilary Minc, responsable de la planification, fut également purgé. Le nouveau dirigeant du Parti, Edward Ochab, fut naturellement sur la ligne de Khrouchtchev. Une amnistie prononcée le 25 avril 1956 libéra 30 000 personnes, alors qu’inversement furent purgés les ministres de la Sécurité et de la Justice, ainsi que des hauts fonctionnaires de la Sécurité.
C’est dans cette perspective que le Parti Communiste de Pologne, dissous en 1938, fut officiellement réhabilité le 9 février 1956.
Toutes les années 1955-1956 furent marquées par une intense propagande anti-communiste depuis les instances culturelles, notamment avec le périodique Nowa kultura.
L’Église catholique, bien sûr, joua un grand rôle politique. Ce n’est qu’en 1952 que la laïcité avait été instaurée en tant que tel. Lors de l’annonce du contrôle gouvernementale des nominations des religieux – ce qui revenait à appliquer une mesure prise dans les pays protestants 400 années auparavant – l’Église catholique put organiser en février 1953 une grande procession à Cracovie, culminant dans l’affrontement avec la police.
En 1955, un million de personnes manifestèrent en présence du cardinal Wyszynski, à Czestochowa ; le processus continuera par la suite. Il y avait 7250 églises en Pologne en 1937, il y en aura 14 000 dans les années 1980, avec 18 000 prêtres, des financements venant du monde entier. L’hebdomadaire catholique Tygodnik Powszchny tirera à 150 000 exemplaires, tout comme le journal jésuite « Le messager du cœur de Jésus », le journal franciscain « Le chevalier de l’Immaculée » tirant à 75 000 exemplaires.
Et enfin en juin 1956, les émeutes dans la ville de Poznań amènent le retour de Władysław Gomułka. Ce dernier avait en fait déjà été libéré en décembre 1954 – mais l’information n’avait été rendue publique qu’en avril 1956. De la même manière, dès octobre 1954, 2 000 titres critiquant le titisme furent retirés des bibliothèques et des librairies.
En Hongrie, la base révisionniste était pareillement si forte qu’en fait, dès juillet 1953, ce fut Imre Nagy qui fut nommé premier ministre, organisant immédiatement l’arrêt de la collectivisation, la fermeture des camps de prisonniers, le rétablissement d’un large artisanat privé et la fin de l’orientation vers l’industrie lourde.
Le secrétaire général était toujours Mátyás Rákosi, qui se fit cependant débarquer en 1956, après avoir tenté en 1955 de briser la fraction d’Imre Nagy. Il fut déporté en URSS, au Kirghizstan, et refusa en 1970 l’autorisation de retourner en Hongrie s’il acceptait de ne plus faire de politique.
László Rajk fut réhabilité en mars 1956, 10 jours après la réunion du « Cercle Petöfi », rassemblant des forces révisionnistes célébrant le XXe congrès, exigeant la « liberté de la presse », au grand dam de Mátyás Rakosi considérant que c’était un « mini-Poznan ».
Si l’auteur du discours, Tibor Déry, fut exclu du Parti, Imre Nagy fut quant à lui réintégré officiellement, alors que Mátyás Rakosi fut donc éliminé, et que László Rajk eut des funérailles nationales.
Cela culmina dans l’insurrection anti-communiste de Budapest, du 23 octobre au 10 novembre 1956, avec des pendaisons par la foule de communistes et de policiers.
Et en dehors des démocraties populaires, en France et en Italie, Maurice Thorez et Palmiro Togliatti s’alignèrent d’autant plus qu’ils étaient déjà lancés dans le révisionnisme.
Le basculement était ainsi complet, tout comme en URSS révisionniste devenant social-impérialiste et dont les pays de l’Est européen devinrent des satellites, à part la Yougoslavie inféodée aux États-Unis et à la Grande-Bretagne et l’Albanie cherchant à maintenir son indépendance et se tournant vers la Chine.
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