Le second pas vers l’unité socialiste-communiste en 1932

Le 23 novembre 1932, la direction du Parti socialiste (la Commission Administrative Permanente, C.A.P.), avait décidé d’apposer des affiches dans la région parisienne, en accord avec les Fédérations de la Seine et de la Seine-et-Oise.

Ces affiches allaient dans le sens de l’unité de classe, dans le prolongement du message du Parti d’Unité Prolétarienne et du Parti Communiste Français en octobre.

Il faut se rappeler ici que les ouvriers de la Seine, c’est-à-dire de la région parisienne, sont les plus actifs dans toute la France, que la région est même le bastion de l’activisme révolutionnaire. C’est aussi, au sein du Parti socialiste SFIO, le bastion de l’aile gauche.

Celle-ci s’est structurée, sous l’impulsion de Jean Zyromski et Bracke-Desrousseaux, sous la forme de la « Bataille socialiste » fondée en 1927. Initialement une simple plate-forme, la « Bataille socialiste » a fini par consister en une véritable tendance à partir de 1929.

La « Bataille socialiste » rejoint en fait au sujet de l’URSS les positions de la très puissante social-démocratie autrichienne, qui irradie alors la social-démocratie. Depuis le départ, les sociaux-démocrates autrichiens rejettent le bolchevisme qu’ils considèrent comme une déviation autoritaire et volontariste. Cependant, ils considèrent que cela s’explique historiquement et ils soutiennent l’URSS qui est selon eux socialiste.

La « Bataille socialiste » se rapproche de cette conception au sens où c’est la planification soviétique et son succès qui l’impressionne et en qui elle voit une grande source d’inspiration.

Par contre, la « Bataille socialiste » n’est pas de tradition social-démocrate et, par conséquent, adopte une approche volontariste-idéaliste, dans la tradition « socialiste » française, notamment dans le style « dur », de facture syndicaliste-révolutionnaire, de la région parisienne.

D’ailleurs, le dirigeant de la « Bataille socialiste », Jean Zyromski, est ouvertement sur la ligne d’un équilibre et d’une double reconnaissance entre Parti d’un côté, syndicats et coopératives de l’autre, étant ainsi clairement sur la ligne socialiste française résolument anti-social-démocrate d’avant 1914.

Cette combinaison de volontarisme et de fascination pour la planification va aboutir, avec la crise de 1929 et ses conséquences, à reprocher à la direction du Parti socialiste SFIO de ne pas aller assez de l’avant en termes de proposition et de démarche.

Les affiches parisiennes de la fin novembre 1932 sont une expression de cette situation interne chez les socialistes. On y lit la chose suivante :

« L’UNITÉ ? OUI, NOUS LA VOULONS
Aux Travailleurs de la région parisienne

Citoyens,

Le 14 octobre, le secrétaire général du Parti d’Unité prolétarienne adressait un appel en faveur de l’unité de classe des travailleurs au Parti socialiste et au Parti communiste.

Le 29 octobre, après avoir délibéré sur cette proposition, nous répondions publiquement :

1° Que toute tentative loyale vers une recherche de cette unité trouverait toujours parmi nous l’accueil le plus favorable ;

2° Que nous étions, d’ores et déjà, disposés à désigner nos délégués à une réunion préparatoire où seraient fixées les bases morales et politiques de conversations ultérieures, étant entendu expressément que la première des conditions acceptées de tous devrait être la cessation immédiate des polémiques injurieuses et des calomnies grossières de parti à parti.

Le 1er novembre, le Secrétaire général du Parti d’Unité prolétarienne se déclarait d’accord avec nous.

Il ne restait plus qu’à attendre la réponse du Parti communiste.

Elle parut dans l’Humanité du 4 novembre et fut reproduite intégralement dans le Populaire du lendemain.

Tous les citoyens de bonne foi ont alors pu se rendre compte qu’à la proposition du Parti d’Unité prolétarienne, a la réponse socialiste, qui laissait toutes les possibilités ouvertes, le Bureau politique du Parti communiste opposait la plus catégorique et la plus injurieuse des fins de non recevoir.

Le comble, après cela, c’est de voir maintenant le Parti communiste organiser un meeting à Bullier, le 2 décembre, où, d’après l’Humanité seraient invités « M. Paul Faure, secrétaire général du Parti socialiste, et M. Paul Louis, secrétaire du P. U. P. », pour participer à une « controverse » sur la question de l’unité révolutionnaire du prolétariat.

Bien entendu, nous n’avons reçu aucune invitation, et d’autre part, nous savons, par expérience, ce que signifie la controverse dans une réunion communiste.

Le Parti d’Unité prolétarienne a répondu que « c’est par la voie de négociations de parti à parti, et non par la voie de meetings qu’on aboutira à des résultats ».

Nous partageons naturellement cette manière de voir.

Mais, ne voulant endosser aucune responsabilité ni encourir aucun reproche dans le maintien des divisions ouvrières et des abominables querelles fratricides qui font obstacle à la marche en avant du prolétariat, nous n’écartons nullement l’idée d’une controverse et d’un meeting.

Seulement, même pour un meeting, il faut une entente préalables sur les points suivants ;

Bureau commun ;

Nombre égal de cartes d’assistants mises à la disposition des organisations participantes ;

Engagements réciproques d’éviter de part et d’autre, des injures et des violences.

Sans ces précautions élémentaires, la prétendue controverse aboutit à une bagarre et la soi-disant invitation à un guet-apens.

Quand le Parti communiste sera, disposé à discuter sur ce terrain de loyauté cl de franchise, la conversation pourra utilement s’engager.

D’ici là, et nous le déclarons une fois pour toutes an peuple de l’agglomération parisienne, qui jugera
l’attitude des uns et des autres, nous n entendons être ni les dupes, ni les victimes de manœuvres et de traquenards qui ne trompent plus personne sur les intentions de ceux qui y ont recours.

VIVE L’UNITÉ OUVRIÈRE ET SOCIALISTE !

Pour la C. A. P. du Parti Socialiste (S.F.I.O.) :
Paul FAURE,
Secrétaire général.

Pour la Fédération de la Seine du Parti (S.F.I.O.) :
E[mile]. FARINET,
Secrétaire fédéral.

Pour la Fédération de Seine-et-Oise du Parti (S.F.I.O.) :

[Eugène] DESCOURTIEUX,
Secrétaire fédéral

La réponse communiste est alors positive et le pas vers une initiative unitaire était donc réalisée.

« 1er décembre 1932

Citoyen Paul Faure, secrétaire du parti socialiste (S.F.I.O.)
Citoyen,

Le Bureau politique du Parti communiste, après avoir pris connaissance du texte de l’affiche commune de la C. A. P. [c’est-à-dire la direction du Parti socialiste SFIO] et des fédérations socialistes de Seine et de Seine-et-Oise, déclare

1° Qu’il accepte la proposition d’organiser un bureau commun pour le meeting convoqué à Bullier et vous invite à déléguer le 2 décembre un de vos représentants auprès de lui pour discuter avec les organisateurs, en vue de régler la composition du bureau, l’ordre des orateurs et le temps de parole.

2° Le Parti communiste propose l’organisation de meetings sur le même sujet dans toute la France, avec les mêmes garanties.

3° Le meeting de Bullier étant public et ouvert aux ouvriers de toutes les tendances la question de l’unité de classe du prolétariat débordant largement le cadre des organisations il ne saurait être
question d’en interdire l’accès aux masses inorganisées. D’ ailleurs, l’histoire du mouvement ouvrier français est pleine de ces controverses publiques dont nous ne citerons que l’exemple fameux de l’hippodrome de Lille entre Jaurès et Guesde. La crainte que les meetings publics sur la question de l’unité ouvrière soient un traquenard et se transforment en bagarres est absolument démentie par de récents exemples, dont celui du meeting des travailleurs des services publics d’hier, 30 novembre.

4° Le Bureau politique du Parti communiste, qui connaît la discipline de classe du prolétariat parisien et du prolétariat français, est convaincu que les orateurs de toutes tendances auront la plus grande liberté d’expression.

5° Il ne saurait être question, dans une telle controverse, d’échanger des injures. Il s’agit simplement de permettre a chaque représentant de nos partis d’exposer sans restriction nos conceptions différentes sur les moyens qui conduisent à l’unité du prolétariat.

Nous pensons que ces précisions vous offrent toutes les garanties désirables et nous renouvelons instamment au citoyen Paul Faure ou à tout autre représentant de la C. A. P. ou des fédérations socialistes de Seine et de Seine-et-Oise, l’invitation qui vous a été faite par lettre en date du 22 novembre.

Salutations communistes.

Pour le Bureau politique, du Parti communiste français

Le secrétaire : M. Thorez »

Le grand meeting unitaire du 2 décembre 1932 à la salle Bullier à Paris rassembla 8 000 personnes.

Cependant, ni Paul Faure ni Paul Louis, les dirigeants respectivement du Parti socialiste SFIO et du Parti d’Unité Prolétarienne, ne vinrent. Du côté communiste, cette absence était considérée comme une « dérobade » explicable par le fait que c’est le Parti Communiste français qui était au centre du jeu avec la question de la guerre.

Il est vrai que les orateurs socialistes tirèrent à boulets rouges sur la direction de leur propre parti, appelant les socialistes à réaliser l’unité avec les communistes, à soutenir la révolution russe :

« Nous sommes décidés à marcher avec vous pour vos revendications de classe, non seulement sur le terrain syndical, mais aussi le terrain politique, et pour la défense de l’Union soviétique. »

Maurice Thorez, de son côté, appela à refuser un nouveau « 4 août 1914 », et par conséquent à rompre avec la bourgeoisie afin d’être en mesure de réaliser le front unique. Quant au rapport avec le Parti socialiste SFIO et le Parti d’Unité Prolétarienne, Maurice Thorez précisa qu’il faut

« renouer les traditions des grands débats organisés. »

Une réunion en ce sens eut lieu le 16 janvier 1933. Et c’est dans ce contexte de rapprochement contradictoire qu’un événement provoqua un électro-choc : la prise du pouvoir par les nazis en Allemagne.

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