La Commune de Paris fut, en 1871, le moment du grand tournant dans l’histoire de France ; elle marqua la naissance du mouvement ouvrier révolutionnaire en toute indépendance. Pour la première fois, la classe ouvrière s’était élancée de manière seule, sans se soumettre ou s’allier à la bourgeoisie dans une lutte anti-féodale.
Cependant, la classe ouvrière était embryonnaire, alliée à la plèbe ; l’échec de la Commune de Paris provoqua ainsi un cataclysme politique. 1871 fut une année d’une grande importance pour l’histoire du mouvement ouvrier à l’échelle mondiale ; le prix à payer en France fut toutefois un recul significatif, à tous les niveaux.
Déjà, il y avait les pertes humaines, 30 000 communards ayant été tués, 45 000 autres emprisonnés ou déportés en Nouvelle-Calédonie, certains étant condamnés à mort.
Ensuite, il y eut la répression. Une loi particulière fut promulguée en 1872, afin de contrer la propagande de la Ire Internationale, alors que les libertés syndicales avaient disparu, les activités démocratiques étaient entravées ; l’état de siège était même maintenu dans les grandes régions industrielles.
Paris était soumis à un ordre très strict et ne connaîtra de pas de maire avant 1977 ; ce n’est qu’en 2002 que la Préfecture de Police acceptera de partager ses prérogatives sur la police municipale avec la mairie de Paris.
Les mineurs du Nord et du Pas-de-Calais furent alors à l’avant-garde de la lutte des classes, affrontant la répression dès 1872, alors que des organismes se constituaient sous la forme de mutualités, de coopératives, de syndicats clandestins, voire même de sections de la Ire Internationale.
En 1876, il y a ainsi cinquante grèves dépassant quinze jours et un congrès ouvrier se tint, regroupant 350 représentants de 76 regroupements.
Parallèlement, le premier tome du Capital de Karl Marx fut publié en différents tomes de 1872 à 1875, recevant l’attention particulière d’un petit groupe d’ouvriers et d’universitaires, le Cercle d’études philosophiques et sociales se réunissant au Café Soufflet, à côté de la Sorbonne, à l’angle de la rue des Écoles et du boulevard Saint-Michel.
Une personnalité s’en rapprocha : Jules Basile, né en 1845, dit Jules Guesde, du nom de sa mère. Il s’agissait d’un journaliste républicain au moment de l’Empire, qui avait pris le parti de la Commune de Paris, ce qui l’amena à devoir s’enfuir tout d’abord en Suisse, où il se rapprocha de l’anarchisme, puis en Italie de 1874 à 1876, où il se rapprocha du marxisme.
De retour en France en septembre 1876, Jules Guesde participa tout d’abord à la presse de la gauche radicale : aux Droits de l’Homme et à son successeur Le Radical ; son premier article, paru le 15 octobre 1876, traitait de l’importance du congrès ouvrier devant se tenir à Paris.
La rencontre avec les membres du groupe du Café Soufflot amena un saut qualitatif. Lorsqu’il lança L’Égalité en novembre 1877, Jules Guesde n’était encore qu’un républicain devenu socialiste, à la croisée de l’anarchisme et d’un intérêt certain pour le marxisme. Mais il portait une dynamique très claire, portée par le prolétariat lui-même à l’arrière-plan : la défense de l’identité de la Commune, et même son exaltation.
Cela ne pouvait qu’amener la production d’une réalisation solide dans les faits, surtout qu’à cela s’ajoutait l’émergence historique en Europe centrale de la social-démocratie assumant le marxisme constitué en doctrine par Friedrich Engels et Karl Kautsky.
Jules Guesde fut transcendé par ce moment historique, devenant une figure acharnée vivant dans une extrême pauvreté toute sa vie, un incessant propagandiste de la cause révolutionnaire.
Les premiers échecs ne pouvaient pas bloquer son affirmation. L’Égalité s’effondra, en effet, dès juillet 1878, malgré l’abnégation complète de ses acteurs, Jules Guesde le premier. Il fallut changer d’imprimerie, sous pression administrative, au troisième numéro, il y eut plusieurs perquisitions au domicile de Jules Guesde, le gérant étant condamné pour « apologie de faits qualifiés de crimes » à 1 an de prison et 1000 francs d’amende, etc.
Il y eut également la tentative, décidée lors d’un congrès régional à Paris, rue du Faubourg du Temple à l’Alhambra, de profiter de l’exposition universelle de 1878 à Paris, Jules Guesde lançant le projet d’un congrès ouvrier international, aux côtés de trois rédacteurs de L’Egalité, ainsi que les délégués des six plus importantes chambres syndicales parisiennes (employés de commerce, mécaniciens, mégisseurs, menuisiers, serruriers, tailleurs).
Arrêtés, ils pratiquèrent une ligne de défense collective, dont Jules Guesde fut l’orateur et à ce titre le plus lourdement condamné, avec 6 mois de prison et 200 francs d’amende.
Une identité était née.
Jules Guesde rédigea un « Programme des socialistes révolutionnaires français », diffusé au printemps 1879 avec 541 signatures.
L’Égalité réapparut en janvier 1880, cette fois en se définissant non plus comme « journal républicain socialiste », mais comme un « organe collectiviste révolutionnaire ».
L’organe disparut en décembre 1882, réapparaissant brièvement en février 1883, pour laisser la place au Socialiste d’août 1885 à février 1888.
Mais c’était là une nouvelle histoire : celle de la tentative de fonder un Parti Ouvrier, fondé sur le collectivisme. Gabriel Deville, l’un des premiers activistes aux côtés de Jules Guesde, témoignera du succès de cette activité en expliquant, dans le cadre d’un résumé du Capital de Karl Marx, publié en 1883 :
« Les mots Parti ouvrier et collectivisme, aujourd’hui passés dans notre langue politique étaient, peut-on dire, inconnus ; les idées qu’ils représentaient ne comptaient en France que de rares partisans, sans liens, sans possibilités d’action commune.
C’est le journal L’Égalité, fondé sur l’initiative de Jules Guesde et dirigé par lui, qui a seul donné l’impulsion au mouvement socialiste révolutionnaire actuel. »