Le rétablissement des Jeux Olympiques par Pierre de Coubertin

Le rétablissement des Jeux Olympiques est incontestablement l’œuvre de Pierre de Coubertin. Il a pour la première fois présenté cette idée publiquement le 25 novembre 1892 lors d’une conférence internationale à l’Université de la Sorbonne à Paris.

Donnée dans le cadre du cinquième anniversaire de l’USFSA (Union des Sociétés françaises des Sports Athlétiques) après une semaine de rassemblements sportifs et de mondanités parrainées par le président de la République Sadi Carnot, la conférence était présidée par le Grand Duc Vladimir de Russie. L’USFSA était quant à elle présidée par le Vicomte Léon de Janzé.

On est là dans les prémices de la « Belle époque » avec une société bourgeoise se mettant en place de manière solide et avec des éléments aristocratiques (dont Pierre de Coubertin est issu) cherchant à asseoir leurs positions, à se faire une place dans ce monde nouveau.

L’annonce de la proposition de rétablissement des Jeux Olympiques lors de la conférence était parfaitement prévue, précisément concertée.

Georges Bourdon (Grand reporter au quotidien Le Figaro) avait d’abord prononcé un discours sur les activités physiques de L’Antiquité. Il y citait le poète Pindare et fit l’éloge des athlètes grecs.

Dans un second temps, l’historien Jules Jusserand évoquait les activités physiques au Moyen-Âge et citait des passages de Gargantua de Rabelais.

Pierre de Coubertin

Pierre de Coubertin prit ensuite la parole pour rappeler ses positions sur l’éducation physique, parlant de discipline, d’hygiène et de libération de l’individu. Son idée était que la société moderne était imprégnée d’hellénisme, c’est-à-dire de fascination pour la Grèce Antique. Le rétablissement des Jeux Olympiques formait alors un parfait idéal, à la fois romantique et « moderne ».

Se voulant humaniste, dépassant en tous cas les clivages de classes et les antagonismes de la société bourgeoise, à commencer par les antagonismes nationaux, Pierre de Coubertin expliquait alors :

« Exportons des rameurs, des coureurs, des escrimeurs : voilà le libre-échange de l’avenir et, le jour où il sera introduit dans les mœurs de la vieille Europe, la cause de la paix aura reçu un nouvel et puissant appui.

Cela suffit pour encourager votre serviteur à songer maintenant à la seconde partie de son programme; il espère que vous l’y aiderez comme vous l’avez aidé jusqu’ici et qu’avec vous il pourra poursuivre et réaliser, sur une base conforme aux conditions de la vie moderne, cette œuvre grandiose et bienfaisante : le rétablissement des Jeux Olympiques. »

Cette conférence ne suffit cependant pas. La proposition ne fut pas comprise ni prise au sérieux. Pierre de Coubertin parcourut alors le monde pour chercher des soutiens (notamment aux États-Unis d’Amérique) et trouver un nouveau moyen de faire aboutir son projet.

Il convoqua en 1894, toujours à la Sorbonne, un congrès international à propos de l’amateurisme dans le sport, sujet qui suscitait beaucoup d’intérêts et de débats dans les milieux aristocratiques. C’était pour lui un subterfuge comme il l’explique dans ses mémoires. La question de l’amateurisme n’était qu’un « précieux paravent » pour mettre à nouveau le rétablissement des Jeux Olympiques à l’ordre du jour.

Deux mille invités et soixante-dix-neuf délégués officiels représentant treize pays (France, Grande-Bretagne, Etats-Unis, Grèce, Russie, Belgique, Suède, Espagne, Italie, Hongrie, Bohême, Pays-Bas, Australie) furent rassemblés du 18 au 23 juin 1894. Des Allemands étaient présents, mais de manière non-officielle du fait de la pression nationaliste exercée par le président des sociétés françaises de gymnastique Jules Sansbœuf, ancien président de la Ligue des patriotes.

Pierre de Coubertin avait trouvé l’appui de la famille royale de Grèce (qui fut membre honoraire de la conférence). Il reçut également le soutien du duc de Sparte (titre du fils aîné du roi grec), du roi de Belgique, du prince de Galles, du prince héritier de Suède, du colonel Balck de l’Institut royal de gymnastique de Stockholm, ainsi que de Sir Arthur Balfour, alors chef de la majorité gouvernementale unionistes (conservateurs) à la Chambre des communes au Royaume-Uni.

Le congrès approuva « le rétablissement des Jeux olympiques sur des bases conformes à la vie moderne ». 

Une partie du premier Comité international olympique, à une réunion en 1896

Voici une large partie du discours qu’a fait Pierre de Coubertin en clôture du congrès :

En cette année 1894, il nous a été donné de réunir dans, cette grande ville de Paris, dont le monde partage toutes les réjouissances comme toutes les inquiétudes, en sorte qu’on a pu dire qu’elle en était le centre nerveux, il nous a été donné de réunir les représentants de l’athlétisme international et ceux-ci, unanimement, tant le principe en est peu controversé, ont voté la restitution d’une idée, vieille de deux mille ans, qui aujourd’hui comme jadis agite le cœur des hommes dont elle satisfait l’un des instincts les plus vitaux et, quoiqu’on en ait dit, les plus nobles.

Ces mêmes délégués ont, dans le temple de la science, entendu retentir à leurs oreilles une mélodie vieille aussi de 2000 ans, reconstituée par une savante archéologie faite des labeurs successifs de plusieurs générations.

Et le soir, l’électricité a transmis partout la nouvelle que l’olympisme hellénique était rentré dans le monde après une éclipse de plusieurs siècles.

L’héritage grec est tellement vaste, Messieurs, que tous ceux qui, dans le monde moderne, ont conçu l’exercice physique sous un de ses multiples aspects ont pu légitimement se réclamer de la Grèce qui les comprenait tous.

Les uns ont vu l’entraînement pour la défense de la patrie, les autres, la recherche de la beauté physique et de la santé, par le suave équilibre de l’âme et du corps, les autres enfin, cette saine ivresse du sang qu’on a dénommé la joie de vivre et qui n’existe nulle part aussi intense et aussi exquise que dans l’exercice du corps.

A Olympie, Messieurs, il y avait tout cela, mais il y avait quelque chose de plus qu’on n’a pas encore osé formuler sur les qualités corporelles et qu’on les a isolées parce que depuis le moyen âge, il plane une sorte de discrédit des qualités de l’esprit.

Récemment les premières ont été admises à servir les secondes, mais on les traite encore en esclaves, et chaque jour, on leur fait sentir leur dépendance et leur infériorité.

Cela a été une erreur immense dont il est pour ainsi dire impossible de calculer les conséquences scientifiques et sociales. En définitive, il n’y a pas, Messieurs, dans l’homme, deux parties, le corps et l’âme : il y en a trois, le corps, l’esprit et le caractère ; le caractère ne se forme point par l’esprit : il se forme surtout par le corps. Voilà ce que les anciens savaient et ce que nous reprenons péniblement.

Ceux de la vieille école ont gémi de nous voir tenir nos assises en pleine Sorbonne : ils se sont rendu compte que nous étions des révoltés et que nous finirions par jeter bas l’édifice de leur philosophie vermoulue.

Cela est vrai, Messieurs, nous sommes des rebelles et c’est pourquoi la presse qui a toujours soutenu les révolutions bienfaisantes nous a compris et aidés ce dont, en passant, de tout cœur, je la remercie.

Le ton est romantique et quasiment irrationnel, voire mystique, de la part d’une aristocratie s’imaginant rebelle et transcendant les siècles. Plutôt que de rébellion, Pierre de Coubertin avec ses Jeux Olympiques a surtout pavé la voie pour que le mode de production capitaliste intègre le sport à son dispositif général, non plus simplement idéologiquement, mais aussi politiquement, puis commercialement.

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de la gymnastique et du sport en France