Le socle matérialiste universel de la démonstration chez Aristote

En affirmant la possibilité de la science au moyen de la démonstration, Aristote pose la possibilité – et même la nécessité – d’une observation matérialiste de la réalité. Cependant, il est obligé de reconnaître que les fondements de la démonstration doivent être certains.

Or, le souci, c’est que tout étant cause et conséquence, la cause de la conséquence est elle-même conséquence d’une cause. La remontée de la structure démonstrative semble sans fin. Aristote appelle cela « une marche régressive à l’infini » et il rejette une telle possibilité, qui aboutirait en effet à un cercle sans fin allant d’une démonstration à une autre, un cercle par ailleurs à la fois dans le présent, le passé et le futur.

Cela semble de plus s’opposer au principe du syllogisme qui établit quatre types de syllogisme vrai, dont la technique est forcément éprouvée, correcte, valide, posant de fait une vérité certaine.

Aristote est donc obligé de parler de certaines prémisses qui sont indémontrables, sortant effectivement du champ de la démonstration. Il formule le principe des axiomes.

Cependant, ce n’est pas tout. Aristote, de par sa démarche dialectique, retrouve le principe de la contradiction et de la nécessité de saisir la négation de la vérité afin de bien asseoir la compréhension de la vérité.

Voici comment il formule cette nécessité :

« En outre, si on veut posséder la science qui procède par démonstration, il ne suffit pas que la connaissance des principes soit plus grande, la conviction formée à leur sujet plus ferme, que ce qui est démontré : il faut encore que rien ne nous soit plus certain ni mieux connu que les opposés des principes d’où partira le syllogisme concluant à l’erreur contraire, car celui qui a la science au sens absolu doit être inébranlable. »

On a pratiquement la direction menant à Spinoza et au principe que toute détermination est négation.

Reste à voir comment Aristote parvient à formuler cela. Comment conjuguer un savoir démonstratif avec le besoin d’un socle pour chaque démonstration ? On a de plus vu dans les premiers analytiques que le syllogisme, même vrai, ne suffit pas en soi, n’obéissant qu’à une logique formelle.

Dire tous les schtroumpfs sont bleus, papa schtroumpf est un schtroumpf, donc papa schtroumpf est bleu est formellement vrai, mais cela n’a aucun sens.

En matérialiste, Aristote se tourne alors vers la matière. C’est la matière elle-même qui va fournir le socle nécessaire. Il dit ainsi :

« Notre doctrine, à nous, est que toute science n’est pas démonstrative, mais que celle des propositions immédiates est, au contraire, indépendante de la démonstration.

Telle est donc notre doctrine ; et nous disons, en outre, qu’en dehors de la connaissance scientifique, il existe encore un principe de science qui nous rend capable de connaître les définitions. »

Aristote défend ici la physique contre la prétention des mathématiques à saisir le réel de manière logique, au moyen des nombres placées dans des combinaisons. Aristote pose en effet la notion de substance comme vérité matérielle des phénomènes.

La substance, c’est ce qui revient spécifiquement par soi à la chose (et pas à une autre), pas ce qui est un « accident » : tel homme est blanc, mais tous les hommes ne le sont pas, c’est donc ce qu’on pourrait appeler avec le matérialisme dialectique un aspect secondaire.

Il faut donc bien faire attention à ne pas considérer qu’on aurait trouvé la substance, alors qu’on généralise peut-être trop encore et qu’on a pas trouvé la substance réellement particulière de la chose.

Aristote nous demande alors :

« Quand donc notre connaissance n’est-elle pas universelle, et quand est-elle absolue ?

Il est évident que notre connaissance est absolue dans le cas où il y a identité d’essence du triangle avec l’équilatéral, autrement dit avec chaque triangle équilatéral ou avec tous.

Si, par contre, il n’y a pas identité, mais diversité d’essence, et si l’attribut appartient à l’équilatéral en tant que triangle, notre connaissance manque alors d’universalité. »

Le socle matérialiste universel de la démonstration repose sur le socle particulier de la démonstration. C’est là hautement dialectique.

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