Le terrible retard dans l’agriculture de l’URSS social-impérialiste

De tous les secteurs problématiques, c’est l’agriculture qui a été le véritable tourment de l’URSS social-impérialiste.

L’agriculture soviétique avait posé à la base même un véritable problème. D’un côté, la collectivisation avait permis de sceller l’alliance ouvrière-paysanne et de permettre le socialisme, de l’autre le caractère arriéré des forces productives n’a cessé de poser des soucis.

Avec une révolution culturelle sur le plan de l’alimentation, il eut pu en être autrement, mais ce ne fut pas à l’ordre du jour pour des raisons historiques. Il n’y a pas eu d’agriculture socialiste, mais une agriculture visant à la même production que l’agriculture capitaliste, dans un cadre socialiste.

C’est une dimension du mode de vie qui, à l’instar des cigarettes, n’avait pas été révolutionné, contrairement au sport et aux arts.

Le socialisme avait, en pratique, de vrais problèmes à systématiser une dimension quantitative suffisante, et l’initiative privée maintenait des fondations solides. En 1953, un tiers de la production agricole relève du secteur privé.

Le cheptel est moins important qu’en 1928, sauf en ce qui concerne les cochons, alors qu’en plus appartient d’ailleurs au secteur privé 29 % du cheptel des cochons, 39 % de celui des bœufs, 59,6 % de celui des vaches, ainsi qu’une importante part de la production de légumes et de pommes de terre.

Ce maintien d’une agriculture dont les fondements restent, au fond, capitaliste, a contribué à miner les bases du socialisme.

Lorsqu’il parvient à la direction du Parti Communiste d’Union Soviétique, Nikita Khrouchtchev tente tout de suite de relancer la production agricole, un domaine qu’il connaît bien. Il procède à l’augmentation directe du prix fourni par l’État aux producteurs, de 25 à 40 % pour les légumes, de 100 % pour le lait et le beurre, de 150 % pour les pommes de terre, de 1500 % pour la viande.

L’impôt agricole baisse également de 45 % en 1953 puis encore de 150 % en 1954. Les arriérés se voient accordés d’importantes remises, alors que des crédits sont facilités pour l’acquisition de vaches.

Le succès semble alors venir, puisque de 1953 à 1954, la collecte de viande de l’État passe de 2,4 millions de tonnes à 4,1 millions de tonnes. L’État intervient alors d’autant plus pour épauler la production agricole, et le montant total de ses versements annuels aux kolkhozes et au secteur agricole privé est de 31,3 milliards de roubles en 1952, puis de 41,4 en 1953, 64 en 1955, 88,5 en 1956, 97,1 en 1957, 144,9 en 1959.

Et, pour renforcer le capitalisme, les Stations de Machines et de Tracteurs sont liquidés obligeant les kolkhozes à acheter le matériel agricole (dont les tracteurs), instaurant le commerce là où auparavant l’État gérait l’approvisionnement, le plan de production des tracteurs devenant une centrale de commandes obéissant aux demandes d’achats des kolkhozes.

Naturellement, cette affirmation du commerce sur la planification est présentée de manière « anti-bureaucratique », comme ici dans le propos de Nikita Khrouchtchev dans un discours du 22 janvier 1958 :

« On mettra fin à la répartition bureaucratique centralisée du matériel agricole qui provoque de nombreux désordres et cause des pertes énormes à l’État.

Les Stations de Machines et de Tracteurs prennent n’importe quelle machine, même si elles n’en ont pas besoin : celles qui ne sèment pas de lin reçoivent quand même des machines pour récolter le lin; celles qui ne cultivent pas les choux reçoivent quand même des machines pour planter les choux. »

Les kolkhozes n’ont plus également de plan détaillé de production, simplement un certain volume de production annuelle à obtenir et Nikita Khrouchtchev, dans son rêve révisionniste, envisageait de :

« Rattraper dans les prochaines années les États-Unis pour la production de viande, de lait et de beurre par tête d’habitant. »

En 1964, les kolkhoziens pouvaient posséder une vache, un veau plus les veaux nés dans l’année, une truie avec ses petits ou un porc « gras », trois moutons ou chèvres avec leurs petits (cinq au cas où il n’y aurait pas de vache ou de porc), des poulets et des ruches en nombre illimité.

L’acquisition d’une vache était aidée par un crédit d’État, les particuliers pouvaient directement acheter du fourrage d’État, ainsi que faire paître les vaches sur les terres publiques. Les impôts sur le bétail possédé par les citadins disparurent ; les prix de vente sur le marché privé étaient libérés.

La possession de lopins de terre à cultiver était de plus en plus autorisé pour tous, et devenait même une obligation pour les instituteurs, les médecins et les techniciens vivant et travaillant dans les campagnes.

Cette politique capitaliste fit qu’en 1966, 3 % seulement des terres cultivées – dépendant de la petite production capitaliste – produisaient 60 % des pommes de terre, 40 % de la viande et des légumes, 39 % du lait, 68 % des œufs.

C’était un triomphe pour le secteur capitaliste, si on pense en plus qu’une importante part du reste dépend des kolkhozes placés en situation d’autogestion.

Ce jeu d’équilibriste, toutefois, ne pouvait pas fonctionner à grande échelle. Le cadre monopoliste bureaucratique provoquait une catastrophe générale, que le petit capitalisme ne pouvait compenser.

Les récoltes de céréales passèrent ainsi de 147 à 107 millions de tonnes entre 1962 et 1963, obligeant à importer 10 millions de tonnes du Canada. Le scénario se réédita au début des années 1970, où l’URSS social-impérialiste se vit obligée d’importer 4 millions de tonnes de céréales en 1971, puis 12,9 en 1972, 24,4 en 1973.

Les chiffres sont pour le blé de 2,3 millions de tonnes, puis 6,3 et 15,2. Pour le maïs, on 0,9 million de tonne, puis 4,1 et 5,4. La situation est alors tellement grave qu’à partir de ce moment-là, l’URSS généralise le principe des importations massives, avec 27,8 millions de tonnes de céréales en 1979, 35 millions de tonnes en 1980, le point culminant étant le milieu des années 1980, où sont importées 55 millions de tonnes de céréales.

Non seulement 42 % de ces importations proviennent des États-Unis (et pour 12 % de France, le reste venant de l’Argentine, du Canada, de l’Australie), mais en plus elles forment 27% du commerce céréalier mondial.

D’ailleurs, à partir de 1975, les États-Unis ont obligé l’URSS, sous menace d’embargo comme en 1974, à annoncer ses achats sur plusieurs années, avec des contrats où l’URSS s’engage à acheter chaque année pendant cinq ans cinq millions de tonnes de céréales américaines, et possibilité de deux de plus si les récoltes sont bonnes aux États-Unis.

Cela signifie que sur le plan alimentaire, la dépendance de l’URSS est complète : le pays est imbriqué dans le système capitaliste mondial et sa tentative de mettre en place une agriculture développée est un échec complet.

L’URSS tentera d’échapper à cela, notamment en faisant passer la part de l’agriculture dans les investissements de 22 % à 27 % entre 1965 et 1975, en doublant les subventions entre 1965 et 1980, mais rien n’y fera, en raison de la base viciée de l’économie capitaliste d’État.

Le chaos de la production de céréales révèle la précarité de la base : les chiffres sont de 181,2 millions de tonnes en 1971, 168,2 en 1972, 222,5 en 1973, 195,7 en 1974, 140,1 en 1975, et ainsi de suite jusqu’à l’année 1981, où le chiffre fut de 150 millions.

En comparaison, cette même année 1981, avec 3,9 millions d’agriculteurs contre environ 30 millions en URSS social-impérialiste, les États-Unis produisirent pas moins de 310 millions de tonnes.

C’est un constat terrible d’échec. Acheter des céréales aux États-Unis revient pour l’URSS à moitié moins cher que les produire elle-même, en admettant que ce soit possible ; pour le maïs, le soja, les œufs, la viande, les prix américains sont même quatre fois moins chers.

Il est évident que ce n’est pas tenable et cette crise agricole va travailler le régime de manière marquée, jouant profondément sur la reconnaissance de son échec dans la seconde partie des années 1980.

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