Les structuralistes, dans la plupart des cas, exprimant au moins une certaine attirance pour le marxisme. Il va de soi qu’il faut entendre ici un marxisme réduit à ses aspects sociaux et sa lecture historique, nullement le matérialisme dialectique. Dans certains cas, des affirmations structuralistes ont pu se faire prétendument sous la bannière du marxisme ou du néo-marxisme, tout au moins avec l’idée de le compléter.
Le rapport centre-périphérie fut à ce titre un classique du structuralisme pseudo-marxiste ; c’est une interprétation « structurelle » qui a eu un grand succès dans la bourgeoisie intellectuelle. La vague des mouvements nationalistes-régionalistes identitaires dans les années 1970 est le produit direct de l’approche structuraliste.
Il en va de même pour le tiers-mondisme ; on retrouve ici notamment les économistes argentin Raúl Prebisch et franco-égyptien Samir Amin. Ce dernier, faisant de l’impérialisme américain une structure, prônait ainsi récemment une « multipolarité », à partir d’un axe Paris – Berlin – Moscou s’étendant à Pékin et Delhi.
Le Grec Nicos Poulantzas analysa de son côté l’État comme « structure » ; voici comment il définit l’État de manière structuraliste, dans Pouvoir politique et classes sociales, en 1968 :
« Par mode de production on désignera non pas ce que l’on indique en général comme l’économique, les rapports de production au sens strict, mais une combinaison spécifique des diverses structures et pratiques qui, dans leurs combinaisons, apparaissent comme autant d’instance ou niveaux, bref comme autant de structures régionales de ce mode.
Un mode de production, comme le dit de façon schématique Engels, comprend divers niveaux ou instances, l’économique, le politique, l’idéologique et le théorique, étant entendu qu’il s’agit là d’un schéma indicatif et que l’on peut opérer un découpage plus exhaustif (…).
Ce qui distingue donc un mode de production d’un autre, et qui, par conséquent, spécifie un mode de production, c’est cette forme particulière d’articulation qu’entretiennent ses niveaux. »
On retrouve là tant une incompréhension du matérialisme dialectique que de la notion même de mode de production, en tant que reproduction de la vie réelle. Cependant, le structuraliste se prétendant marxiste le plus connu est Louis Althusser.
Lorsque la frange radicale des étudiants de l’Union des Étudiants Communistes rejoignent la critique maoïste du révisionnisme, ils fondent l’Union des Jeunesses Communistes (marxistes-léninistes)en 1966, dont l’un des organes sera les Cahiers Marxistes-Léninistes.
Mais cet organe existait déjà en 1964, en tant que publication du Cercle des étudiants communistes de l’École normale supérieure : à l’époque, les articles étaient signés individuellement, conformément à l’esprit universitaire intellectuel bourgeois.
Et une partie des initiateurs de ces Cahiers le quittèrent pour fonder en mars 1966 les Cahiers pour l’analyse, du Cercle d’épistémologie de l’École Normale Supérieure.
Cela signifie que la jeunesse qui rejoignit le maoïsme venait directement du structuralisme, les continuateurs prolongeant l’initiative au moyen des Cahiers pour l’analyse. Dans cette dernière revue, on trouve des textes de Claude Lévi-Strauss, Jacques Lacan et Jacques-Alain Miller, Georges Dumézil, Louis Althusser, Georges Canguilhem, ainsi que Michel Foucault et Jacques Derrida.
Ces deux derniers auteurs seront par la suite les grandes figures de ce qui est appelé aux États-Unis la « French Theory », c’est-à-dire le post-structuralisme, tandis que Jacques Lacan deviendra la tête de proue de la psychanalyse renouvelée.
Tout cela posait un problème majeur à l’Union des Jeunesses Communistes (marxistes-léninistes), car son dirigeant était Robert Linhart, un disciple de Louis Althusser. Si les Cahiers Marxistes-Léninistes se transforment, pour ses numéros 14 à 17 en 1966-1967, en simple vecteur de textes chinois, c’est le numéro 11 en avril 1966 qui est le signe de la rupture.
Il consiste en effet en un long texte signé Louis Althusser, intitulé Matérialisme historique et matérialisme dialectique, extrait d’un ouvrage qui finalement ne sortira pas. Il suit directement le congrès d’Argenteuil de mars 1966 du Parti Communiste français où le néo-humanisme de Roger Garaudy triomphe.
L’Union des Jeunesses Communistes (marxistes-léninistes) naît directement de la critique des positions de ce congrès, suite à l’exclusion de l’Union des Étudiants Communistes du Cercle des étudiants communistes de l’École normale supérieure en raison de la publication du document « Faut-il réviser la théorie marxiste-léniniste ? ».
Or, cela signifie que l’Union des Jeunesses Communistes (marxistes-léninistes) est né en étant formé par Louis Althusser, comme en témoigne en avril la publication du texte de celui-ci.
Mais Louis Althusser n’accompagnera pas la rupture. Il restera dans le Parti Communiste français. Qui plus est, il est totalement sur le terrain du structuralisme. Son ouvrage principal, Lire le capital, publié en novembre 1965 en collaboration avec Étienne Balibar, Roger Establet, Pierre Macherey et Jacques Rancière, est un manifeste structuraliste.
Karl Marx aurait été un structuraliste avant l’heure ; ses écrits de jeunesse n’auraient aucun rapport avec la « pratique théorique » aboutissant à l’analyse du capitalisme. Louis Althusser explique ainsi :
« De la même manière que nous savons, depuis Freud, que le temps de l’inconscient ne se confond pas avec le temps de la biographie, qu’il faut au contraire construire le concept du temps de l’inconscient pour parvenir à l’intelligence de certains traits de la biographie, de la même manière, il faut construire les concepts des différents temps historiques, qui ne sont jamais donnés dans l’évidence idéologique de la continuité du temps (qu’il suffirait de couper convenablement par une bonne périodisation pour en faire le temps de l’histoire), mais qui doivent être construits à partir de la nature différentielles de leur objet dans la structure du tout.
Faut-il pour s’en convaincre encore d’autres exemples ?
Qu’on lise les remarquables études de Michel Foucault sur l’ « histoire de la folie », sur la « Naissance de la clinique », et l’on verra quelle distance peut séparer les belles séquences de la chronique officielle, où une discipline ou une société ne font que réfléchir leur bonne, c’est-à-dire le masque de leur mauvaise conscience, – de la temporalité absolument inattendue qui constitue l’essence du procès de constitution et de développement de ces formations culturelles : la vraie histoire n’a rien qui permette de la lire dans le continu idéologique d’un temps linéaire qu’il suffirait de scander et couper, elle possède au contraire une temporalité propre, extrêmement complexe, et bien entendu parfaitement paradoxale au regard de la simplicité désarmante du préjugé idéologique.
Comprendre l’histoire de formations culturelles telles que celle de la « folie », de l’avènement du « regard clinique » en médecine, suppose un immense travail non d’abstraction, mais un travail dans l’abstraction, pour construire, en l’identifiant, l’objet même, et construire de ce fait l’objet de son histoire. »
Une telle approche – un marxisme purement théorique sans liaison avec l’Histoire, sans même parler avec l’évolution de la réalité matérielle comme totalité, de la nature – n’a aucun rapport avec le marxisme historiquement. C’est une interprétation spécifiquement française.
Et il faut noter que, malheureusement, les jeunes révolutionnaires cherchant dans les pays occidentaux dans les années 1960 à réaffirmer le marxisme-léninisme, dans une option combattante, sont tombés dans le piège structuraliste en se focalisant sur la recherche d’une clef structurelle expliquant le « système ».