Le structuralisme comme diagnostic

Les formes structuralistes sont, de fait, innombrables ; il n’est pas un intellectuel bourgeois de la seconde moitié du XXe siècle qui n’ait pas, d’une manière ou d’une autre, été marquée par le structuralisme.

Tout et n’importe quoi est interprété et surinterprété de telle manière à ce qu’un intellectuel puisse se poser en spécialiste, un découvreur de structure, un découvreur de « dynamique ». C’est le principe du « penseur », qui serait une sorte d’aventurier intellectuel, qui découvrirait des mines d’or intellectuelles cachées.

Auteur de La Méditerranée et le Monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, publié en 1949, Fernand Braudel est tout à fait représentatif de cet esprit lorsqu’il explique dans la préface que :

« On pensera qu’un exemple plus simple que la Méditerranée m’aurait sans doute mieux permis de marquer ces liens de l’histoire et de l’espace, d’autant qu’à l’échelle des hommes, la mer Intérieure du XVIe siècle est plus vaste encore qu’elle ne l’est aujourd’hui ; son personnage est complexe, encombrant, hors série. Il échappe à nos mesures et à nos catégories.

De lui, inutile de vouloir écrire l’histoire simple : « il est né le… » ; inutile de vouloir dire, à son propos, les choses bonnement, comme elles se sont passées…

La Méditerranée n’est même pas une mer, c’est un « complexe de mers », et de mers encombrées d’îles, coupées de péninsules, entourées de côtes ramifiées.

Sa vie est mêlée à la terre, sa poésie plus qu’à moitie rustique, ses marins sont à leurs heures paysans ; elle est la mer des oliviers et des vignes autant que celle des étroits bateaux à rames ou des navires ronds des marchands, et son histoire n’est pas plus à séparer du monde terrestre qui l’enveloppe que l’argile n’est à retirer des mains de l’artisan qui la modèle.

Lauso la mare e tente’n terro (« Fais l’éloge de la mer et tiens-toi à terre »), dit un proverbe provençal. »

Et ce qui caractérise le structuralisme, c’est que c’est en apparence une méthode et non pas une vision du monde ; en ce sens, tous les structuralistes se dédouanent des faiblesses des autres, en prétendant chacun se limiter à leur propre champ d’activité.

Il y a ici une prétention à l’objectivité sous une forme neutre, au nom du fait de se contenter d’une seule structure, même si en même temps et il y a ici une incohérence, il est expliqué que cette structure précise fait office de système.

Clause Lévi-Strauss, en 1964 dans la Revue internationale des sciences sociales, justifie cela de la manière suivante :

« La conscience apparaît ainsi comme l’ennemie secrète des sciences de l’homme, sous le double aspect d’une conscience spontanée, immanente à l’objet d’observation et d’une conscience réfléchie – conscience de la conscience – chez le savant. »

Ce qui est donc frappant dans les ouvrages structuralistes, c’est qu’il est toujours expliqué que la notion principale utilisée pour désigner la structure censée être centrale est difficilement définissable, que ses contours ne sont pas bien délimités, qu’en fin de compte cela ne peut être que le début d’une réflexion, etc.

C’est là à la fois un scepticisme bourgeois mais également un reflet du fait que le structuralisme n’est qu’une diversion, qu’il n’est en réalité qu’un discours.

Michel Foucault, dans un entretien en avril 1967, justifie de la manière suivante la réduction de la pensée à un diagnostic d’un moment du réel.

« – Le structuralisme n’est pas né récemment. Il en est question dès le début du siècle. Pourtant, on n’en parle qu’aujourd’hui. Pour le grand public, vous êtes le prêtre du « structuralisme ». Pourquoi ?

– Je suis tout au plus l’enfant de chœur du structuralisme. Disons que j’ai secoué la sonnette, que les fidèles se sont agenouillés, que les incroyants ont poussé des cris. Mais l’office avait commencé depuis longtemps. Le vrai mystère, ce n’est pas moi qui l’accomplis. En tant qu’observateur innocent dans son surplis blanc, voici comment je vois les choses.

On pourrait dire qu’il y a deux formes de structuralisme : la première est une méthode qui a permis soit la fondation de certaines sciences comme la linguistique, soit le renouvellement de certaines autres comme l’histoire des religions, soit le développement de certaines disciplines, comme l’ethnologie et la sociologie.

Ce structuralisme-là consiste en une analyse non pas tellement des choses, des conduites et de leur genèse, mais des rapports qui régissent un ensemble d’éléments ou un ensemble de conduites ; il étudie des ensembles dans leur équilibre actuel, beaucoup plus que des processus dans leur histoire.

Ce structuralisme a fait ses preuves au moins en ceci : il a permis l’apparition d’objets scientifiques nouveaux, inconnus avant lui (la langue, par exemple), soit encore des découvertes dans des domaines déjà connus : la solidarité des religions et des mythologies indo-européennes, par exemple.

Le second structuralisme, ce serait une activité par laquelle des théoriciens, non spécialistes, s’efforcent de définir les rapports actuels qui peuvent exister entre tel et tel élément de notre culture, telle ou telle science, tel domaine pratique et tel domaine théorique, etc.

Autrement dit, il s’agirait d’une sorte de structuralisme généralisé et non plus limité à un domaine scientifique précis, et, d’autre part, d’un structuralisme qui concernerait notre culture à nous, notre monde actuel, l’ensemble des relations pratiques ou théoriques qui définissent notre modernité.

C’est en cela que le structuralisme peut valoir comme une activité philosophique, si l’on admet que le rôle de la philosophie est de diagnostiquer. Le philosophe a en effet cessé de vouloir dire ce qui existe éternellement.

Il a la tâche bien plus ardue et bien plus fuyante de dire ce qui se passe. Dans cette mesure, on peut bien parler d’une sorte de philosophie structuraliste qui pourrait se définir comme l’activité qui permet de diagnostiquer ce qu’est aujourd’hui. »

Michel Foucault ira par la suite plus loin, en cherchant une dynamique dans le réel à partir d’une structure. C’est une expression « désirante » de la politique qui va, avec Jacques Derrida, Gilles Deleuze, former le post-structuralisme et sa déconstruction.

Le structuralisme, lui, en reste au diagnostic.

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