Au cours des années 1930, une des principales formes prises par l’action directe dans la paysannerie est l’opposition à la vente-saisie des biens. C’est en grande partie la CGPT (Confédération Générale des Paysans-Travailleurs), fondée en 1929 et liée au Parti communiste, qui développe ce type d’action visant à s’opposer, parfois physiquement, à la vente de biens après le non-remboursement d’emprunts. On voit cela par exemple dans le film « la vie est à nous » de 1936.
La « défense paysanne » réactionnaire va ainsi reprendre à son compte cette forme d’opposition là où elle est bien implantée. La difficulté résidait dans l’équilibre à avoir puisque la vente sur saisie révélait parfois une expropriation par une grand propriétaire lorsque le paysan était un fermier. Pour éviter la dimension lutte des classes, la « défense paysanne » s’opposait surtout au vente-saisie de la part de l’État.
L’affaire de la vente-saisie de Salvaudon en 16 juin 1933 est alors un grand marqueur.
Salvaudon était le propriétaire d’une ferme de 240 hectares à Bonfray à quelques kilomètres de Bray-sur-Somme ; il employait 18 salariés et 20 saisonniers. Salvaudon était aussi un notable, conseiller d’arrondissement de son village et membre de la Ligue des contribuables depuis 1931.
Il avait ainsi juré de ne jamais cotiser pour les assurances sociales et avait été condamné à payer une amende de plus de 10 000 francs, qu’il refusait d’ailleurs de payer. Le 16 juin 1933, l’État devait procéder à la vente-saisie de son camion et d’une automobile, signe révélateur d’un style de vie éloigné des masses paysannes.
Salvaudon avait ainsi appelé l’Action française et la Ligue des contribuables à venir le soutenir lors de la venue des fonctionnaires. Henri Dorgères était là en tant que membre de la Fédération des contribuables, afin d’en faire une tribune politique ; il s’était fait au préalable connaître lors de réunions politiques les dimanches des foires agricoles.
Au matin du 18 juin, ce sont 1 500 personnes en soutien de Salvaudon qui font face à plusieurs centaines de gendarmes et 150 gardes mobiles à cheval, alors que les routes d’accès sont fermées.
Salvaudon est dans son bureau, revêtu son uniforme d’officier décoré de croix de guerres et propose des objets ridicules pour la vente. Des discours sont prononcés dans la cour de la ferme, dont un par Henri Dorgères. Alors que la gendarmerie donne l’ordre de dispersion, elle reçoit des projectiles. Il y a quatre blessés et huit arrestations, dont Henri Dorgères et deux membres du Parti agraire paysan français.
Des barricades sont alors montées autour de la ferme, avec des charrues, des râteaux, des herses… Lorsque la vente commence, les acquéreurs sont bousculés, sifflés et les opposants font en sorte de placer les acheteurs de leur camp.
Le procès de Henri Dorgères fut par la suite l’occasion d’une vaste campagne de soutien. L’arrestation parallèle de membres du Parti agraire paysan français favorisa également le rapprochement avec les notables de la droite agrarienne représentés par celui-ci.
Adolphe Pointier, futur président de l’Association générale des producteurs de blé et Jacques Leroy-Ladurie, un des hauts responsables de la puissante Union Centrale des Syndicats Agricoles, apportèrent un soutien public à Dorgères.
La « défense paysanne » devint ainsi un véritable mouvement d’ampleur, reconnu nationalement.
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Henri Dorgères et les chemises vertes